Brancher les guitares.

Je n’ai jamais aimé Jethro Tull. C’est peut être une faute musicale de ma part ou je ne suis pas assez vieux pour comprendre le talent des musiciens et la discographie du groupe. Mais plus généralement l’utilisation de la flûte traversière dans le rock et le heavy métal me laisse songeur. Cet instrument à plus sa place dans le folk, le trad et la musique classique…à moins que.

On-GAKU : our sound !

On – gaku : L’affiche version GB / US

Fin 2019 sort au Japon, le long métrage réalisé par Kenji Iwaisawa, du tiré du manga d’Hiroyuki Ohashi « On-Gaku ». Le pitch est simple, trois lycéens délinquant décident de former un groupe de rock. Jusque là rien de très étonnant, même banal pour tous lycéens en mal de vivre et qui ont une passion commune. Mais dans ce film,  ils ne savent pas jouer, ni chanter…La réunion d’un ensemble vide musicale. Aucun des trois protagonistes (Ota, Asakura et Kenji) n’ont le moindre rapport avec le rock, ni de près ni de loin. Ce sont juste trois délinquants en mode “Baston, Playstation, Baston”. La découverte des instruments va-t-elle révolutionner leurs quotidien ?

“Kenji le leader, est un délinquant réputé dans la petite ville où il habite. Un jour, il se met en route pour donner une correction à une bande de punks, mais ne trouve pas le lycée où ils étudient. Le lendemain, alors qu’il rentre chez lui, un inconnu lui confie une basse. Il décide d’essayer d’en jouer avec ses deux acolytes: c’est le début des Kobujutsu!* “

* Kobujutsu est un terme désignant des œuvres d’art anciennes.

Do It Yourself !

Ce long métrage représente à lui seul ce que le rock transmets comme valeur. Nous pouvons tous prétendre à créer un groupe et faire de la musique. La musique est un art qui se doit d’être accessible à tous. Le rock et plus directement le mouvement punk répondent à cette possibilité ( et le rap aussi plus récemment dans l’histoire des musiques urbaines ). Pas besoin d’avoir étudié au conservatoire pour se faire plaisir : “Tu ne sais pas jouer de la basse, pas de problème ! Fait le quand même”. L’essence même de la création est là.

La démarche du réalisateur dégage aussi une rock n’ roll attitude.  Il quitte son job pour se consacrer à son projet, vit de petit boulot. Il recrute d’abord les animateurs sur internet. Suivrons 7 années de production. Pas à pas, tranquillement plus de 40 000 dessins sont réalisés pour cette œuvre. Kenji Iwaisawa est un artisan de l’animation, car des contraintes du départ il en fait des avantages ( une histoire originale auto-édité et qui rencontre un petit succès et surtout pas de budget donc pas de studio ! ). Artisan aussi dans la conception et la réalisation du film. Car il se permet de prendre le temps de faire les choses de la meilleure des façons.

Le résultat est saisissant : le caractère design est respecté, ( c’est évident puisqu’il travaille avec Hiroyuki Ohashi le mangaka – sic –  ) mais surtout le graphisme est en parfaite adéquation avec le sujet du film. C’est simple et efficace comme un bon album rock ! N’ayant pas de budget, ils travaillent avec le principe de la Rotoscopie : technique d’animation cinématographique qui consiste d’abord à filmer les personnages dans les situations et en mouvement. Puis les reproduire étape par étape par le dessin. La rotoscopie est donc une ancienne technique qui n’est plus utilisée, mais qui présente l’avantage d’être beaucoup moins cher qu’un studio d’animation. Cette technique favorise à mon avis le trait des animateurs et la poésie qui se dégage des nombreux décors. L’inconvenant se situe aussi sur le délais de réalisation, hélas c’est beaucoup plus long à faire. Il y a des moments de grâce, quand passant de l’animation simple à des choses beaucoup plus colorés, les prises de risques graphique traduisent le son et la musique à un niveau rarement atteint dans les productions du pays du soleil levant.

L’utilisation de la Rotoscopie dans le film (extrait des Bonus du DVD).

La poésie triomphe toujours. Plusieurs prix dont celui du Festival d’Ottawa, de  Noburō Ōfuji,du prix du film Mainichi. Et en France aussi, grâce au prix de la meilleure musique originale long métrage au Festival de l’animation de Annecy en 2020. La séquence final est selon moi la meilleure traduction graphique que nous éprouvons lors d’un concert ! Comme Kenji ( le délinquant, pas le réalisateur ^^ suivez un peu ! ) nous volons au dessus des autres ( et je ne fais pas référence ici à un stage diving ) et franchement cela nous fait du bien.

En plus de passer 70 minutes de bonheur, je vous conseil vivement le visionnage des bonus. Ils expliquent très bien l’histoire, la phase de production du film, les contraintes techniques. Et rend au final un vibrant hommage aux musiciens qui ont participé à cette aventure. Musiciens de talent qui produisent “live” la musique du groupe Kobujutsu. Ambiance musicale qui se situe entre  le rock / métal expérimentale [ ( Sunn O ))) ] d’un côté. Et de l’autre un rock progressif teinté de folk. Qui évite soigneusement les clichés du guitare-héro avec un solo de 27 minutes sur une guitare fretless. Récompense donc mérité à Annecy. 

Kobujutsu le nouveau power-trio du rock ?

Peut être est-il temps pour moi de revoir mon opinion sur l’utilisation de la flûte dans le domaine du rock ? Qui sait. Mais quoi qu’il en soit ” On-Goku” est un film qui vous laisse avec le sourire et l’envie de brancher les guitares…

Cet article est dédié à mes amis du groupe Toprec et du collectif Abus d’Obus avec lesquels j’ai l’impression d’être comme Kenji ( le musicien, pas le réalisateur  :-))

Ekimr

Illustration : Mike Rouault