Alexis HK, auteur-compositeur-interprète, développe depuis plus de 25 ans, un savoureux savoir faire dans l’écriture de chansons aiguisées, joyeuses et joliment cinglantes. Ce goût exquis de la langue française, s’ajoute à celui d’un esprit toujours taquin sur ses contemporains, mais bienveillant. Avec un humour irrésistible, « Bobo Playground », le dernier opus qu’il défend actuellement sur scène, s’habille d’un nouvel écrin à la posologie douce amère, de rythmes hip-hop qui swing, de mélodies efficaces et de tranches de vie réaliste. Alexis s’offre là un terrain d’expérimentation presque sociologique. Autopsie hilarante d’un monde qui oublie que l’essentiel est au fond de nous, après tout même si nous avons de plus en plus de mal à regarder avec lucidité dans le blanc des yeux nos sociétés contemporaines, le « Mieux » n’est pas si loin si nous nous en donnons le courage. Quelques heures avant de monter sur la scène du carré sevigné (cesson-sevigné) Alexis HK nous a accordé un entretien, nous vous en livrons ici le contenu.
Tu as sorti un nouvel album il y a quelques mois « Bobo Playground ».
C’était en septembre, c’est déjà un souvenir. Un souvenir qui perdure, mais aujourd’hui, il y a tellement de choses qui sortent en musique, que ça va très vite ! On le fait vivre sur scène, mais on a déjà l’impression d’un souvenir !
Un aspect éphémère des choses, que l’on essaie de prolonger ?
Oui. Et en même temps, c’était dans le monde d’avant que les albums duraient très longtemps, rentraient dans un temps plus long. Mais aujourd’hui, on a l’impression qu’on n’a plus le temps. Il faut passer à autre chose très rapidement. Donc septembre, c’est déjà une éternité !
Maintenant c’est l’expérimentation sur scène qui le fait perdurer ?
En fait sur scène, ce n’est plus l’album, c’est le spectacle avec des chansons de l’album. Il faut ajouter une plus-value : si on ne joue que l’album sur scène, sans qu’il n’y ait de différence, ce n’est pas terrible ! Les gens qui vous font l’honneur de vous faire venir sur scène attendent quelque chose de plus que l’album.
Cette facette de la scène, qu’en ressors-tu ?
Ce qui est agréable avec la scène, c’est qu’on est un peu pris de tous les côtés. On a une équipe derrière, avec laquelle on joue, quand on n’est pas en solo, et on a le public devant. Donc il y a quelque chose d’humainement assez riche, assez puissant ! Et puis on bouge, on voyage, on rencontre plein de gens. Il y a toujours quelque chose à tirer des tournées. On était tout seul chez soi à écrire des chansons, et puis on se retrouve avec beaucoup de gens devant, derrière, et ça c’est très agréable ! C’est une chance de pouvoir faire de la scène, ça c’est sûr, tous les gens qui en font le savent et le disent !
Il y a une sorte de mythologie autour de la scène française actuelle où le rapport avec le public est particulier.
Mythologie est un bien grand mot ! La mythologie, la légende, ça ne m’intéresse pas trop. J’ai plus une approche assez directe de la chanson. Je pars du principe qu’une chanson doit être quelque chose d’assez simple. Même si on la sophistique, il faut que ce soit quelque chose d’assez simple, quelque chose de délivré directement au public. Donc justement pas de légende à public mais d’humain à humains. J’ai l’impression que les gens qui viennent me voir cherchent quelque chose de simple et de direct. Il y a des mecs dans le métier qui essaient de se faire passer pour des légendes, mais déjà il vaut mieux être mort pour être une légende, ça marche mieux ! Et il faut la postérité, or tout le monde n’est pas Jacques Brel, Gainsbourg ou Brassens ! C’est ces gens que je place dans la mythologie, et il n’y en a pas beaucoup de vivants, même parmi les plus grands. Ce n’est pas par mépris, c’est juste objectif.
Quand tu as commencé la musique, ce rapport à l’écriture, simple et directe comme tu viens de le dire, c’est quelque chose que tu ciblais ?
Raconter des histoires était pour moi quelque chose de très important. Les chanteurs que j’aimais étaient des gens qui me racontaient vraiment des choses, des gens dont j’écoutais les mots Je n’étais pas très intéressé par les morceaux purement musicaux, par la musique dansante où on a juste à bouger la tête. Je suis intéressé par la musique lyrique, par celle qui me raconte des choses, qui me transmet des émotions et des mots ! J’avais sans doute besoin qu’on me parle. Derrière ça, il y avait l’envie qu’on me parle et qu’on me raconte des trucs ! Donc quand j’ai commencé, c’était ça qui m’intéressait : avec 3 accords, essayer de raconter une histoire et d’être écouté du début à la fin. En avançant, je me suis enrichi de plein de choses et la musique, le son, sont devenus plus importants, alors qu’au départ ce n’était pas le cas. Au départ c’étaient les mots et trois accords : si j’arrivais à faire ça, j’avais l’impression d’avoir réussi quelque chose !
Cette forme d’écriture que tu as, on la raccroche à une forme de littérature poétique. Quand tu écris un album, est-ce que tu essaies de l’ancrer dans une temporalité d’aujourd’hui ?
