Sam Mendes nous avait déjà fait le coup avec le préambule du dernier « James Bond ». Un p….. de plan séquence élégant et efficace où l’agent secret de sa Majesté jouait les filles de l’air, arme à la main, et échappait de peu à un immeuble fendillé et meurtrier. Pour son dernier long-métrage, le réalisateur oscarisé pousse cette prouesse technique un peu plus loin et propose un film sensitif, proche du documentaire et terriblement personnel. En l’occurrence, un hommage appuyé et respectueux à Alfred Mendes, son grand-père, dont les actes furent relatés dans une autobiographie. Souvenirs de la Grande Guerre. Deux soldats britanniques doivent empêcher un assaut qui pourrait coûter la vie à 1600 frères d’armes. Y compris le frère du protagoniste. Traverser les lignes ennemies afin de délivrer un message. Une mission « quasi-suicide » sur 12 kms de charniers et suivie de près par des steadicam en alerte. Une expérience de cinéma inédite et une immersion totale dans l’Enfer par le truchement de deux longs plans ininterrompus (vous vous en doutez, ils sont bien plus nombreux que cela lorsque l’on compte les inserts et autres fondus au noir fugitifs!…).
Ce procédé avait déjà été pratiqué par certains « Maitres » au détour de plans classiques afin de « booster » l’enjeu dramatique. Je pense notamment à Alfonso Cuaron et son stupéfiant « Fils de l’Homme », Albert Dupontel et son très beau plan d’ouverture pour « Au Revoir Là Haut » ou Brian De Palma et son électrisant « Snake Eyes ». Des modèles de maitrise et de manipulation où le spectateur est bringuebalé, avec bonheur, au cœur de l’intrigue, sans filtre ni distance. D’autres réalisateurs se firent chantres de l’esbroufe ( David Fincher-que j’aime beaucoup- et ses plans inutiles dans le bancal « Panic Room ». Passer à travers l’anse d’une cafetière…What Else?) pour notre plus grand désappointement . Ici, Sam Mendes dépasse toutes nos attentes et nous plonge dans l’action sans que sa virtuosité mette à mal sa narration. Au bout de quelques minutes, nous oublions sa caméra virevoltante pour nous concentrer sur l’essentiel: la complémentarité évidente de deux acteurs et une narration simple mais efficace. Bon nombre reprocheront les deux lignes de scénario qui soutiennent « 1917 ». A ce compte-là, autant mettre à la poubelle « La Traversée de Paris », « Mad Max » ou « Rambo » dont les enjeux sont clairement définis. Nous sommes en mission: aller d’un point A vers un point B. Et toutes les péripéties sont possibles. Sam Mendes et Kristy Wilson-Caims vont, donc, à l’essentiel sans nous laisser le temps de souffler. Et vont même jusqu’à oser, à mi chemin, une pause. Temps suspendu. Clair-obscur d’une poésie folle.
Il est étonnant de voir à quel point ce film est un supplice pour tout cinéphile qui ne peut s’empêcher de chercher la faille technique, le fond bleu honteux ou l’accident de parcours. Mais aussi un pied total pour celui qui se laissera engloutir par cette aventure humaine hors du commun! Flirtant, par moments, avec « Call of Duty » (et oui!) pour sa tension permanente (et ses relents FPS) et « Il faut sauver le soldat Ryan » de Spielberg pour son aspect « véridique », « 1917 » est de ces films qu’il faut voir de nombreuses fois avant de comprendre sa mécanique insensée. Je n’ose imaginer le temps passé en pré-production à répéter ad vitam aeternam chaque séquence, chaque dialogue, chaque pas dans la glaise. Un défi que le patient anglais relève haut la main, ajoutant un nouveau fleuron dans sa filmographie presque parfaite.
Enfin, si vous êtes définitivement hermétique à ce casse-tête cinématographique, sachez que l’interprétation sans faille d’une distribution classieuse ( George Mac Kay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong, Colin Firth et Benedict Cumberbatch, pour ne citer qu’eux) et la partition musicale inspirée et inspirante de Thomas Newman ne peuvent qu’emporter votre adhésion.
Déjà auréolé des Golden Globes du meilleur réalisateur et du meilleur film dramatique, une question se pose: » Serait-ce le meilleur film de 2020 ou le chef d’œuvre du réalisateur d' »American Beauty »?
A vous de trancher.
John Book.