[Ciné] « A House of Dynamite » de Kathryn Bigelow. Quand votre cœur fait « boum ».

Des vampires qui se terrent en plein désert, une jeune « rookie » harcelée, des surfeurs braqueurs en quête de liberté, un flic corrompu aux portes de l’an 2000, un meurtre sordide sur un voilier, un sous-marin soviétique aux mains d’un despote, la culpabilité grandissante d’un démineur en Irak, une chasse à l’homme post 11 septembre et des émeutes sur fond de ségrégation raciale. Bienvenue dans l’univers de Kathryn Bigelow, réalisatrice américaine éclectique et électrique.
Touche Rewind et saut dans la faille spatio-temporelle : été 1991. Un thriller hallucinant s’élance vers les salles obscures et atomise le box-office : « Point Break ». Film inclassable (ode écolo, trip new-age, pamphlet libertaire et critique de la surconsommation pour le fond, expérience des limites pour la forme) mais bankable, « Point Break » séduit instantanément par son audace et ses icones viriles. A l’instar de ses pairs (James Cameron, son ex-mari, ou encore John Mc Tiernan) Mme Bigelow aime la testostérone sous toutes ses formes. Toutefois, son « Point de Rupture » fait figure d’OVNI cinématographique tant il est perverti par un détournement constant des codes attendus. Patrick Swayze (faux gendre idéal et vrai acteur) et Keanu Reeves (un pied dans le mainstream avec « YoungBlood » de Peter Markle, l’autre dans le road-movie gay avec l’excellent « My Own Private Idaho » de Gus Van Sant) ont très bien assimilé ce mélange des genres. Leur amour impossible -sur fond de bromance suicidaire- demeure l’un des coups de poker les mieux orchestrés en pays républicain. Doigt d’honneur adressé à l’establishment, « Point Break » est le versant « punk » du film d’action made in Hollywood. Pour preuve, ces masques de latex à l’effigie des présidents américains portés afin de mieux piocher dans la caisse ! Gauchiste, Kathryn Bigelow ? Simplement très intelligente. N’en déplaisent à critiques limitées s’étonnant qu’une femme soit aux commandes de ce « divertissement » étrange et survolté, l’avenir du cinéma d’action se verra donc, en 1991, doté d’une nouvelle signature.
Touche Forward. Octobre 2025.
 » A House of Dynamite », dernier opus refermant le cercle orchestré avec « Démineurs » et « Zero Dark Thirty », est programmé sur une plateforme bien connue. Point de grand écran pour cette nouvelle production de notre cinéaste badass. Une petite avant-première à la Mostra de Venise mais aucune programmation hors TV annoncée. Signe des temps.
Ce qui « frappe » d’entrée, c’est le caractère sauvage de cette nouvelle entreprise de démolition. Mme Bigelow filme comme si sa vie en dépendait. Montage nerveux, plans virevoltants, (dé)cadrages soigneusement pensés, tout va très vite dans cette critique acerbe de la géopolitique mondiale. Un missile, dont l’origine est inconnue, se rapproche dangereusement de Chicago. 20 minutes pour réagir avant l’explosion. S’ensuivent trois points de vue sur un seul et même évènement. Trois chapitres aux titres distincts. Trois films en un.
La réalisatrice de « Strange Days » plonge, à nouveau, dans un chaos ultra contemporain et interroge notre sens moral. Face à l’absurdité de la guerre, quelle attitude adopter ? Représailles ? Flottement face à l’incertitude ? Passivité ? Prudence face à un ennemi voisin mais invisible ?
« A House of Dynamite » (putain, ce titre !) s’inspire de la mécanique de « Rashomon » de Kurosawa et d’ »Angles d’attaque » de Pete Travis, la nervosité en plus.
Rien n’est laissé au hasard dans cette œuvre proche du documentaire, à la sensibilité très « Sundance Festival« . Happer le public ? Ok. Le faire réfléchir ? C’est encore mieux.
En ce sens, l’ombre du regretté Robert Redford plane sur ce brûlot. Entre pertinence du propos (voir « Lions et Agneaux » du réalisateur/producteur/acteur précité) et efficacité narrative redoutable, « A House of Dynamite » est un véritable blockbuster d’auteur. Poignant et renversant. Sidération. Au détour d’articles passés en revue, plusieurs journalistes pointeraient du doigt la pseudo fascination malsaine de la réalisatrice pour les armes à feu et la technologie de pointe. Propos totalement déplacés et infondés. Bigelow facho ? C’est tout le contraire. Il suffit de voir la superbe fin ouverte de son dernier long-métrage pour s’en convaincre. Selon notre Californienne, la balle (dum-dum ?) reste dans notre camp quant à une riposte -ou non- en cas de guerre nucléaire. Question d’éthique. Un billet dans l’urne faisant toute la différence.
Enfin, si vous êtes friands de casting fulgurant, il y a du beau monde au balcon. A commencer par la présence magnétique de Rebecca Ferguson dont le jeu en retenue (on ne pleure pas dans la Maison Blanche) ne cesse de se fendiller au gré des annonces dramatiques. A ses côtés, Jason Clarke (vu dans le maladif « Terminator Genysis« , autre film sur la fin du Monde) oppose un « acting » massif sans aspérité et sans faute de goût. Et il faudra patienter jusqu’au dernier acte pour découvrir Idris Elba (dont les apparitions à l’écran devraient être remboursé par la Sécurité Sociale), totalement investi dans son interprétation du Président des U.S.A… Bluffant de naturel, cet artiste total clone Barack Obama avec panache et décontraction. Et comment ne pas songer à cette scène surréaliste où George W. Bush (en pleine lecture d’un livre jeunesse dans une école primaire) apprend par son secrétaire général que le World Trade Center vient d’être percuté par un deuxième avion? Seule réponse du « Chef des Armées » : un regard vide et sans âme. Idris Elba nous rejoue la scène, à sa façon, lors d’une démonstration de basket auprès de jeunes adolescents. La réactivité en plus.
Réactivité. Voici le maitre-mot de ce grand film qui aurait, vraiment, mérité un grand écran.
Depuis « Détroit », autre chef-d’œuvre instantané, Kathryn Bigelow ne cesse d’interpeller son Pays frontalement. « A House of Dynamite » pousse encore plus loin les curseurs tant il semble être confectionné la veille. Terriblement contemporain. Terriblement alarmiste. Totalement alarmant.

John Book.