DALVA RACONTE LEUR “RAIL”

David et Camille nous racontent, au travers de leurs multiples rencontres artistiques et humaines, le cheminement qui a donné vie à DALVA.
Les deux complices, à la ville comme à la scène, sillonnent le monde du BLUES en lettres capitales comme leur seul et unique étendard, dans cette passion qui les conduit du Mississippi au fleuve Sénégal, en passant par Bruxelles et les banlieues parisiennes, pour finalement atterrir en Bretagne.
DALVA, c’est le chant des libertés enchaînées en lien avec une musique qui vibre au cœur-même de nos racines.
Interview…

Comment décririez-vous l’univers musical DALVA ?

David
: Camille et moi nous sommes initialement rencontrés autour du blues. Mais d’autres choses qui font partie de ce qu’on est, comme la scène rock anglo-saxonne féminine, avec des artistes comme PJ Harvey. Je suis né dans un environnement très métissé à Bruxelles, avec des gens de la
communauté congolaise et marocaine, Donc j’ai toujours un intérêt pour la « black music », tant pour la soul que pour le blues et pour les musiques africaines. J’ai eu la chance notamment d’aller jouer au Burkina Fasso avec Victor Démé. Je me suis de plus en plus intéressé au blues touareg et
j’ai commencé à créoliser mon jeu. Avec Camille, on a voulu tisser un chemin musical qui est une tentative de blues contemporain, où on créolise avec ce premier album le blues racine avec le rock noise et la musique touareg et malienne. Pas sûr que le deuxième prenne cette direction-là. C’était un chapitre qu’on a voulu écrire…

C’est une première ouverture en tout cas !

David
: Exactement, c’est une première ouverture.

Camille : C’est un premier album qui pose la question de « Qu’est-ce que le blues aujourd’hui et comment il résonne pour nous ? ». C’est un premier album qui s’est autorisé à aller malaxer ce mot, chercher à droite à gauche jusqu’où on pouvait tirer. Il y a des morceaux qui vont être beaucoup plus modernes que d’autres, on passe dans des univers différents, avec un fil conducteur qui passe par la guitare de David et ma voix.

David : Pour qualifier l’album, on a imaginé cette appellation un peu poétique : « blues des déserts
urbains ».

Camille DALVA – Crédit photo Claire Huteau

« Blues des déserts urbains » décrit parfaitement ce mélange, ce que vous en faites, quelque chose de concret avec un sens profond…

David : On aime parler de créolisation, une démarche où l’on tisse quelque chose entre la culture blanche et la culture noire. Ce n’est pas juste une question artistique, c’est une question politique aussi pour moi. Comment arrive-t-on à faire que ces mondes communiquent aujourd’hui, dans une
société de plus en plus repliée sur elle-même ? Comment est-ce que ça peut communiquer ensemble ? Une question que d’autres artistes se sont posés avant moi.

La notion de culture est intellectualisée et un peu « biaisée » par une vision souvent unique de nos sociétés. Mais c’est aussi une question qui est propre à la culture « en marge », qui vit là maintenant, dans la même temporalité. Cette culture qui vient de l’urbain pose vraiment la question des origines de tout. Pas uniquement sur l’identité, mais sur une appartenance, des origines et des déserts du futur…

Camille : Je le pense oui, parce qu’on est finalement tous déracinés, à des tas de niveaux. Et ce n’est pas qu’une question de race. Cette société nous coupe de nos racines, de nos cultures. C’est un questionnement qui recoupe plein de choses et qui est cruellement actuel.

J’ai relevé dans l’album quelques points précis : la notion de lien qui est assez forte dans vos textes et votre musique. Est-ce quelque chose de volontaire ou au contraire qui s’est tissée au cours de l’élaboration du projet ?

Camille : C’est malgré nous. Ce n’est pas un mot qui est beaucoup revenu en tant que tel dans nos discussions. Il fait partie des questionnements qu’on aborde et qui viennent en filigrane se glisser
dans les textes et la musique.

David : C’est vrai que sur la question du lien, de la communauté est importante pour nous : comment « refaire communauté » ? Parce qu’on vit dans un individualisme brutal aujourd’hui.

Cette hyper individualité qui semble être partout, est-elle une nouvelle forme de violence ? Vous la citez aussi dans vos chansons…

David
: L’hyper-modernité occidentale a détruit toutes sortes de communautés et de collectivités. La Bretagne par exemple, est une terre où l’on essaye encore de tisser du collectif. Après pour moi, il y a quelque chose de plus complexe que juste faire une asso ou une coopérative ; c’est la
question du lien avec une mémoire populaire, avec une culture populaire, que le capitalisme industriel a tué. Quand tu vois sur les chaînes TV tout ce qui colonise l’imaginaire des gens… Et après on nous dit : « oui mais les gens demandent ça. » Non. Les gens ne demandent pas ça ! On leur met ça devant les yeux et ils regardent. On construit une culture détestable.

