Depuis octobre 2019, l’Australie s’embrase.
Des feux de brousse d’un nombre et d’une intensité sans précédent par leur ampleur, leur durée, leur saisonnalité (ils ont commencé dès le printemps) et par les écosystèmes touchés, ont ravagé une partie des États de Nouvelles-Galles du Sud et du Queensland.
A la mi-janvier 2020, une superficie équivalente à celle de la Corée du Sud (soit environ 10,3 millions d’hectares) a déjà été réduite en cendres, 28 personnes ont péri, environ 1,25 milliard d’animaux ont été tués dans les incendies et des milliers d’habitations ont été détruites.
Le photographe et réalisateur Yann Arthus-Bertrand, à qui on ne peut reprocher d’avoir vu du pays, parle de la « sixième extinction massive de la biodiversité » et par là-même, « celle de l’espèce humaine ».
Les catastrophes annoncées depuis le début du premier millénaire, qui entraîneraient l’extinction de l’Humanité, l’effondrement de la civilisation ou la destruction de la planète, arriveraient-elles « pour de vrai » ?
« Le courage de la vérité, c’est qu’on va vers une fin de l’humanité » assène Arthus-Bertrand.
La journaliste de France Inter Sonia Devillers, interviewée lors de l’émission C l’hebdo diffusée le 11 janvier dernier, évoque le « pouvoir hypnotique des images » et souligne que « l’idée est passionnante que, dans notre imaginaire, il y a un arrière-plan fictionnel qui nous vient des scénarios de film catastrophe, existants depuis la naissance du cinéma lui-même, aujourd’hui outrepassés par la réalité ».
Souvenons-nous des films de Michael Curtiz, Abel Gance ou John Ford, mettant en scène les incendies, les ouragans, les typhons, les volcans et les tremblements de terre. « C’est un grand spectacle que nous offre l’information et qui confère à ces images [d’incendie] leur pouvoir de fascination. Nous sommes tous héritiers de cette grammaire visuelle et de ce spectacle-là. Qu’est-ce que tout cet arrière-plan cinématographique confère comme puissance à ces images ? D’un côté, ça les rend encore plus évocatrices, plus « bulldozers » et percutantes ; d’un autre côté, ça les « déréalise » un tout petit peu aussi ».
Cet épisode met en exergue le prisme à travers lequel nous voyons l’événement : nous sommes attendris devant le pauvre koala « Lewis » dont le cul est en train de griller méchamment, sauvé de la cendre incandescente par Toni Doherty, une jeune femme bienveillante, et devant les kangourous dont les foulées ne sont plus assez amples pour s’extirper des flammes, laissant dans leur poche leurs rejetons au regard hagard.
Sonia Devillers souligne le « pouvoir anthropomorphe » du koala. « Il est à la fois nounours et bébé, extrêmement captivant et émouvant ; on est dans l’émotion pure. C’est le syndrome Kawaïï, cette culture du mignon » très largement répandue au Japon. « Le koala nous émeut profondément parce qu’il percute notre imaginaire » poursuit-elle. « Il permet de faire passer des messages au monde entier mais éclipse les vrais enjeux de la biodiversité ».
En revanche, personne ne s’émeut outre mesure pour les serpents et autres reptiles dont les écailles et la peau interstitielle s’embrasent en rampant sur les braises, ni pour les insectes, les oiseaux, les autres mammifères et les plantes.
Et parfois moins encore pour les pompiers, les volontaires épuisés par l’intensité et la durée de cette saison d’incendies hors de contrôle et toutes celles et ceux qui ont perdu leurs biens.
Les feux de brousse ont toujours existé en Australie. Qui se souvient de ceux de l’été 1974-1975 qui détruisirent 117 millions d’hectares (soit 15% de la surface terrestre totale de l’Australie), du « Samedi noir » en 2009, du « Noël noir » en 2001 ou du « mercredi des cendres » en 1983 ?
Je ne nie pas l’ampleur des incendies mais je me pose la question de la surmédiatisation de l’événement au JT de 20 heures, avec ces images choisies (celles des koalas) qui nous mettent, comme le souligne Sonia Devillers, dans l’émotion pure. Seraient-elles là pour nous maintenir dans nos peurs ? « Du pain et des feux / et le peuple sera content / il suivra aveuglément / les lois des seigneurs dieux »… Un classique depuis le « Satires X » du poète latin Juvénal…
Revenons un temps à la musique… et à l’hommage « majeur » de Tex Perkins (Beasts of Bourbon, The Cruel Sea, Tex, Don and Charlie) en direction de la Kirribilli House, maison secondaire du Premier Ministre Scott Morrison lors du concert New Year’s Eve broadcast diffusé sur la chaîne ABC, coupable selon lui de mener une politique favorable à l’industrie minière du charbon, lucrative et polluante, et d’avoir pris des vacances à Hawaï fin décembre (histoire de se rafraîchir sûrement) alors que le continent se consumait à grands feux.
