[Interview] Les Bredelers – « DEIFEL’S PEEL »

Les Bredelers reviennent avec Deifel’s Peel (« La pilule du diable »), un album dense et organique, à paraître le 25 avril.
Après plusieurs années de silence discographique, le groupe creuse un sillon plus sombre et plus introspectif, tout en restant fidèle à ce qui fait son identité : un rock ancré, chanté en alsacien, sans concession ni folklore. Avec ce nouveau disque, le groupe alsacien durcit le ton, affine sa signature et embrasse pleinement son identité linguistique. Entre rock, métal et introspection, Deifel’s Peel explore les émotions humaines comme autant de cartes du destin tirées d’un jeu de tarot ténébreux. Un album concept fort, sincère, et visuellement marquant, qui confirme que Les Bredelers n’ont rien perdu de leur flamme après plus de 20 ans de route.
À travers cette interview, Marco, chanteur et membre fondateur, revient sur la genèse de ce nouveau projet, la place de la langue, les émotions comme fil conducteur… et les risques assumés d’un groupe qui préfère avancer plutôt que se répéter.

 

 

Est-ce que tu peux me parler un peu du point de départ de ce nouvel album ? Qu’est-ce qui a lancé l’écriture ?
Le point de départ, est double. D’un côté, on avait sorti notre précédent album, DodeKopf, en 2018, donc il y avait une vraie envie de relancer l’actualité du groupe, de se remettre à écrire. Et de l’autre, on voulait bosser avec Simon Muller, notre ingé son live, qui a monté le FH Studio. C’est un gars très talentueux, passionné, qui croit à fond en notre projet, et ça faisait un moment qu’il nous proposait de collaborer. Travailler avec lui nous a semblé naturel.

 

Vous avez abordé ce projet différemment par rapport au précédent ?
Oui, complètement. L’album précédent, on l’avait composé un peu plus chacun chez soi, derrière un ordi. Là, on a voulu revenir à un fonctionnement plus « à l’ancienne » : se retrouver tous les trois dans une salle de répète, avec nos instruments, et construire les morceaux ensemble, en direct. L’idée, c’était d’obtenir une musique plus organique. On jammait, on trouvait des riffs, on posait des structures, puis des mélodies chantées, et enfin les textes en alsacien.

 

Justement, l’alsacien reste au cœur du projet ?
Au début, on hésitait. Soit on faisait un album complètement en alsacien, soit on mixait comme dans DodeKopf, avec un ton plus humoristique. Mais rapidement, on s’est rendu compte qu’on avait des morceaux forts, avec des ambiances qu’on voulait respecter. L’humour ne collait pas toujours. Et surtout, ce qui fait notre originalité, ce que les gens retiennent, c’est qu’on chante en alsacien. Même des médias comme 20 Minutes, Le Point, Marianne sont venus vers nous pour ça.

 

Travailler avec Simon a-t-il influencé le son du groupe ?
Carrément. Simon vient du métal, du hard rock, et du néo-métal, donc forcément, ça a teinté notre son. Et ça a aussi influencé l’écriture. On a continué à écrire les textes en alsacien, avec l’aide de Roudoudou, un auteur strasbourgeois qui avait déjà bossé avec nous.

 

Et les thématiques de l’album ?
On s’est rendu compte que les titres tournaient autour des émotions : désir, dépendance, rejet, résignation… Et très vite, on a fait le lien avec le tarot. Le morceau-titre Deifel’s Peel, qui veut dire « la pilule du diable« , met en scène le diable. Et dans le tarot, le diable tient les cartes – symboles d’émotions humaines. L’image nous a beaucoup parlé : le diable avec les cartes dans une main, la Terre dans l’autre, comme si nos émotions mal gérées pouvaient conduire au chaos, autant personnel que collectif.

 

Vous avez poussé cette symbolique dans l’esthétique visuelle aussi ?
Oui. On a bossé avec Olivier Volodimer, alias OVZ Tattooer. Il a une patte incroyable, très forte. Il a illustré les cartes de tarot qu’on retrouve dans le livret. On ne voulait pas juste un disque, mais un vrai objet. Quelque chose de sonore, mais aussi visuellement fort. C’est un livre-disque, presque.

 

Justement, sortir un objet physique comme ça aujourd’hui, avec le streaming qui domine, c’est un choix fort, non ?
C’est clair. On vient de la culture de l’album. On aime l’idée d’un répertoire cohérent, avec une thématique, un visuel, un univers. Pour moi, un album, ce n’est pas juste une compile de morceaux. Il faut que ça raconte quelque chose. Et ça donne aussi une vraie raison d’acheter l’objet. Les gens peuvent écouter la musique en ligne, mais l’objet leur permet de plonger dans l’univers.

 

Il y a une esthétique rock/métal assez marquée, avec cette imagerie du diable, du corps, etc. Tu n’as pas peur que ça induise en erreur, qu’on vous colle une étiquette « sataniste » ?
Franchement, oui, on y a pensé. L’icono métal, avec le diable, les visuels sombres, c’est parfois pris au premier degré. Mais pour nous, ce n’est pas ça. On n’est pas là pour choquer gratuitement. Ce visuel sert une réflexion : le diable comme symbole de nos émotions incontrôlées, de ce qui peut nous détruire si on ne les maîtrise pas. C’est ça qu’on voulait transmettre.