J’aime bien regarder dans quelle époque je vis, me regarder dans cette époque : ce que je suis, ce que je représente, et ça ne me ravit pas toujours d’ailleurs ! Renifler l’air du temps c’est quelque chose d’assez agréable. Donc quand on arrive à trouver une image ou un reflet de l’air du temps, on est content de le partager ! Après ce n’est qu’une vérité subjective. Ce sont juste de petits éclats, de petites visions, des regards sur les choses, beaucoup d’autodérision aussi, mais ça ne va pas beaucoup plus loin que ça. Avec un petit côté satyrique, des petites fléchettes, mais ce n’est jamais trop méchant : c’est pour picoter, pas pour faire saigner. J’aime bien l’ironie, mais j’ai horreur du cynisme. On est dans une époque qui prêterait beaucoup au cynisme, mais on se perd dedans trop facilement. Derrière l’ironie il y a toujours un petit peu d’espoir, alors que derrière le cynisme c’est le chaos, c’est la fin du monde : on ne peut plus croire en rien ni personne ! Et même se moquer de quelque chose devient destructeur. L’ironie, non, c’est un autre exercice : c’est se moquer de quelque chose pour le magnifier, pour le faire exister, pas pour le tuer.
Dans les punchlines de tes chansons il y a une sorte de pansement sociétal. Lors de tes tournées, de ta vie personnelle, as-tu cette vision de vouloir polir ce qui ne va pas dans notre société pour ne voire que le beau ?
Dans ma vie personnelle je joue de façon naturelle un rôle de fédérateur, tout le temps, partout où je suis. On compte beaucoup sur moi pour essayer de mettre en valeur : je valorise beaucoup mes enfants, la femme avec qui je vis, les gens de mon équipe, sincèrement parce que je sais que cette harmonie est vraiment importante ! Donc quand on arrive à trouver des pansements c’est bien. Mais parfois les pansements ce sont des petites piqûres qui soignent. Après je pense que je joue dans ma vie, et dans la vie des gens qui partagent ma vie un rôle plus fédérateur positif que de destructeur fataliste, ça c’est sûr !
Tu as déjà une carrière bien établie. Est-ce que tu as déjà une vision de ce que tu aimerais faire ?
J’aimerais bien faire un album de chansons pures, très organiques, très acoustiques, très chantées, avec des mélodies bien recherchées, presqu’un album de crooner ! J’arrive à un âge où il va être temps de faire un véritable album de crooner ! (rires) Mais vraiment joli, pas trop gominé. Quand on arrive à mon âge, les albums que l’on prend en exemple, c’est comme celui de Johnny Cash avec plein de reprises magnifiques, avec juste de belles guitares. Ce genre de choses, oui, j’arrive à un moment où ça pourrait me faire vraiment envie. Mais je laisse venir…
Est-ce que tu recherches des collaborations ou est-ce que c’est vraiment ce que tu produis en musique ou en textes ?
Je collabore toujours avec des gens que j’aime. Sur cette tournée, parmi les personnes qui m’accompagnent il y a Sébastien Collinet qui a réalisé l’album, qui a énormément de talent à la fois de musicien mais aussi de producteur, Julien Lefèvre qui est un violoniste hors pair, quelqu’un avec qui on peut partager énormément, Hibu Corbel à la batterie qui fait aussi beaucoup de programmation, que des personnes pleines de qualités. Mon plaisir actuel en tournée, c’est de partager avec eux ! C’est ça la vraie satisfaction, c’est ce travail d’équipe. Donc je suis tout le temps en collaboration, je suis tout le temps en atelier : là j’ai fait un truc qui s’appelle « Chanson primeur » où j’ai rencontré plein de chanteurs et chanteuses, je m’adjoins assez facilement. Faire de la musique c’est vraiment la faire avec d’autres personnes, le vrai plaisir à l’arrivée, il est quand même là ! C’est plus dur d’être tout seul.
Le projet est à ton nom, on pourrait l’identifier à une seule personne, alors que c’est une histoire de groupe, de rencontres, de partage avec des musiciens.
L’idée c’est d’utiliser ce nom-là pour protéger un peu tout le monde, et pour laisser à tout le monde la liberté d’aller un peu n’importe où. Dès qu’on fait un groupe, il y a quelque chose de sclérosant, donc là ce sont tous des musiciens qui jouent avec d’autres chanteurs, et cette liberté est très importante pour eux. Donc voilà pourquoi le projet porte mon nom, ce n’est pas par égocentrisme, c’est par esprit de liberté, de jouer avec ceux qui acceptent de jouer avec moi et qui m’accompagnent et qui ont plein d’autres trucs autour dans leurs vies.
Aujourd’hui, dans le monde de la musique, avec qui rêves-tu de collaborer ? De préférence un vivant !
Ce serait mieux oui ! Il y a des gens que j’ai toujours adoré, mais je ne sais pas si je collaborerais avec eux, comme Arthur H que j’adore depuis très longtemps et qui m’a beaucoup inspiré. Mais je ne sais pas si ça l’intéresserait et je ne sais même pas ce que j’aurais à lui proposer ! En scène française pure et dure, il y a Dick Annegarn. Pour moi ce sont des valeurs sûres, mais pour faire des collaborations, il faut encore autre chose, il faut qu’il y ait une occasion qui se présente, ça ne se force pas. Ou alors il faut vraiment avoir une idée, un projet à dérouler : on n’appelle pas un mec en lui disant « toi, je t’aime bien, on pourrait essayer de faire quelque chose ensemble » ! Ou se rencontrer sur le chemin de la vie et qu’il y ait quelque chose qui se passe.
Photo de couv. © Souffle
Interview : Stéphane Perraux et Annick Fidji
Retranscription : Anma Leraud