Ses fans les plus ardents l’ont remercié le musicien pour son geste, tandis que d’autres l’ont qualifié d’irrespectueux, d’épouvantable et d’inacceptable.
On en revient toujours au même constat : tout est histoire de polarités. Tristesse Vs. joie, froid Vs. chaud, infra-rouge Vs. ultra-violet, etc. En clair, si je puis dire : pas de lumière sans ombre et vice-versa.
Je ne vois personnellement à travers ce geste qu’une protestation rock qui, sans vouloir l’occulter, ne doit pas être une affaire d’Etat.
Ça n’est pas nouveau (on trouve son origine dans une coutume biblique) : il faut charger un bouc (émissaire) de tous les péchés et maux de la communauté. Il ne faudrait pas oublier, cher Tex, que nous sommes tous les co-créateurs de cette situation et qu’il ne faudrait pas considérer Morrison comme le seul mouton noir de l’affaire.
Je ne suis peut-être pas un spécialiste de planète ni de climatologie, mais je suis un visionnaire patenté (surtout pas tenté par le dernier album de PNL). À l’échelle du 4ème principe de l’Univers issu du Kybalion, la Polarité, [NDLR : le Kybalion texte initiatique anonyme fondé sur les enseignements de Hermès Trismégiste, compte sept principes de l’univers desquelles s’engendrent de multiples lois], qui sait si une autre planète n’est pas en train de se refroidir en ce moment ? « Ça me fait une belle jambe de le savoir » me direz-vous, « mieux vaut l’utiliser pour courir plus vite devant le chaos ».
Au lieu de se rejeter la faute, et plutôt que de pointer tel ou tel du doigt – a fortiori le majeur –, mieux vaut dès à présent adopter une stratégie d’adaptation et de résilience.
Yann Arthus-Bertrand est lucide sur le sujet : « Je pense que c’est nous qui avons le pouvoir. Et ce qui est important, c’est que je change moi et que vous changiez vous (…) On a les hommes politiques que l’on mérite. [Pour preuve, Michael McCormack, vice-Premier ministre australien, a récemment affirmé « que le changement climatique n’est une préoccupation que des « tarés de gauche dans les centres urbains ». Fin de l’aparté]. « Ils ne sont pas plus malins ni plus intelligents que nous. Ils sont là, en fin de compte, pour faire ce qu’on a envie. Si on n’est pas capables de changer, si on n’a pas envie de changer, les hommes politiques ne changeront rien».
« Face à la déconfiture de notre planète, pour forcer la main aux décideurs, nous allons devoir nous mobiliser par millions. Nous savons le faire pour des motifs futiles. Alors nous devrions en être aussi capables pour survivre ! ».
C’est ce qu’ont décidé de faire La Nef D Fous, association organisatrice du Binic Folks Blues Festival, et le label rennais Beast Records, dont on connaît les relations d’amitié étroites avec les musiciens de la scène australienne, à travers une série de concerts où l’on retrouvera à l’affiche quelques-unes des pépites du rock indé de Beast Records : Clavicule (post-garage psych-punk), Hummingbind (postpunk, haunted rock), Sleeper Bill (folk, blues, rockabilly & country), Druids of The Gué Charrette (garage, psychédélisme, post-punk, space-rock et proto-disco-gothico-exotica-krautrock), Galère (post-punk), Bed Bunker (rock & machine) et Maxwell Farrington (chanteur du groupe rock noise/punk Dewaere).
L’événement « Beast Against Fires » aura lieu le dimanche 23 février 2020 de 14 h à 18 h, à la salle de l’Estran à Binic-Etables dans les Côtes-d’Armor (prix libre). Les recettes seront reversées aux pompiers australiens et refuges pour animaux.
Alechinsky.
PS : L’affiche de l’événement est l’œuvre du talentueux graphiste et illustrateur Tom Bornarel (https://tombornarel.net/) originaire de Tournai en Belgique.