Quelques petites incartades en pays documentaire ou en tant qu’actrice auprès de réalisateurs chevronnés, quelques apparitions dans des séries et voici la surdouée Sarah Polley, après dix ans d’absence, de retour sur le grand écran et derrière la caméra.
J’ai toujours eu un “petit faible” pour cette interprète d’exception, que ce soit chez Atom Egoyan (et sa superbe adaptation de “De beaux lendemains” de Russell Banks) ou chez Isabel Coixet (et ses deux chefs-d’œuvre intemporels: “Ma vie sans moi” et ” The secret life of words”). Son jeu intense tout en retenu, sa beauté diaphane et son énergie “en dedans” m’émeuvent. Si nous devions lui trouver une source d’inspiration, ce serait sans conteste du côté de Meryl Streep pour se grâce et sa maitrise de l’art dramatique. Oui, Sarah Polley envoute autant qu’elle interroge, via ses nombreuses participations dans des films d’auteurs ou des blockbusters. Car la productrice-scénariste canadienne n’a jamais choisi de camp. D'”Existenz” au “Poids de l’eau”, de “L’Armée des morts” à “Don’t come knocking”, Mme Polley fonctionne à l’instinct et pratique son art avec engagement.
Son dernier long-métrage en est le parfait reflet. Adapté du roman “Ce qu’elles disent” de Miriam Toews, elle y décrit la lutte de femmes analphabètes au sein d’une communauté mennonite face aux hommes qui la gouvernent. Agressions, viols et violences conjugales sont autant d’actes aberrants commis au quotidien et face à cette barbarie, c’est sous la forme d’un “jury” (cachées aux yeux de tous) qu’elles devront choisir entre partir ou rester.
On ne peut s’empêcher de penser à “Douze hommes en colère” de Reginald Rose et à son ajustement cinématographique par Sidney Lumet. Proche du théâtre filmé dans son approche ,”Women talking” (auréolé du meilleur scénario adapté aux Oscars 2023) déploie ses ailes lorsque ses actrices rentrent en piste. Et quelles actrices! Rooney Mara ( magnétique dans “Her” de Spike Jonze ou “Carol” de Todd Haynes), Claire Foy ( “First Man” de Damien Chazelle) ou encore Frances Mc Dormand (oscarisée pour “Fargo”, “Three Billboards” et “Nomadland”) dominent de leur superbe un casting en or massif. Mais “Women talking” déçoit aussi, et cela d’un point de vue purement technique et narratif.
Car là où il aurait fallu un peu plus d’ampleur à son propos, Sarah Polley se contente d’aligner des scènes -en intérieur et d’exposition- dans un rythme métronomique. Une petite baisse de régime chez le spectateur? Un dialogue un peu trop long? Hop! Place à une parenthèse illustrant les dires de ses protagonistes. Ainsi, son brûlot féministe perd en fougue ce qu’il gagne en éclaircissement. Le résultat donne un film bancal, faisant souvent du “surplace”, mais parcouru de plans poétiques excellement cadrés. De plus, la maladresse du propos l’emporte souvent. Montrer la gente masculine comme une entité invisible et dangereuse, ne se mouvant qu’à la nuit tombée est une très bonne idée. Le Mal(e) est là, il se tapit à l’ombre des jeunes filles, implacable et bestial. Donner le seul rôle masculin “visible” à Ben Wishaw (fabuleux dans “Bright Star” ou encore “Lilting”) est un peu moins heureux, ce dernier surjouant l’hyper-sensibilité à outrance. Doit-on sous-entendre, par ce choix artistique, que seul un gay (derrière l’écran) peut prétendre à la délicatesse et la compassion pour ces femmes? Les femmes dans leur globalité? Si c’est le cas, c’est une insulte faite à l’inoubliable interprète de Q dans “Skyfall”. Colin Firth, Benedict Cumberbatch et bien d’autres excellent, tout autant, dans l’acting quand il s’agit d’avoir le coeur au bord des lèvres. Parti pris symbolique? Cette incertitude est des plus gênantes. Je ne sais pas si tel est cet instituteur/scribe dans le roman adapté. Je pose juste la question, n’ayant aucun élément de réponse à apporter. Mais le doute subsiste.
Enfin, cette accusation collégiale et “à charge” contre l’Homme manque, parfois, d’aspérité. En ces temps ravagés par des féminicides exponentiels, ce film à valeur d’exemple. Bien entendu. Mais à entendre les différents discours qui habitent ce pamphlet (et hormis August Epp et quelques jeunes garçons gravitant autour de leur mère), point de salut pour les sales “couillus”. Uniformément coupables.
J’ai quitté la salle la queue entre les jambes, même si une lueur d’espoir éclaire “Women talking” dans un dernier plan de toute beauté.
Le mouvement “Me too” est nécessaire, indispensable, salutaire. Ce long-métrage en est le digne représentant.
Il est, toutefois, bien dommage que les personnages amis/amants/maris partageant ces mêmes convictions n’y soient pas mieux évoqués.
John Book.