 

C’est vrai qu’on pourrait penser que le visuel du diable, des cartes, c’est un peu cliché. Vous vous en êtes rendu compte ?
Oui, complètement. On le sait : sur l’album précédent, on mettait en avant des têtes de mort, maintenant c’est le diable… C’est sûr, ça peut paraître classique. Mais honnêtement, on ne s’est même pas posé la question. Ce n’était pas un délire visuel au départ, c’est venu des chansons. Le visuel s’est greffé naturellement sur la thématique. On n’a pas choisi le diable juste pour faire genre, c’est ce que les morceaux exprimaient.

Et puis le tarot, l’ésotérisme… c’est un univers auquel je suis totalement étranger, mais l’idée que les émotions dirigent nos choix, ça, ça me parle. L’album ne donne pas de leçon, mais il propose une prise de conscience : nos émotions façonnent nos décisions, et donc notre monde. Il fallait qu’on en parle.

Parlons de l’alsacien. Pourquoi avoir mis cette langue en avant ? Quelle est votre démarche ?
C’est hyper personnel. Moi je suis le seul Alsacien du groupe. Mon père est Schmitt, ma mère Garcia. Et pourtant, aucune de ces langues ne m’a été transmise. Mon grand-père espagnol, réfugié politique, ne voulait pas transmettre l’espagnol. Et côté alsacien, après-guerre, ce n’était pas bien vu de parler l’alsacien. Résultat : j’ai grandi frustré de ne pas parler mes langues d’origine.

Depuis gamin, j’essaie de m’approprier cette culture alsacienne, de la pérenniser. C’est une langue qui se perd, même si elle est encore parlée par 30% de la population, ce qui est énorme comparé au breton par exemple, où seuls 3% le parlent encore. Et comme en Bretagne, la langue fait partie intégrante de l’identité. C’est notre responsabilité de la faire vivre.

Mais je voulais aussi sortir l’alsacien de son carcan folklorique. On l’utilise souvent pour parler de plats, faire des blagues… Là, on a voulu l’utiliser comme une vraie langue artistique. Avec des textes imagés, des mantras, des refrains simples mais puissants. On a traité l’alsacien comme on traiterait de l’anglais. On a adouci les sonorités, cherché des gimmicks, travaillé l’esthétique musicale de la langue.

Et comment vos collègues non-alsaciens ont vécu ce choix ?
Très bien. C’était un challenge, mais on l’a bien géré. Ils se sont appropriés les chansons, même sans parler la langue. Pour le mastering, on a bossé avec Thibaut Chaumont (Carpenter Brut, Ultra Vomit). Je lui ai envoyé les morceaux sans lui dire que c’était en alsacien. Et il m’a rappelé : “Mais vous chantez en alsacien ? C’est génial ce que vous faites !” Ça prouve que le message passe, même sans comprendre chaque mot.

Il m’a dit que dans une époque où beaucoup de groupes font de l’anglais par réflexe, nous on assumait notre culture, sans caricature. C’est un projet sincère, fort. Et justement, parce qu’il n’est pas dans la dérision, il touche plus largement.

Et le fait de prendre un virage plus engagé, de durcir le ton, ça vous a pas fait peur par rapport à votre public ?
On prend un risque à chaque album. Dès que tu veux évoluer, tu risques de perdre des gens. Mais j’ai toujours été attiré par les groupes qui ont une identité forte, un univers à eux. C’est ce qui m’a fait aimer cette musique à l’adolescence.

Je crois au droit de prendre des risques artistiques. Si tu veux avancer, t’as pas le choix. Ça ne veut pas dire renier ce que t’as fait avant, juste évoluer. On n’est pas AC/DC, on peut pas refaire 20 fois le même album. Et honnêtement, je suis fier qu’après 20 ans, on ait encore la capacité de se réinventer.

Je me souviens que Simon (notre ingé son) était en stress, il se demandait s’il avait fait une connerie en influençant notre son. Mais je lui ai dit : c’est normal. Il y aura toujours des gens qui décrochent… et d’autres qui arrivent. L’essentiel, c’est d’être sincère. Et avec cet album, je pense qu’on l’est à 100%.

Parlons concerts. Vous êtes un groupe très actif en live. C’est quoi vos meilleurs souvenirs de scène ?
Le festival Les Sapins Barbus récemment, c’était énorme. 2 à 3 000 personnes, super créneau, ambiance de folie. Et ce qui est dingue, c’est que même en chantant en alsacien, le public accroche, même hors Alsace. Parfois, les non-alsaciens sont même plus curieux que les locaux !

Un autre gros souvenir, c’est le Festival Décibulles en 2007, le jour de mes 26 ans. Le public, les ventes de merch, l’échange avec les gens, c’était puissant. Et puis les États-Unis en 2016, un festival à Saint-Louis dans le Missouri. Jouer là-bas, c’était surréaliste.

Évidemment, il y a aussi des concerts pourris, ça arrive. Mais à chaque fois qu’on sent que le public est rentré dans notre monde, qu’il a envie de discuter après, qu’il a vibré… Là, on se dit qu’on a fait notre job.

Et la sortie de l’album, entre excitation et doutes ?
Les deux, forcément. On est hyper fiers de ce disque, on l’adore. On a hâte de le jouer. Mais aujourd’hui, le plus gros stress, c’est de trouver des dates. C’est de plus en plus compliqué. On est en train d’en caler une dizaine pour la fin de l’année, et c’est déjà bien. Mais ça demande un taf énorme.

Tu ne sais jamais si tu proposes ton groupe au bon endroit, s’il va être compris. Mais je crois qu’il faut s’autoriser à y croire. Beaucoup de gens ne savent pas ce qu’ils veulent écouter jusqu’à ce qu’ils l’entendent. Et quand ça touche, ça touche. Donc on fonce.

 

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Photo de couv.  odv photographie