Pour son deuxième film, la réalisatrice française Coralie Fargeat s’appuie sur une sanguinolente déferlante d’hémoglobine pour revisiter à sa sauce la condition féminine face au temps qui passe.
Un œuf sans coquille sur une table qui se clone après l’administration d’une substance. Tout est dit, mais pas vu, dès les premières images du film sur le processus scientifique décortiqué ici. Le reste doit beaucoup à la qualité de ses interprètes (Demi Moore, Dennis Quaid et Margaret Qualley surtout).
Demi Moore est Elisabeth Sparkle, une sublime mais vieillissante star d’Hollywood : elle a son étoile sur la fameuse Walk of Fame à Los Angeles !
Demi a effectivement 62 ans pour de vrai mais en parait 50 dans le film. Trop vieille quand même pour le producteur de son émission d’aérobic à succès, façon Jane Fonda ou Cindy Crawford en leur temps pas si éloigné. Tentation du diable, elle va pouvoir acquérir une jeunesse éternelle alternative à grand coup de picouses.
Le résultat est à la hauteur des espérances, portés par des images vraiment gores façon Cronenberg en pire et des gros plans saisissants.
La puissance des images
Si la question de l’âge est au cœur des débats, celle de la puissance du visuel l’est tout autant. Car tout repose, on a l’habitude, sur une course à l’audimat. Alors, “Prête à tout” Demi Moore pour garder son image comme l’était Nicole Kidman pour gravir les échelles du succès en 1995 dans le film de Gus Van Sant ?
Sans doute, mais cette fois, il ne s’agit plus de coucher, même si des hommes très libidineux façon Harvey Weinstein apparaissent histoire de bien durcir le trait, mais bien de garder son éternelle jeunesse. Mieux même, de la retrouver.
Là où le film bascule, c’est lorsqu’il tombe (rapidement) dans le gore à la limite du grotesque, une manière de faire qu’il ne lâchera plus jusqu’à l’écœurement. Le corps de la femme apparaît comme un objet à dépecer. Demi Moore, excellente et mieux encore comme toujours, n’hésite pas à se déshabiller, Margaret Qualley (Sue dans le film) non plus, mais attention, pour une fois, la nudité n’est pas sexy, mais au contraire très crue dans un monde chirurgical. Tout comme toutes les parties monstrueuses qui apparaissent au fil du récit.
Traitement ultra gore
L’argument joue sur la dualité entre les deux actrices, comment l’une va se servir de l’autre pour assouvir sa soif de gloire en rompant le pacte faustien passé entre les deux interprètes. Tant pis pour la vieille et qu’importe les conséquences ! C’est oublier une chose : la substance fonctionne uniquement si les deux héroïnes échangent leur rôle toutes les semaines, au risque de voir tous ses avantages esthétiques disparaître irrémédiablement.
Histoire classique et sans surprise, situation à la limite du grotesque, inconsistance de la jeune femme en quête de gloire, peur panique de son alter ego de se voir vieillir, le film écule tous les poncifs du genre avec une patte féministe pour finalement tirer son originalité d’un traitement ultra gore de toutes les situations. On en peut plus de cette déferlante d’opérations corporelles, mais aussi de dégoulinements humains (là un sein, ici une oreille ou encore un organe en goguette, …).
Pour mémoire, la réalisatrice Coralie Fargeat avait déjà abordé l’horreur dans son premier film, “Revenge”, mettant en avant la thématique du viol.
Juste un film hommage ?
Le gore, même traité de façon fantasmagorique, à ses limites que le regard a du mal à supporter, sauf à être définitivement fan des films d’horreur, surtout lorsqu’il aborde des thèmes qui ne sont pas, a priori, censés faire rire, car le massacre ne se fait pas à la tronçonneuse, mais bel et bien de l’intérieur, tout viscères dehors.
Cet excès empêche finalement “The Substance” d’atteindre vraiment son but, but que l’on a, il est vrai, du mal à saisir, si ce n’est de rendre hommage à ses glorieux aînés masculins (“Elephant Man” forcément, mais aussi “Carrie au bal du diable”, “Alien” ou même “Shining” par exemple). À moins qu’il ne soit question ici juste d’exposer une fois de plus la cruauté du monde face au temps qui passe sur le corps des femmes. Et les deux présentes sont ici d’une beauté confondante avant d’être dévastée par la bête.
De là, à attribuer le prix du scénario lors du dernier festival de Cannes à cette substance maléfique, il n’y a qu’un pas allégrement franchi par le jury dirigé par Greta Gerwig (“Barbie”), le même a offert sa palme d’or à “Anora”, autre film polémique, mais bien plus réussi.
Cet accouchement dans la douleur a accouché d’une créature certes horrifique, mais aussi adulé par certaines. Solidarité féminine post me too ou vraie reconnaissance d’un véritable effectué travail pour lutter contre le toujours male gaze ambiant, chacun jugera.
« Dans le film, les corps sont tyrannisés, tournés en ridicule, détruits, tout comme je suis profondément convaincue que la société détruit les femmes avec toutes ces règles qu’on nous a apprises à suivre en silence, indique Coralie Fargeat dans sa note d’intention. Ce film est extrêmement gore. Et il est extrêmement drôle en même temps. Car je ne connais pas d’arme plus puissante que la satire pour renvoyer la société à l’absurdité de ses propres règles. »
Tout cela peut apparaître salvateur, mais peut-on pourtant vraiment, à la manière de Joker, rire ainsi de tout dans un dévastateur sourire dégénéré pour faire passer la pilule ?
L’interdiction aux moins de 12 ans en France et aux moins de 17 ans aux USA est déjà un élément de réponse.
The Substance de Coralie Fargeat en salle depuis le 6 novembre. Durée : 2 h 20. Interdit au moins de 12 ans avec avertissement.
Patrick Auffret
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