CANNIBALE – JE DEMANDE LE CHANTEUR

L’univers du rock est un grand panier bien garni. Shake, shake, shake. Secouez, secouez, secouez, il en sortira toujours un lapin un peu particulier. Le magicien d’Oz, observant l’intérieur de son haut de forme… est encore surpris. Jamais le même.

Sur la planète du Biches festival, venu il y a deux ans, puis revenu cette année, enflammait un public en osmose, en extase, propulsé par une prestation jouissive, le lapin se nommait Cannibale. Groupe normand niché dans l’Orne, mais qui pourrait tout aussi bien venir du Canada ou d’Australie.

Rencontre avec le chanteur, Nicolas, surprenant et multiple.

Touche-à-tout, il pratique dès l’adolescence la batterie, gratouille, mais se trouve piètre musicien. N’ayant peur de rien, il forme Amib, avec Manuel, rencontré derrière le gymnase; « On fumait une clope ensemble« . Premier groupe donc, mais Nicolas s’oriente plutôt vers le chant. Il pratique aussi le théâtre, il a 16 ans, le bel âge.

Nicolas pratique le dessin, fait une fac d’arts plastiques à Rennes. A un âge avancé pour être étudiant (il a la quarantaine), il reprend les études et finit par obtenir une licence… il y a 2 ans. On vous le dit, il n’a peur de rien. « J’avais envie de m’y remettre à fond, de dessiner. Je fais des interventions dans les écoles. Avec un collège de Clermont-Ferrand, on a même réalisé un petit dessin animé ».

Il a toujours fait les pochettes des albums. Il a son style, ça crée une impression forte sur le visuel du groupe.

Après une étape avec Bow Low, 3 albums et 1 EP, ce sera la naissance de Cannibale avec deux nouveaux membres : Antoine à la basse et Cyril à la batterie. Décomplexés et avec de nouvelles influences. Manuel, qui a séjourné plusieurs fois en Colombie, ramène des compilations… « Dans sa tête, ça mixe, ça ingurgite, ça chope, ça mange des petits bouts musicaux d’ici et d’ailleurs, donc Cannibale« .

Le premier album, No mercy for love, s’engouffrait dans une nuée sonore exotique et joyeuse, avec des rythmes africains et caribéens et une sonorité rock garage.

Le deuxième album, Not easy to cook, plus pop, est bizarrement plus garage que le premier en live, plus direct, plus puissant, plus martelé.

Sur scène, l’influence du théâtre est un terrible et vivifiant champ d’expériences qui offre différents rôles à jouer.

Sur scène, Nicolas a un côté Charlie Chaplin : comique par ses attitudes, il inspire aussitôt de la sympathie, mais dès la chanson suivante, il peut très bien se muer en prêcheur, proche d’un Robert Mitchum dans « La nuit du chasseur ».

« J’ai fait beaucoup de théâtre, mais pour un concert, il a fallu réapprendre, apprendre au service de la musique ».

« Avec le groupe, on s’amuse beaucoup; ce côté un peu théâtral, comme une messe, me fait tripper… Les chants ecclésiastiques, liturgiques, les chants hauts perchés, chanter dans les aigus, on adore ça; on a été énormément influencés par Ennio Morricone, on est très fans de westerns spaghetti ».

« Manuel compose tout chez lui, de manière artisanale, et il pose une voix témoin avec des métriques de chant. J’interviens ensuite ».

« J’ai des textes écrits d’avance. J’ai un petit carnet de poésie, j’écris beaucoup; j’écris en français, je m’inspire de ça puis je transforme en anglais. Je prends des bouts, je bricole. J’écris comme je dessine. C’est mon passé d’étudiant en arts plastiques qui me poursuit. Je modèle; j’aime bien la sonorité des mots et j’essaye quand même de trouver du sens pour moi; c’est très empirique la façon de créer les textes, j’aime bien quand ça dégueule un peu, quand c’est un peu sale ».

Et la langue de Molière alors ?

« Pour le prochain album, j’essaye d’écrire en français mais c’est loin d’être gagné parce que c’est compliqué; surtout quand tu veux t’insérer dans la grande histoire de la chanson française. En fait, tu as toujours le sens, donc c’est un gros complexe d’écrire en français; les anglais, ils s’en foutent de ce que tu racontes; en français tout de suite, il faut tout comprendre…« 

« Je voudrais écrire de manière très psychédélique à la manière d’André Breton, que ça ressemble à de la poésie dadaïste…« 

« Je me considère avant tout comme un plasticien ».

Sur le titre Hoodoo me, il se transforme en Elvis, comme de la glaise. Caméléon, il se modèle, toujours là où on ne l’attend pas.

Éternel adolescent de seize ans, curieux et enthousiaste de tout, il se retrouve encore derrière le gymnase et continue d’imaginer un autre possible, une autre façon de s’accomplir dans cet univers, de transgresser les genres, de surprendre. Dadaïste donc.


SZAMANKA

Photo : Titouan Massé