I’ve been looking so long at these pictures of you
That I almost believe that they’re real
I’ve been living so long with my pictures of you
That I almost believe that the pictures are all I can feel
Pictures of you / Robert Smith – The Cure
C’était rue de la Bonneterie à Avignon. Vous vous retrouviez face à un objet du temps d’avant. Et votre regard s’était arrêté net. Surgissait du voile de visée la tête hirsute d’un photographe. Grand sourire. Comme s’il venait de faire une bonne blague. Thomas Bohl.
La photo lui vient de son père, qui faisait ses propres tirages à la maison dans le placard. Rapidement, ses parents lui achètent un petit appareil.
A l’adolescence, il devient celui qui fait les photos souvenirs de la bande de copains. Deux des meilleurs amis de son père sont photographes. Son père est éducateur spécialisé et sa mère bosse dans un bibliobus de Châlons-en-Champagne.
Après des études en socio-anthropologie, il devient éducateur puis crée Le labo social et populaire en 2011. « Il fallait que je devienne éducateur autrement. J’aime la sociologie, l’éducation, les enfants, les gens. Comment je peux faire pour rassembler tout ça ? C’est mon parcours mais ça vient aussi directement de mes parents. Aujourd’hui, je me déplace dans les quartiers populaires d’Avignon comme le faisait ma mère avec son bibliobus… Et puis je fais de l’éducation spécialisée à travers les photos comme le faisait mon père, donc c’est une chouette manière de leur dire merci. »
Forcément, quand son père s’en va, il perd un confident, avec qui il pouvait échanger autour de la vie, de l’éducation spécialisée et de la photographie.
Son regard s’est formé au fur et à mesure de sa vie. Il n’a pas étudié la photo puisqu’il en a toujours eues autour de lui. Sa mère rapportait des magazines : Paris-Match… Il apprend en regardant, pose des questions à son père : « Pourquoi dans les magazines mettent-ils des photos floues ? – Bah oui mon gamin… tu verras qu’il peut y avoir de belles photos floues. »
Son regard s’accompagne de sa pensée. Il aime poser son regard avec une réflexion en arrière-plan. Prendre une photo, ce n’est pas juste un angle de vue. Pour faire une belle photo, il y a évidemment le point de vue, le cadrage, l’optique… C’est assez simple quelque part. Il y a aussi le nombre d’or, les règles de composition que l’on retrouve en peinture, le fait de remplir un cadre. Mais pour Thomas, tout cela ne suffit pas : « Je veux exprimer une pensée qui fait sens. »
Il compare souvent la photo avec deux domaines : la cuisine et la musique. La cuisine parce qu’avec les vieilles techniques, on suit les recettes; et la musique parce que si tu joues sur une guitare classique ou une folk, tu ne joues pas la même chose. « Si tu prends un réflexe numérique dernier cri ou alors un petit compact ou encore un téléphone ou encore une chambre photographique, ton rapport au monde est différent. »
Le plaisir vient quand il fabrique une belle image, peu importe le temps que cela prend. Quand il travaille à la chambre pour un portrait, il peut mettre 15 à 30mn.
Il y a 6 ans, il découvre la danse contemporaine. Le directeur du festival Les Hivernales l’invite. Un photographe occupait déjà la place centrale. « Moi dès le départ, je ne vais pas me mettre à côté de lui. Je me décentre, je me décale, parce qu’en danse, la plus grande trajectoire, c’est la diagonale. Tu n’as plus un fond plat, tu trouves des perspectives, des lignes qui t’emmènent dans la profondeur. J’ai la chance d’avoir un rapport à la photo de danse qui n’est pas conventionnel. Et puis il faut toujours que je me questionne. Comment je peux faire pour que ça soit fort ? Du coup, je ne travaille qu’avec des focales fixes : 1.35, 1.50, 1.75. Je suis obligé d’être près. Comme je viens du photojournalisme, je me considère comme ça. J’aime bien les photos où tu te sens immergé. Quand tu prends un objectif 200 mm pour prendre des photos de loin, tu ne sentiras jamais cette sensation. »
« Au début, j’essaye de faire des photos propres, bien nets, mais je fais toujours des photos pour moi, jamais dans un but de les vendre. Ensuite bien évidemment, je les propose aux compagnies si elle veulent les acheter c’est très bien… »
La question qui l’obsède : quelles photos garder, montrer ? Quelle couleur ? Noir et blanc ? Il faisait beaucoup de noir et blanc au début. Puis il a pris confiance en lui alors désormais, il y en a plus en couleur. Un chemin qui se fait à travers la vie et son évolution personnelle. La vie est mouvement. « Le mouvement est passionnant. Je n’ai pas du tout le même rapport à la photo de théâtre où je m’ennuie. Ce qui m’intéresse, c’est la composition des corps dans l’espace. »
Bien que la photographie envahisse sa vie, il pourrait arrêter d’en faire mais pas arrêter d’écouter de la musique. Ma vie, c’est la musique. Je suis né fin 79. Avec mes parents, on en écoutait beaucoup celle des années 60-70. J’ai aussi plongé dans les images, le film « Woodstock », je l’ai vu, revu et réentendu. La musique influence profondément mon travail. J’ai longtemps joué pour moi, des percussions, de la guitare, de l’accordéon et puis comme tout le monde, j’ai joué dans des groupes. J’ai appris tout seul la guitare avec des tablatures dans des livres spécialisés. »
J’aborde alors les disparus. Cette dernière photo, celle de son père avec sa fille. Il évoque la manière dont les photos remplissent notre quotidien. Accrochées sur un mur, posées sur une table basse, consignées dans un album…
Le jour de l’enterrement de son père, en transit dans une gare parisienne, il aperçoit un musicien du groupe Tryo, qu’ils avaient beaucoup écouté tous les deux. Un signe… Il va lui parler, lui raconter.
La vie comme elle va… Quelques jours plus tard, de retour dans son labo, il fait des tirages. Et au fur et à mesure, apparaît le temps nécessaire du développement, un visage. La vie reprenait là. Ici et maintenant.
Suivre Thomas Bohl : https://www.facebook.com/thomas.bohl.92
SZAMANKA
(Remerciement à Marie Frétillière pour son aide)