[Interview] Fallen Lillies – « Cran »

Fallen Lillies, toujours aussi fort, toujours aussi électrique, les quatre Franc-Comtoises signent un album charnière, entre urgence rock, audace et prise de position assumée. Porté par une production musclée de Fred Duquesne (Mass Hysteria) et marqué par un virage décisif vers le chant en français, « CRAN » sonne comme un saut dans le vide parfaitement maîtrisé : plus frontal, plus viscéral, plus incarné.
À l’occasion de cette sortie, Hélène, chanteuse charismatique du groupe, revient sans détour sur cette fracture créative, les choix forts qui ont façonné l’album, leurs révoltes, leur rapport à la scène et cette énergie contagieuse qui fait des Fallen Lillies l’un des groupes rock français les plus explosifs du moment.

Pouvez vous revenir brièvement sur l’origine de votre nom Fallen Lillies ?
Pour « la faire courte », une Lilly en anglais est une femme « bonne à marier ». Le combo avec « Fallen » signifie que ce n’est pas notre cas ahah.

Vous décrivez votre nouvel album « CRAN » comme une “fracture” nécessaire pour devenir ce que vous êtes aujourd’hui : quel a été l’élément déclencheur de cette mue artistique ?
On parle de fracture notamment avec le passage au français, qui a été le plus gros changement de ce 2ème album. Cette envie de chanter en français, de faire passer nos messages de manière plus claire et directe, sommeillait en nous depuis un bout de temps je pense. C’est d’ailleurs une question qu’on a mis sur le tapis il y a environ 3 ans quand on a commencé à réfléchir à cet album. On avait balayé le sujet rapidement, mais c’est vrai que pendant les enregistrements, alors que tout était écrit en anglais et prêt à « mettre en boite », la question s’est à nouveau posée et là, ça a été le changement de cap total.

Votre album à été produit par Fred Duquesne (Mass Hysteria). Comment a-t-il influencé le son et l’approche de cet album ?
Fred a fait un super boulot de producteur, il nous a toujours conseillé sans jamais rien imposer. Ca a été une très belle collab entre lui et nous. Il nous a fait tester beaucoup de choses notamment sur les sons des guitares, toujours en nous laissant la main sur les choix finaux. Et ce sujet du français, c’est notamment lui qui l’a remis sur le haut de la pile. Mais comme on le dit partout, je pense que Fred est venu appuyer sur un bouton qui existait déjà. Son avis nous a d’abord un peu chamboullé, mais finalement il était vraiment partagé.

Vous dites que composer un deuxième album est un défi : quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées pendant la création de CRAN ?
Se remettre au boulot ahah ! Quand on fait un premier album qui est plutôt bien accueilli et vous permet de tourner pendant 3/4 ans sur les plus belles scènes de France, on a tendance à se laisser un peu porter et voir le temps défiler. Il fallait ensuite réfléchir à ce qu’on voulait montrer d’autre au public, ces influences qui étaient en nous et ces mélodies en tête qu’on avait envie de partager. On a écrit le morceau « Basic Body Shaming » en premier et il est sorti naturellement très vite, avec des sonorités plus punks vers lesquelles on voulait vraiment aller. Puis après Laura a sorti des riffs plus « metal » comme celui de « Face à eux ». On l’a adoré mais on s’est dit « qu’est ce qu’on va en faire?! » (pour info, cette chanson a fait partie des plus compliquées à écrire, je pense qu’on a dû la laisser de côté pendant quasiment un an sans rien en faire). On s’est rendu compte que cet album serait une fois de plus « un beau bazar » au niveau des styles, donc on a à la fois essayé de mettre un peu d’ordre dans tout ça, mais on s’est laissé la liberté d’explorer des choses différentes sur chaque morceau.

Quels nouveaux territoires sonores ou thématiques explorez-vous dans cet opus, sans pour autant trahir votre identité rock brute ?
Il y a quelques morceaux teintés punk, on adore ça. On aurait pu je pense en faire un album complet, mais on a écouté à chaque fois les envies du moment. On a été à l’écoute de ce qu’on aimait sans se cloisonner à un style. Ce qui fait je pense que depuis tous ces mois ou on joue cet album, on ne s’en lasse pas (étonnant chez les Fallen Lillies pour qui habituellement la durée de vie d’un morceau est de 2/3 mois maximum ahah).

