Batteur, compositeur et producteur rennais, Gaël Desbois est le concepteur de ce nouveau projet solo nommé « Chasseur ». Il a accompagné Miossec, Dominic Sonic, Laetitia Shériff, Santa Cruz fondé « Mobiil» avec Olivier Mellano (en 2001), Del Cielo avec la chanteuse Liz Bastard (en 2006) et récemment Tchewsky & Wood avec Marina Keltchewsky (2016) en plus de diverses compagnies de théâtre ou de danse, il poursuit aujourd’hui ses aventures avec ce premier album intitulé « Crimson King », où il officie en électron libre musical. L’univers de Gaël est intemporel car il a su garder les traces des musiques emblématiques qui ont forgé sa cultures auditives en les couplant aux sonorités les plus modernes. L’esprit comblé d’images sonores sombres, cette œuvre charme par cette fine d’ambiance entre cold-wave et électro-pop, annonciateur d’un album qui devrait marquer les esprits et la musique actuelle !
Tu as participé à de nombreux projets, mais là tu te trouves vraiment au premier plan. D’où t’es venue cette idée, cette envie ?
J’ai effectivement très souvent accompagné les autres dans leurs projets. J’ai également créé plusieurs groupes. Après toutes ces années, j’ai eu envie d’aller expérimenter une forme plus personnelle en travaillant avec ma voix. J’ai réalisé en 2017 un premier EP 4 titres. Avec ce dernier, j’avais posé en quelque sorte les fondations de CHASSEUR. Aujourd’hui je sors mon premier album solo, « Crimson King », et pour le coup il s’agit d’une production extrêmement personnelle. J’ai perdu mon père en mars 2018. Après son décès, nous avons décidé avec ma famille de déposer les cendres au pied d’un arbre. Cet arbre, c’est un érable rouge, un Crimson King. La disparition d’un proche, c’est une expérience tragique. Un évènement extrêmement difficile à accepter. Cet arbre a finalement été comme une forme de continuation de la vie. Cette idée était à ce moment-là plus acceptable que la mort. Parallèlement à ça, j’aborde également dans le disque des moments de vie difficiles que mon père a connus. Il était bipolaire. Au moment de sa disparition, il était hospitalisé depuis quelques semaines. Il a perdu là-bas beaucoup de poids et beaucoup de force. C’était difficile pour nous de le voir comme ça. Malheureusement cette hospitalisation lui a été fatale.
Pour les textes de l’album, il me fallait être aidé d’une personne de confiance. L’auteure Nathalie Burel avait déjà écrit les textes du premier EP. C’est une auteure dont j’apprécie beaucoup le travail.
C’était toi qui posais les idées à la base ou bien s’agissait-il d’une discussion ?
J’ai écrit deux textes. Pour le reste, on a beaucoup échangé. C’était très souvent des commandes de textes avec certaines contraintes, comme le nombre de syllabes..etc.
Nathalie m’a fait des propositions. J’ai aussi eu des envies, comme par exemple, que cet arbre chante, qu’il nous parle. Elle m’a alors proposé le texte de « Crimson King » : ’’je vivrai mille ans, quand rien ne sera plus, le front dans les nuages, dressé contre le vent… ».
Ces fameuses racines c’est aussi ce que tu voulais évoquer par le biais de ton père, ce que tu as vécu par rapport à lui, ce que lui il a vécu ?
Plusieurs textes sont écrits à la première personne. Mais ce n’est pas moi. Je n’ai pas souhaité faire un disque pour parler de moi, de mon chagrin, ou de ce que j’ai vécu par rapport à mon père. Même si notre relation était bonne. Que se passe-t-il quand on perd un proche ? C’est une telle déflagration! Tout s’arrête à l’intérieur de soi, et dans le même temps, autour, rien ne s’arrête. La vie continue. Partout. Ce moment là est complètement vertigineux. J’ai donc essayé de comprendre ce qui se passait, ou peut-être tout simplement trouver refuge dans la vitalité de cet arbre. Ce Crimson King m’a aidé certainement. Après des mois de travail, l’album est aujourd’hui terminé. J’ai pris le temps nécessaire pour le réaliser, l’enregistrer, et le mixer avec l’aide précieuse d’Etienne Caylou, le producteur des disques de mon groupe Tchewsky & Wood. J’ai également créé mon propre label pour le sortir. J’ai privilégié une totale indépendance jusqu’au bout. J’ai plusieurs fois décalé la sortie commerciale. C’était difficile de mettre le point final. C’est comme de faire un deuil. Le disque sort enfin et c’est le plus important. Je crois qu’il est temps. Je suis prêt.
« Crimson King » va sortir chez Inouïe distribution, c’est ça ?
Effectivement. Il me fallait trouver un distributeur. Je les ai contactés et les choses se sont faites très simplement. De mon côté, j’ai créé un label qui s’appelle Reptile. C’est ma propre structure. C’est important de préserver au maximum une forme d’indépendance.
Je suppose que tu envisages de le présenter sur scène ?
Quelques concerts étaient prévus. Les programmateurs m’avaient contacté avant le confinement, via Facebook. Malheureusement, depuis tout est annulé. Pour tout le monde d’ailleurs. Au printemps je commençais tout juste à me faire à l’idée que j’allais monter sur scène avec ce projet, mais finalement, non. Ou pas tout de suite.
Pendant le confinement tu as fait une reprise aussi de Alain Bashung. C’est venu d’où cette envie de faire une cover ?
Je souhaitais faire une reprise de Bashung depuis très longtemps. C’est un artiste que j’aime beaucoup. J’ai profité du confinement pour reprendre « Je me dore » du sublime album « L’imprudence ». C’est quelqu’un de tellement important dans la musique en France. Pour moi il reste largement au-dessus du lot, même depuis sa disparition.
