La 9ème édition du Binic Folks Blues Festival vient de s’achever dans la charmante station balnéaire familiale des Côtes-d’Armor, transformée pendant trois jours en capitale de la scène indé garage rock.
Cette édition aura incontestablement été un énorme succès, drainant une affluence record (près de 45.000 spectateurs), pour plusieurs raisons :
1. Disons-le tout de go : le cadre du festival est somptueux, en plein cœur du centre-ville, près du port, et jusqu’à la Plage de la Banche. Cette configuration particulière procure un sentiment de liberté unique, au contraire des autres festivals où toute sortie des lieux est définitive, et rend rapide et aisée la circulation entre les deux scènes du centre-ville (Pommelec, La Cloche) et celle située près de la plage (Banche).
2. L’organisation parfaite orchestrée par l’association La Nef D Fous. Tout ici est fait pour le bien-être des festivaliers (navettes bus gratuites depuis les communes voisines de Plérin et Saint-Brieuc, l’hébergement en camping pour une modique somme de 10€ par personne et par jour). La sécurité est rassurante et bienveillante (on n’a pas affaire ici à des cerbères musculeux acariâtres et désagréables).
3. Le festival est un lieu de décloisonnement total et transgénérationnel. Je me remémorre l’enchantement de l’adorable Vivianne, originaire de La Torche dans le pays Bigouden à 2h30 de Binic, 75 ans au compteur, à l’issue du set monumental de Cash Savage and The Last Drinks dimanche. ‘’Une amie m’en avait parlé, c’est la première fois que je viens à Binic parce que j’aime le rock garage. J’ai pourtant sillonné toute l’Europe des festivals mais celui-ci est vraiment magique !’’.
En dépit de notre génération d’écart, nous venions tous deux de vivre intensément ce même moment unique empreint d’émotions fortes, au-delà de toutes frontières discriminantes, qu’elles soient d’âge, de classe sociale ou que sais-je encore…
Mais au-delà de ces trois facteurs clés de succès, quelles performances artistiques retiendrons-nous ?
Cash Savage and The Last Drinks aura été l’attraction majeure du festival.
Les trois sets des Australiens de Melbourne auront été des moments rares et intenses. Le dernier concert de leur tournée européenne débutée il y a deux mois, aura été une apothéose dominicale, brillantissime. Cash Savage a le talent de son compatriote Nick Cave (à noter que tous deux sont natifs de l’Etat du Victoria) et ses Last Drinks n’ont rien à envier aux Bad Seeds.
La comparaison déclenchera des grincements de dents et des sourires narquois, mais elle n’a d’évidence rien d’audacieuse : le talent et la personnalité de Cash Savage sont immenses et très largement sous-estimées.
Son seul regard et la façon qu’elle a de parcourir la scène, déjà bien trop petite pour elle, révèle un énorme charisme. Vous savez, ce don naturel puissant qui vous fascine et vous séduit, vous électrise, vous capte pour vous emmener sur les versants (parlons plus volontiers de rivages puisque nous sommes en Bretagne) de l’émotion, capables de vous décocher des sourires ou des larmes. De bonheur dans les deux cas. J’ai vu le boss du festival assis devant la scène fondre en larmes. L’émotion non plus n’a pas de frontières.
Au moment où vous lirez ces lignes, le groupe sera dans l’avion de retour pour l’Australie, sans y prêter d’ailleurs une attention particulière puisqu’ils sont en permanence en altitude.
Sur la scène Pommelec dimanche, chère Cash Savage, vous étiez face à la mer, les yeux rivés vers l’océan. Sauf que c’est lui qui vous regardait, tentant de ralentir son jusant pour mieux profiter de l’instant.
Nous pouvons vous l’annoncer ici en avant-première, Cash Savage reviendra en Europe en 2018 pour une tournée dans des SMAC conformes à son immense talent.
La deuxième grosse révélation du festival vient aussi d’Australie car comme le dit Seb Blanchais, le boss du label Beast Records : ‘’Ça joue mieux, ça chante mieux et c’est surtout plus créatif et spontané que nulle part ailleurs’’.
