FRANK DARCEL, LIVRE SA BLESSURE

Depuis de nombreuses années, l’artiste breton Frank Darcel s’adonne avec talent à l’écriture. Il vient de publier son 4ème roman au nom évocateur de mystère : « Vilaine Blessure ». Un pavé de près de 600 pages qui prouve, s’il en est encore utile, qu’il excelle dans tout ce qu’il touche. Triturant l’esprit des lecteurs avec une intrigue policière haletante aux personnages à la psychologie complexe, son roman captive et dérange même parfois. Une chose est sûre : vous n’en sortirez pas indemne.
Il nous en livre quelques pistes pour vous mettre l’eau à la bouche.
(Suite de l’interview dans la revue PERSONA n°9 disponible ici)

Tu es le co-fondateur du groupe Marquis de Sade mais également écrivain, producteur, homme politique et collectionneur d’art. Où trouves-tu le temps et l’énergie de mener autant de projets de front ?

Toutes ces activités me passionnent… Quand on aime, on ne compte pas… Ni les heures passées, ni les week-ends travaillés, ni les vacances oubliées. C’est une question d’organisation. Ma journée démarre souvent vers 5 h 30 ou 6 h. Je consacre souvent les deux ou trois heures qui suivent à l’écriture; il peut s’agir d’un roman en cours ou d’un travail sur un communiqué politique ou faisant partie du projet Breizh Europa. Par ailleurs, je suis en train d’écrire mes « souvenances »; je ne pense pas que cela méritera d’être publié un jour, mais l’exercice me plaît beaucoup. Il peut y avoir aussi, dès potron-minet, quelques dossiers administratifs à préparer pour notre label associatif LADTK. Je retourne ensuite dormir vers 9 heures, la conscience tranquille d’une certaine manière (rires), mais aussi parce que j’ai profité de ce moment de la journée où l’on a l’esprit le plus clair, en ce qui me concerne en tout cas. Et où tout est si calme. Après une heure de repos environ, la journée normale peut commencer : réponses aux mails, coups de fils… Parfois un peu de guitare avant ou après le déjeuner. Le reste de la journée, après une courte sieste postprandiale, peut se décliner en répétitions avec différents projets ou démarches administratives (vu mes différentes activités, ce poste prend beaucoup de temps). Je lève le pied le soir après dîner. Un peu de Netflix et un peu de guitare à nouveau, à la recherche de nouveaux riffs, pas trop fort, puis de la lecture souvent. Au lit vers minuit sauf en cas de sortie avec les amis, mais cela n’arrive plus qu’une fois ou deux par semaine ; c’est nécessaire ceci dit. Et sinon, il y a les journées d’enregistrement où la plupart du temps est consacrée au studio, puis à des soirées de détente. Il m’arrive également de passer beaucoup de temps en voiture, car le studio où je travaille est à l’autre bout de la Bretagne; et puis il y les dédicaces, et les amis à voir sur la côte. Bon, tout ça ne donne pas un très bon bilan carbone… et manque de sport… (rires). Je suis dans ce rythme depuis une grosse dizaine d’années : la direction de publication de l’histoire du ROK en Bretagne, le tome 1 sorti en 2010 et le tome 2 en 2013, et les campagnes municipales rennaises de 2008 et 2014 y sont pour beaucoup dans l’installation de cette organisation du temps plutôt spartiate. Cela a été un tel boulot pour chacune de ces deux aventures ! Il y a cependant des époques de ma vie, plus anciennes, où j’ai pu prendre mon temps et cultivé l’art de la glande. Je pense qu’à partir de la fin de l’année prochaine, je vais revenir à un rythme plus souple mais il y a deux trois choses importantes à aboutir avant.

Nous connaissons ton amour pour la musique et tes goûts rigoureux en la matière. As-tu écouté de la musique pendant son écriture ?

Bizarrement, j’écoute surtout de la musique en voiture. J’ai encore un lecteur CD embarqué, et je fabrique mes compilations… Ma voiture est une sorte de bureau, j’y trimballe mes stocks de livres et de disques (je fais une partie de la distribution des disques et des livres de LADTK moi-même), j’y mange, et y fais la sieste souvent. Mes compiles mélangent tout ce que j’ai aimé en 45 ans… Cela va de Suicide ou Bowie, en passant par les Byrds, Cream, à des groupes électro comme Otzeki, dont j’ai adoré le dernier album. Et Brahms et Wagner. Je suis un grand romantique…

« Vilaine blessure » est le tout nouveau roman noir de Frank Darcel, Clip réalisé par Jo Pinto Maïa.

Tu nous livres un roman noir aux multiples parcours, entre histoires lugubres et rebondissements dramatiques. Avais-tu élaboré autant de pistes au départ ?

Je voulais écrire un roman choral, avec plusieurs intrigues entremêlées. Je n’en savais pas plus. Beaucoup de choses se sont construites au fur et à mesure car je parcours souvent les intrigues et visite mes personnages avant de m’endormir, et je retranscris le lendemain matin.

L’écriture d’un roman de presque 600 pages prend du temps. Depuis combien de temps travailles-tu sur ce projet ?

J’ai commencé en septembre 2014, et cela a été lisible pour des éditeurs à partir de juin 2018. Mais derrière, une fois l’éditeur trouvé, Le temps Éditeur, j’ai voulu retravailler encore six mois pour vérifier certains points, régler la mécanique temporelle – les 600 pages racontent trois semaines d’enquêtes et d’événements, chaque détail compte – et fluidifier au maximum.

Pour donner âme à certains de tes personnages, comme par exemple la lieutenante Laure Jouan, t’es-tu inspiré de personnages existants ?

Oui. Il se trouve que, même si ce livre n’est pas un livre bilan, il est construit autour de confidences que l’on m’a faites depuis quarante ans. Le nombre de femmes et d’hommes qui ont été abusés dans leur enfance est bien plus important qu’on ne l’imagine souvent. C’est terrible ! Et quand on voit le temps que cela prend à l’église d’admettre les culpabilités en son sein, imaginez que c’est plus compliqué encore à l’intérieur des familles. Je suis quelqu’un à qui on s’est beaucoup confié, sans doute parce que je suis une tombe de ce point de vue-là. Alors oui, j’ai croisé la lieutenante Jouan il y pas mal d’années, et cette manière qu’elle a de fonctionner dans le livre est parfaitement authentique.

As-tu déjà des idées pour ton prochain roman ?

Il y a de très bons retours lecteurs et libraires sur Vilaine Blessure. Je pense donc écrire une suite. J’ai les grandes lignes en tête et comme une partie des personnages principaux existe déjà, cela pourrait donc sortir en 2022. Pour l’instant, je prends des notes manuscrites. Nous avons un album de Marquis de Sade en préparation et c’est plus urgent. Il y a par ailleurs ce travail écrit sur mes souvenirs; « mémoires » me semble un terme trop pompeux en ce qui me concerne. Et je le fais pour le plaisir…


Frank Darcel « Vilaine Blessure »
Édition : LE TEMPS ÉDITEUR
(15 mars 2019)