Camille : On n’a pas mis le mot lien, mais on a mis le mot « rail » comme titre de l’album. C’est par ce titre que, finalement, le mot lien existe.

Revenons au sujet de la composition. Vous êtes un groupe d’horizons
relativement différents, comment avez-vous fait pour concentrer toute cette énergie, toute cette culture-là dans un seul et même album ?


Camille : C’est un processus assez long, qui a commencé quand on s’est rencontré. On a repris des textes de vieux blues, qu’on a réarrangé sur un premier EP en 2016, comme une première esquisse de travail. C’est à moment-là que l’on a appris à travailler ensemble, à partir des compositions de David alimentées par nos discussions. Il y a toujours eu un aller-retour assez naturel entre ce qu’on va évoquer, et la musique qui en émanera au final.

David : C’est vraiment un travail d’abord à deux. J’ai eu des expériences plus collectives dans certains groupes en Belgique. Avec DALVA, j’avais vraiment envie de pouvoir m’exprimer entièrement, pas juste en tant que guitariste, mais en tant que compositeur. On est deux personnes cérébrales, mais en même temps très instinctives. Je n’écris pas la musique. Je compose des « groove » de batterie dans ma tête, ensuite je compose les lignes de basse ou je les joue sur une guitare. J’empile ensuite les couches et j’imagine comment ça peut s’aménager en studio. J’ai toujours fonctionné comme ça, sans partition. La culture de l’oralité est lié au blues et au rock.

DALVA – Lonely Greyin’ Blues // from the album “Rail”

Vous faites ensuite intervenir les autres membres musiciens sur les arrangements. J’imagine que c’est plus un travail de studio ?

David : D’abord sur d’une résidence de préparation au studio. On n’avait pas les budgets pour rester 2 mois ou 3 mois en studio. Nous, ça a été 10 jours d’enregistrement, ce qui est déjà énorme.
Il y a eu des modifications en studio parce que parfois, tu redécouvres ton propre morceau et tu vas l’emmener complètement ailleurs. Il y a eu de belles réussites, comme Lonely Greyin’ Blues, avec cette direction très atmosphérique, un peu dans la veine de Radiohead. Il y a parfois des choses qui se révèlent en studio que tu n’avais pas perçues. On a eu un chouette regard au studio à Bruxelles.
C’est bien d’avoir un ingé son qui est aussi un artiste.

Où avez-vous fait cette résidence ?

David
: Nous avons fait des résidences dans des lieux comme le Grand Logis à Bruz (35) ou le Forum à Nivillac (56).

Camille : Sur l’album, on a essayé de faire exister tout le monde. Les musiciens bruxellois et les musiciens bretons sont dessus. Tout le monde a mis sa pierre à l’édifice.

Ça vous donne une facilité d’être programmés dans d’autres territoires ?

David : Aujourd’hui, beaucoup de musiciens démultiplient les projets. la chanteuse, elle, n’en a qu’un. C’est un vrai problème, puisqu’elle ne vit que de DALVA, là où les autres non… Notre batteur par exemple, est aussi le batteur de Santa Cruz ; le bassiste joue également avec Lo’Jo. C’est la réalité d’aujourd’hui.

DALVA – O’Berta / Berta Berta // “Rail”

Qu’est-ce qui vous motive le plus dans l’esprit même de ce blues sans frontières que vous développez ? Qu’est-ce qui vous a motivé pour aller là-bas ?
David : Ma musique est à l’image de mon histoire. Les ghettos artistiques m’ennuient. Il faut de l’oxygène. La créolisation musicale décloisonne des styles et des milieux.

Mais le blues porte une étiquette relativement généraliste, sans pour autant lui donner corps avec un mouvement particulier ?

Camille : En effet ! C’est comme si tu n’étais rattaché à aucune histoire. Il y a des gens qui te parlent de jazz, ils ne le relient jamais au blues. Un déni total de l’histoire.

David : Les musiques se sont forgées dans un terreau, dans une histoire, dans une culture. Aujourd’hui, on jette tout ça à la poubelle pour ne garder qu’une forme clownesque, vide et détachée de la mémoire poétique que portent les musiques populaires. Sans aucune forme de prétention, peu des spectacles que je vois aujourd’hui me touchent. Un des spectacles qui m’a touché dernièrement, c’est Shannon Wright au Trabendo. Là j’ai dit «Enfin du rock qui ne triche pas ! ». Parce qu’elle est enracinée dans ce qu’elle raconte sur scène.

DALVA – Fool’s Gold Blues // “Rail”

Mais pourtant, il existe énormément de projets avec des styles d’horizons musicaux très différents. C’est la preuve qu’il y a encore des talents à découvrir, avec de vrais choses à dire ?