Il s’agit de Los Dominados, eux aussi de Melbourne. Leur dernier set dimanche sur la scène de la Cloche aura été de très haute tenue.
Les sonorités que Michael Alonso parvient à sortir de sa Fender Telecaster sont nerveuses et saturées à souhait, la performance aux fûts de François Tannouri n’a d’égale que sa grande gentillesse (c’est dire !) et, last but not least, la voix et la ligne de basse de Helen Cattanach alias Miss Hellcat résonneront pour longtemps encore à nos oreilles.
Les frères Geoff et Ben Corbett auront aussi marqué cette édition, sortes de Dr Jekyll et Mr Hyde, découvrant chacun une double personnalité à l’instar du docteur philanthrope dans le roman de Stevenson.
Ils auront envoûté les festivaliers à travers Six Ft Hick (un set furieux et violent, de la sueur et du sang) et leurs projets parallèles respectifs, aux registres plus apaisés.
Shifting Sands, où l’on découvre un Geoff crooner, dévoilant ses tourments et sa sensibilité.
Gentle Ben and His Shimmering Hands, où l’on découvre Ben, cravaté et tout de noir vêtu, dandy, prenant des postures hispaniques, danseur de flamenco ou matador selon l’instant, avant la mise ‘’Amor’’.
BMC (Big Mountain County) est une belle découverte ! Rompu aux tournées à travers l’Europe depuis novembre 2013, les quatre Romains délivrent un rock psyché péchu et enthousiasmant.
Comme à leur habitude, Escobar (cartel formé de Rémi Lucas à la guitare et Charly Kayo à la batterie) défouraille à tout va. Le duo livre un set tendu, brut, direct, jouant les morceaux de leur nouvel album ‘’Bird Of Prey’’ paru chez Beast Records en septembre 2016. Du rock garage punk empreint de grunge comme on aime ! Bravo Messieurs.
La scène française a décidément du talent et ça se confirme avec les Rochelais de Double Cheese, Ugo Cesar Martinez (voix/guitare), Willy Barre (basse) et Anthony Vignaud (batterie). Du surf punk garage tendance heavy et rocky horror joué dans l’urgence et l’énergie. Les doigts ensanglantés d’Ugo à la fin du set attestent de l’intensité à défendre les morceaux de leur premier LP ‘’Summerizz’’, paru en avril 2017, une co-production Adrenalin Fix Music / Beast Records / Stryckhnine Recordz 2017.
Restez en éveil, une interview doit paraître dans les tout prochains jours…
Hummingbird est un duo de nîmois composé de Sylvain Arnaux, voix rocailleuse/guitare, et de Cédric Chauvet à la batterie. Ici, on est entre le post punk et le blues. La batterie martiale rappelle celle des Black Angels et intensifie la noirceur et la lourdeur du climat. Le colibri aura fait sa part. Belle découverte.
Les compositions du Villejuif Underground sont toujours aussi catchy, avec un Nathan Roche survitaminé au cidre ‘’made in Normandy’’ et ses trois acolytes banlieusards à l’unisson. L’Australien est en scansion permanente, proche du slam par moment. Toujours aussi passionnant à écouter.
On retiendra que King Kahn and the Shrines aura clôturé cette 9ème édition par un show démentiel et psychédélique. Le canadien Arish Ahmad Khan, désormais exilé en Allemagne, endosse le personnage théâtral de King Kahn, un monarque excentrique en costumes à plumes multicolores, guépière, bas nylon et chapeau à plumes. Hors du temps, atypique, il hypnotise la foule consentante qui danse sur les sons funk, soul garage et délicieusement groovy du grand ordonnateur.
On ne pouvait rêver meilleure fin avant de se quitter heureux, dans l’attente de la 10ème édition du festival l’an prochain.
Alechinsky.
Crédit photo ‘’Le regard de Cash Savage’’ : Stéphane Perraux