Avec mon groupe Tchewsky & Wood, on a également profité de cette période de confinement pour travailler le prochain album. Les mixages sont aujourd’hui quasi terminés. Je suis très content du résultat.
Tu as une formation de batteur mais tu travailles aussi beaucoup avec les machines. Ce sont deux façons de faire de la musique très différentes quand même.
Différentes mais très complémentaires. Tout en étant autodidacte, j’ai commencé à travailler avec des outils informatiques vers la fin des années 90. Je pouvais arriver en répétition avec des propositions musicales. Ça m’a beaucoup plu. Par la suite, j’ai continué seul mon apprentissage des machines, et d’un logiciel de son. Outils avec lesquels j’ai enregistré l’album de Chasseur.
Pourquoi ce nom de Chasseur ?
Je voulais un nom court. Je dois finalement ce nom au film de Wim Wenders « Paris, Texas ». J’aime beaucoup ce film. Le scénario, les acteurs, les images de grands espaces, la musique de Ry Cooder… tout est remarquable. « Hunter » c’est le nom du jeune garçon.
Je voulais te parler aussi de l’artwork, c’est un dessin, ce n’est pas une photo. Et sur quasiment touts les clips que tu as présentés, ils sont aussi dessinés de façon traditionnelle ou en image de synthèse. Le dessin, l’illustration c’est quelque chose que tu aimes ?
Concernant la pochette, j’ai très rapidement souhaité collaborer avec Eric Mahé, dont j’aime beaucoup le travail. Nous nous sommes rencontrés pour parler du contenu de l’album, des textes. Il m’a proposé plusieurs esquisses et on a validé rapidement cet arbre. Ce Crimson King.
Pour le clip de « Comme il vient », j’avais un petit scénario en tête; il me fallait trouver la bonne personne. Et j’ai rencontré Marion Auvin, dessinatrice, illustratrice… J’aime énormément son trait de crayon, c’est hyper fin, très délicat.
Ensuite, les deux clips avec les requins ont été réalisés par Nicolas Lelièvre. On se connait depuis très longtemps et c’était enfin l’occasion de travailler ensemble. J’imaginais quelque chose d’aquatique. Nicolas m’a proposé tout un travail sublime en images de synthèse.
Tu avais évoqué tout à l’heure avoir écrit deux textes sur ces albums-là. Comment as-tu appréhendé cette façon-là d’écrire pour toi ? Alors que jusqu’à présent ce sont les autres qui écrivaient pour toi.
Globalement, dans les textes, on a cherché à ce qu’il y ait toujours plusieurs niveaux de lecture. De façon à ce que l’auditeur puisse s’accaparer les chansons. Je ne suis pas à l’aise avec l’écriture. C’est un exercice compliqué. Mais j’en avais besoin je crois. Et c’est venu finalement assez rapidement pour ces deux textes.
« Comme Il Vient » a été écrit un mois après le décès de mon père. Pour « Du Bleu », c’est un peu plus tard.
Ça t’a servi un peu de thérapie aussi pour évacuer les choses ?
Peut-être. Sans doute. Je pense oui.
Ces deux morceaux ont d’ailleurs été les plus difficiles à chanter.
Surtout avec des sujets un peu intimes.
Bien sûr. J’ai lu récemment un livre qui s’appelle « Avant que j’oublie » de Anne Pauly. C’est un roman qui parle de ça, la perte du père. Dans ces moments-là, on a sans doute besoin de se raccrocher à des textes, des musiques. J’avais besoin d’en parler dans ma musique. Sans forcément y mettre trop de pathos. Dans l’album, l’intention de la voix est volontairement assez neutre pour laisser l’auditeur libre, juste avec le texte et la musique.
Tu peux l’écouter sans pour autant passer dans une sorte de déprime. La notion d’acceptation du deuil pour toi passe vraiment par cette phase de création ? Et c’est aussi une façon pour toi de passer à autre chose ?
Certainement. Là ça y est je sens que le disque va sortir. C’était compliqué de mettre un terme à tout ça. Si j’ai repoussé la date de sortie du disque ce n’est pas par hasard. Le disque aurait pu sortir beaucoup plus tôt. Pour moi, de l’avoir encore sous la main, c’était une façon de me dire : « s’il faut refaire encore quelques chose, je peux le refaire ». Le disque était fini, mais je n’étais pas tout à fait prêt à le laisser vivre, et passer à autre chose. Là c’est complètement le cas, je crois.
Au niveau de tes collaborations, tu as évoqué aussi cet album de Tchewsky and Wood. Tu es sur d’autres choses aussi ?
Il y a des collaborations en théâtre. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai rencontré il y a quelques années Marina (chanteuse de T&W). Je dois travailler avec une compagnie de théâtre dans le Nord en fin d’année. Je ne sais pas si ça va être maintenu. Je croise les doigts.
Comment la musique es venue à toi ?
J’allais dire un peu par hasard, mais pas tout à fait. Quand j’étais au collège, en 5e, il y avait un prof qui donnait des cours de batterie. Une sorte d’initiation. J’y suis allé avec ma sœur et mes cousins. Nous n’avions qu’un rendez-vous par semaine pour 5 ou 6 personnes. Autant dire que derrière l’instrument, on ne restait que peu de temps. Ensuite, en 3e, des copains de classe avaient monté un groupe. Il leur manquait un batteur. Comme c’est souvent le cas dans les histoires de groupes. Je me suis donc retrouvé à cette place. Plus tard, au lycée, j’ai intégré un autre groupe. Groupe dans lequel il y avait le guitariste Olivier Mellano, avec qui j’ai ensuite joué pendant des années. Le hasard des rencontres.
Photo : Anne Gontier
Stef’Arzak & AnMa