Camille : Cette culture-là existe bien sûr, mais elle est bâillonnée par un diktat culturel terrible.

David : Un totalitarisme médiatique et culturel de plus en plus fort, où les interstices sont de plus en plus faibles. Il reste peu d’espace pour la musique indépendante.

Camille : Il y a qu’à écouter les radios grandes ondes aujourd’hui, c’est un bon baromètre. Les radios à l’échelle locale, ou indépendantes, se battent pour défendre la culture d’un territoire et des productions plus « invisibilisées », mais c’est tellement marginal.

Il y a dans votre musique un côté très littéraire. Etes-vous sensible à cela ?

Camille : Ce constat fait partie de mon autocritique justement. J’ai envie d’épurer, de sortir du trop littéraire, presque trop cérébral pour arriver à quelque chose de plus essentiel, plus viscéral.

Tu penses ne pas avoir atteint ce côté viscéral ?

David
: Je pense que Camille est juste consciente de son cheminement. Pour la suite, on veut une écriture plus brute, viscérale et instinctive. Mais oui, les textes sont importants dans Dalva.

Camille : Disons que j’ai envie de me mouiller, de ne pas être uniquement dans une forme de constat, mais de m’impliquer plus intimement, de rentrer dans le vif… Je pense que cette réflexion prévaut autant pour la musique que pour l’écriture.

David : En tant que musicien, j’ai toujours aimé jouer pour du texte. J’ai beaucoup composé avec des chanteurs, des slameuses. J’aime bien cette idée de repenser une chanson populaire, dans le sens
noble du terme. Le combat, il est là.

Comment vous positionnez-vous dans quelque chose de militant ou d’engagé ?

David : Je n’aime pas trop ce mot-là. « Engagé », c’est déjà la distinction binaire entre « divertissement » et « engagement ». Le capitalisme créé ces cases. Car oui, ce sont des cases. Je me définis comme un griot. On disait que dans ce monde moderne, on a perdu cette transmission des mémoires populaires. Le rôle du musicien, ou du poète, c’est de retisser ce lien entre les gens. Quand Muddy Waters parle du lynchage des noirs ou de sa vie d’exploité, il n’écrit pas un prêche.
Mais il transmet une histoire commune, et de fait milite contre les injustices infligées à sa communauté.

DALVA – Intoxicated Man // “Rail”

La notion de militant, ce n’est pas forcément quelqu’un qui va manifester dans la rue mais qui va aussi apporter une idée, une parole. Sans pour autant prêcher. Militer ne signifie pas « convaincre l’autre » mais plus « faire entendre une voix pour qu’elle soit prise en compte et surtout pour qu’elle soit entendue ! »…

Camille : Le mot en soit oui, évidemment. C’est la manière dont il est récupéré aujourd’hui qui pose souci.

David : Je ne veux pas qualifier mon art d’ « art militant ». Par contre oui, je suis un militant qui fait de l’art. Mon art pose une parole sur la question raciale aujourd’hui, sur la question sociale, donc mon art est politique. Je sais que mes détracteurs veulent m’enfermer dans cette image de militant et d’agitateur. Je préfère le terme de « griot ». Je fais bien la distinction entre un griot et un prêcheur. Les prêcheurs sont des moralistes et non des artistes.

DAVID & CAMILLE – DALVA – Crédit photo Claire Huteau

C’est intéressant d’avoir cette notion-là, de pouvoir dire des choses sans pour autant les imposer, en laissant aux gens la possibilité de les traduire ?

Camille : Ce qui est très important, c’est de pouvoir laisser à l’auditeur une part d’imaginaire. Une partie de l’oeuvre lui appartient quelque part. Attiser les imaginaires, titiller les curiosités, c’est important, c’est vouloir proposer un univers, un voyage dans lequel finalement on laisse cette
liberté.

Je trouve aussi que votre musique est très imagée. Pas dans le sens péjoratif du terme mais plutôt comme une sorte de BO de film. Vous semblez y attacher une grande importance, surtout dans vos clips ?

Camille : Nous sommes passionnés de cinéma tous les deux. Je suis fort en lien avec des gens de l’image, et David est également très pointilleux là-dessus. Il était important pour nous de marquer une identité visuelle, même avec peu de budget.

David : Pierre Vanneste, photographe et documentariste Bruxellois, a tourné les images du clip de « O’Berta ». Il s’agit en fait de rushs de son web-documentaire « Dremmwel » sur la surpêche tourné entre Lorient et Dakar. Ensuite, on a travaillé avec une autre équipe, dans l’idée d’un rendu plus
onirique autour du triptyque « Fool’s gold blues », « Lonely greyin’ blues » et « Intoxicated man ».

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Stef’Arzak

DALVA – Rainin’ // Jet Studio Session