FACE IT, Debbie Harry, Blondie.

Les mémoires de Deborah Harry sont sorties cet automne 2019. Face It est disponible à la vente en version originale non sous-titrée et il faudra un peu d’attente pour la traduction française et les lecteurs que la langue anglaise rebute.

Debbie Harry, chanteuse emblématique du groupe Blondie (toujours en activité) souligne les influences et les événements et qui l’ont mené à la reconnaissance ainsi que des anecdotes qui même si elles semblent décrites avec détachement ont vraiment compté dans les tournants existentiels de l’artiste. Elle a élaboré ses mémoires en compagnie de Sylvie Simmons, écrivain spécialiste de musique, avec qui elle eut de longues conversations, qui ont pu l’aider à se replonger dans 50 ans de vie tout en gardant à l’esprit à quel point vieillir n’est pas si facile même lorsqu’on a été idolâtrée au 3ème degré par le passé. Debbie Harry confie à ce propos sa paresse devant l’entreprise énorme d’écrire sur tant d’années. On l’a comprend et on sourit et rit avec elle, un sourire si communicatif tant elle peut être très drôle et caustique ! 

Elle a pléthore d’histoires rock n’roll en souvenirs et Face It  est sur le mode conversationnel pas tant confessionnel. Le personnage de Blondie imprègne bien ce livre. En musique, Blondie a commencé à faire converger le punk rock à des teintes pop et même hip hop rap avec en toile de fond une bonne partie des grands musiciens et courants de ces cinq dernières décennies, dont quatre au siècle dernier. Blondie fut un des premiers groupes de punk pop rock à inclure du hip hop rap et à faire connaître ce style en éclosion des années 70, tour de force musical car succès commercial  : 

 

Dans ces mémoires, elle reprend son histoire, on apprend et on comprend, mais la chanteuse du groupe mythique demeure assez mystérieuse jusqu’à la dernière page. Ce n’est pas à 74 ans qu’elle semble vouloir se dévoiler plus, bien que cet opus regorge de réflexions et de fantaisie lucide et honnête que l’on pourrait trouver omises ou cachées chez d’autres artistes. 

Adoptée à l’âge de 3 mois par ses parents, très tôt, comme par un vaste public internationalement, elle fut élue la plus belle fille du lycée à 14 ans confirmant ainsi une valeur d’attractivité très précoce. Ce qui attirait et motivait Debbie Harry à l’époque n’était ni son objective beauté ni la gloire mais la créativité et les expériences extraordinaires.  

Elle fut un temps serveuse et elle s’est lancé très tôt dans la musique en chantant dans des groupes du New York des années 60. Un peu plus tard alors qu’ils tournaient dans des clubs de Los Angeles Debbie Harry et Chris Stein, son petit-ami de l’époque et co-créateur du groupe Blondie, se font repérer par Phil Spector le célèbre producteur. 

Debbie Harry livre un vif portrait de la scène new yorkaise bohémienne de la fin des années 60 dans laquelle la drogue jouait un rôle dans la vie sociale et faisait partie du processus créatif. Personne n’avait conscience de ses conséquences dramatiques. Elle admet avoir consommé des substances illicites, le revers et la face à peine cachée du show business. Celle qui a fait une expérience probante d’immersion dans un domaine masculin en majorité en fait toujours partie, les drogues en moins, bien loin. Elle a dû faire face, encaisser et lutter aussi. Elle glisse une courte remarque qu’elle aurait pu mieux gagner sa vie en étant prostituée que chanteuse. Elle fut héroïnomane lorsqu’elle était depressive et elle en parle avec un ton détaché, sans tristesse ni vulnérabilité à l’émotion, comme si elle avait pu exorciser tout par un incroyable sens de la résilience et une incroyable force de caractère. 

Debby Harry a touché a tout le ciné, la pub, et surtout l’art. Elle a parfait son apparence physique en l’adaptant à sa cinéphilie et aux créatures de rêve cinématiques au beau milieu des années 70. Le look de Marilyn Monroe l’a inspiré et incité à se décolorer les cheveux depuis l’âge de 14 ans et au-delà jusqu’à ses débuts dans la musique : 

(Marilyn Monroe) “was playing a character, the proverbial dumb blonde with the little-girl voice and the big-girl body … a woman playing a man’s idea of a woman”.