Votre musique a toujours délivré des messages forts : quelles révoltes et quelles émotions vous préoccupent le plus en cette fin d’année 2025 ?
Vous avez 3h devant vous?! Si on commence à faire le constat des choses révoltantes dans ce monde, ce n’est pas un album qu’on écrirait, mais une trilogie cinématographique version longue avec bonus. Alors oui les gens sur les réseaux parfois nous disent « vous parlez de ci mais pourquoi ne pas parler de ça? ». On a écrit 10 morceaux, 10 sujets donc qu’on a choisi, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres (ils donneront matière aux 3e, 4e… album). Il y a beaucoup de choses qui nous font peur pour la suite, ce climat mondial tendu et instable, ces abus de pouvoirs et le retour en arrière sur tant de droits acquis au fil des années. Mais malgré notre constat plutôt noir, on a toutes les 4 des natures plutôt très positives, et naïveté ou non, on veut encore croire que les choses peuvent changer.

Sur scène, vous êtes connues pour une énergie survitaminée. Comment vivez vous les moments de partage avec le public ?
C’est tout ce qui nous a tellement manqué pendant l’écriture de cet album… On s’est vraiment forcées à rester le plus loin possible de la scène pour avoir le temps de travailler l’écriture, mais c’est vraiment la chose la plus difficile qu’on peut demander à un groupe. Toute cette énergie sur scène, je pense que c’est simplement la traduction de la joie qu’on ressent à y être. Ce sentiment de partage et de connexion avec le public s’est décuplé depuis la sortie de cet album « Cran » avec le chant en français. La différence pour nous est flagrante, on sent que les gens comprennent nos messages, chantent nos paroles. C’était l’un des moteurs de cette décision, et on ne regrette rien de ce point de vue là.

Vous citez dans vos influences Joan Jett ou encore The Distillers. Quels artistes vous ont le plus inspirés pour cet album ?
Ces mêmes artistes! Et bien d’autres. Mais j’avoue que Brody Dalle m’inspire énormément, j’adore sa façon de chanter, son timbre, elle dégage un truc de dingue à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. Les influences après sont larges, de Metallica à Interrupters en passant par Crucified Barbara, L7, ou un autre qu’on a beaucoup cité en disant « Ah j’adore le rythme dans cette chanson », c’est Parkway Drive . Mais sans jamais se rapprocher de leur niveau de OUF bien sûr (rire…)

Après avoir joué sur des festivals comme le Hellfest ou les Eurockéennes, avez-vous puisé dans ces expériences scéniques fortes pour nourrir votre vision de ce que devait devenir le groupe ?
C’est hyper philosophique comme question ahah ! Une chose est sûre, c’est qu’en jouant sur ces scènes on s’est dit « ok, on en veut plus des comme ça! ».
Donc c’est sûr que ça motive à travailler, ça donne des idées pour développer un show/une scénographie adaptée à ces scènes. Et quand on est sur ces gros festivals à côtoyer les plus grands, on se dit bien sûr qu’un jour on aimerait être à leur place.

Vous avez toujours eu une recherche graphique forte, là encore votre visuel d’album est symboliquement fort. Qu’incarne t il le mieux pour vous ?
J’avoue que nous ne sommes pas peu fières de cette pochette de « Cran ». On a beaucoup réfléchi à ce nom d’album, à cette pochette, on faisait naître au fur et à mesure des idées, on s’envoyait plein de choses, mais rien ne se déclenchait vraiment. Puis est arrivée l’idée du français, donc de la représentation du français par le coq, mais on ne voulait pas d’une figure masculine sur notre pochette… et là, il s’est passé quelque chose. L’idée de cette poule qui finalement, pourquoi elle, ne pourrait pas être le symbole de la France. Ce vieux rose, et ce crâne qui rappelle en même temps le côté « rock » et l’aspect « emprise » que la poule peut avoir dessus, bref! Il y a eu illumination et tout est tombé sous son sens! Quand on s’est dit qu’on allait tenter la séance photo avec une vraie poule, là tout le monde nous a pris pour des folles! Mais Raymonde (la poule), sous l’objectif de Vincent Facchini et avec la collaboration des chips Lay’s, s’en est très bien sortie ahahah!

Si vous deviez résumer l’album CRAN en trois mots ou trois images fortes, lesquelles choisiriez-vous et pourquoi celles-là ?
Il n’en suffirait que d’un et c’est pour ça qu’on l’a choisi : Cran.
Cet album c’est avoir le cran de tout remettre en question, d’exprimer haut et fort ce que l’on pense, et avec tout ce travail, d’élever le projet d’un cran (on l’espère!)