En tant que seule femme dans un groupe, car il faut encore le rappeler Blondie est un groupe et non une chanteuse lead ! elle savait qu’elle devait savoir s’imposer avec force, conviction et une certaine agressivité : “My Blondie character was an inflatable doll but with a dark, provocative, aggressive side. I was playing it up yet I was very serious.” 

Une femme sachant revendiquer subtilement en avant-garde

Debbie Harry en tant que modèle photo a su créer une rentabilité autour de son image et savait comment se mettre en valeur elle ou le décor. Souvent elle trouvait où elle serait le mieux prise en photo bien avant les photographes eux-mêmes. Muse d’Andy Warhol, égérie flashy du mouvement punk-pop elle a également fait du cinéma. On peut se souvenir de son interprétation de Velma Von Tussle dans la comédie  musicale de John Waters Hairspray. Celle qui a inspiré Madonna et compagnie, s’est vêtue d’une robe faite en lames de rasoirs bien avant la robe de Lady Gaga en viande.

Elle a réfléchi sur le vieillissement, au fait de vieillir et écrit que : «Vieillir, c’est dur à porter. Comme tous les autres, j’ai de bons et de mauvais jours et pendant ceux-ci, j’espère que personne ne me voit ».

Debbie Harry révèle qu’elle a eu recours à un lifting et compare la chirurgie esthétique à un vaccin contre la grippe: « Je pense que c’est la même chose que de se faire vacciner contre la grippe, une autre façon de prendre soin de soi (.) Si cela vous permet de vous sentir mieux, d’être plus belle et de mieux travailler (…)’’ .

 

L’icône punk rock des années 1980 a donc croisé les plus grands d’une génération comme Andy Warhol, David Bowie, Joan Jett, Patti Smith. etc. mais aussi le serial killer Ted Bundy. Elle révèle avoir presque été enlevée par ce tueur en série, tristement célèbre à New York au début des années 1970 dans sa voiture:

« Je n’étais même pas encore dans un groupe à l’époque. J’essayais de me rendre dans un club après mes heures de travail. Une petite voiture blanche s’arrête et le gars propose de me conduire »

Se montrant persévérant et serviable, elle finit par accepter de monter avec ce décidément trop bon samaritain mais réalisa assez vite le comportement bizarre et dangereux de l’individu.

Un des meilleurs albums !

Au tout début des années 80, les relations dans le groupe sont ternies notamment par l’annulation à la dernière minute de la tournée parce que Chris Stein souffrait d’une rare maladie auto-immune. Harry resta fidèle à son amour-amitié pour lui, autre membre fondateur du groupe. Dans la simplicité comme dans l’adversité, elle a arrêté toutes ses activités pour s’occuper de lui, alors qu’ils étaient déjà séparés, allant même jusqu’à perdre maison, voiture et biens de valeur pour cause d’impôts non payés. Elle reprit le travail dans un projet solo dès la guérison de Stein.

Le groupe s’est reformé à la fin des années 90, pour la sortie de quelques albums, ayant connu un relatif succès par rapport à la sortie de leur Best of par exemple. Concernant les évolutions de l’industrie du disque, dans Face It Debbie Harry fait allusion au début du combat des musiciens contre les géants Youtube et Google. 

Du bon comme du moins bon, du mauvais même, sur lequel elle revient avec des mots justes, bien choisis, éloquents sans trop en faire dans le sens et la portée. Elle ne fut pas indemne de tout, seulement résiliente et motivée à arrêter la consommation de drogue qui courait les milieux artistiques et qui pouvait illusoirement parlant lui faire descendre tension et pression, mais modifier à long terme le contrôle de sa voix/voie. 

Pas de villa hollywoodesque, de voiture de luxe….pour elle à présent une vie remplie, routinière et rassurante auprès de ses chiens dans son appartement new-yorkais suffit.

Face It captive par son écriture assez engagée et simple guidant la remémoration de ses 50 ans de carrière avec quelques surprises. On aurait néanmoins apprécié que Debbie Harry aille plus loin dans ses expériences liées à sa réification de la femme en poupée-objet, sur l’image qu’elle a appris à utiliser à bon escient, à mettre en scène par nécessité et goût pour l’avant-garde et sur la nature de la gloire et reconnaissance. Peut-être est-ce lié à une subtile retenue, une timidité de ne pas vouloir tout livrer. 

Les années ont passé, son beau sourire reste. 

Face It, a memoir, Debbie Harry (avec la participation de Sylvie Simons), Harper Collins, 2019. https://www.facebook.com/Blondie/

Van Memento Maury