The Rolling Stones. “Hackney Diamonds”. Chérie, je me sens rajeunir.

Plus tu vieillis, plus ton corps t’envoie des signaux d’avertissement.
Je rentre d’une excellente soirée avec mon frère, l’esprit toutefois encombré de problèmes quotidiens que je juge inextricables, maugréant-une fois de plus-sur mes congénères qui m’entourent, le nez sur le portable et insensibles à la masse assise qui les entoure. Putain. C’était mieux avant, c’était mieux avant, comme le mantra d’un quinquagénaire peu enclin à se plier à cette société autocentrée et ultra connectée. Je me positionne devant la porte de sortie et, vu l’heure un brin tardive, le train de banlieue que je fréquente utilise une autre voie pour se positionner à l’arrêt. Erreur fatale. Mon cerveau ne prend pas en compte la présence inopinée d’un marchepied et mon pied s’enfonce mollement sur ce piège en suspend, persuadé d’avoir sous sa plante un sol dur et ferme. Mes jambes flageolent, je glisse et m’étend de tout mon long sur le quai. Un couple de trentenaires, airpods dans les oreilles, volent à mon secours, à grands renforts de “Monsieur ! Holala,  ça va, Monsieur ?”.
La jeune femme à gauche, le jeune homme à droite, me voici soulevé par les deux bras et mené en hauteur vers la plateforme de sortie. Je balbutie un : “Vous m’avez sauvé ma soirée ! J’étais en train de médire intérieurement sur les gens et leurs portables et vous me rattrapez ! Merci ! Merci !”. Et soudain, je me sens atrocement vieux. Vieux dans mon corps, ce tas de chair mécanique qui sature, et vieux dans ma tête où mes réflexions s’apparentent de plus en plus à celles d’un vieux con. Mon pied me fait mal. Je boite jusqu’à ma demeure. Dormir. Se caler contre le corps de ma douce compagne qui m’écoute tout en me félicitant de tenir compte de cette gifle. De cette révélation. Ne pas juger autrui trop facilement. “Tu connais les Bidochons, mon chéri ?”
Réveil. Mon pied me fait mal. Au turbin, je boite comme un damné. L’après-midi OFF se transforme en visite chez le toubib. Une entorse. Médocs et mortelle attelle.
Du repos et la jambe à l’horizontale. Deux jours. Surtout.
Je m’enfourne des films pour patienter. Pensée.
Faudrait que je ponde un article pour Lust4Live sur “Les Grands Fonds” de Peter Yates, cette pépite de films d’aventure datant de 1977. Une course au trésor maritime haletante dont un segment fut repris par James Mangold pour “Indiana Jones et le cadran de la destinée”. Ou dire tout le bien d'”Outsiders”, autre chef-d’œuvre de Coppola.
Faudrait, ouais.
Mon ripaton (me) gonfle et s’apparente à un hybride de schtroumpf et de Mr Patate.
Repos. Encore. Un massage et au lit.
Comme tous les matins, le poste de radio émet France Inter. Jour J. Les Stones déboulent avec un nouveau LP. Les deux singles entendus sur le web promettent une came de dingue. 
“Je t’offre le CD pour ce soir”. Elle me regarde avec un sourire en coin, décelant chez moi une fêlure et peu importe qu’elle soit d’ordre morale (les soucis sont des plantes vénéneuses) ou physique (cette putain de douleur qui me lance). Ma chérie veut me faire plaisir. 
Je fonds.
Vendredi déroule son tapis moelleux, ses DVD et ma belle de jour rentre avec le sésame musical. 
“Hackney Diamonds”, donc, avec une pluie de guest en folie, à savoir Paul Mc Cartney, Elton John, Stevie Wonder et Lady Gaga.
Ouverture. Ressenti. Je ne vous ferai pas l’affront de comparer certains titres à d’autres, de sortit mon encyclopédie du Rock en deux parties, ou de marquer d’une croix cet album sur mon billboard personnel. Pas de classement mais de la classe, assurément.  Dissection. Appréhension. Voici, donc, les poils au garde-à-vous, le ressenti instinctif de votre serviteur face à un classique instantané.
” Angry” comme entrée en matière. Je me remémore les deux protagonistes de “Wayne’s World” se déchainant sur QUEEN début 1990. Et j’imagine sans mal ces olibrius remettant le couvert dans leur caisse et dodelinant sur un riff imparable… de Keith. Efficace et racé. Chorus bourrin et décomplexé. Idéal pour ouvrir le bal. Vite ! “Get Close” enchaine, bouge des hanches et invite le piano d’Elton John doublé d’un saxo lascif pour une danse sansue/ sensuelle . “Defending on you” tape dans la sérénade rock n’roll que n’aurait pas désavoué Pearl Jam et pourrait apparaitre en générique de fin d’un drame romantique. Violons et guitare. Standard et formaté. Soit. Avec “Bite my head off”, Les Stones surprennent et foncent sur le périphérique emprunté autrefois par les Sex Pistols, le fric et le chic en plus. Paulo ressort une basse qui tabasse, Mick hurle comme un chat sauvage et le groupe d’octogénaires se siffle avec délectation le Saint Graal. “Whole Wide World” dévoile des décors grunges insoupçonnés chez le groupe et fait la nique aux Foo Fighter, trois décennies supplémentaires au compteur. “Dreamy Skies” plonge dans un blues ancestral gorgé de guitares cabossées et d’un harmonica malade tandis que “Mess it up” lui oppose un morceau disco taillé pour le dance-floor proche de “Miss You” (merde, j’avais dit pas de comparaisons !). “Live by the sword” met en avant tout le savoir-faire conjugué de Keith Richards et Ronnie Wood pour un gunfight musical mémorable et “Driving me to hard” délivre un morceau formaté mais chaleureux. Faute de goût ? Cela redémarre avec un “Tell me straight” poignant et dépouillé où Keith -et son chant sur le fil- nous fait chavirer en moins de trois minutes. Puis arrive la cavalerie, les cuivres et les chœurs enchanteurs, Stevie et sa Lady pour un “Sweet sounds of Heaven” d’anthologie. Un slow braguette qui entête, l’amour qui monte dans les tours, la perfection en matière de composition et une interprétation à vous retourner les very good tripes. 
Pour clore le débat (“Hackney Diamonds” est-il-in fine- le meilleur album de 2023 ?), le gang torche l’affaire avec “Rolling Stones Blues” et déballe un héritage tout en réverbération et force tranquille. “I got a boy child coming, he’s gonna be a rolling stone…”
Adresse à la jeune génération, les papys font de la résistance.
Quel album ! Quelle fougue !
Quel pied !
Chérie, je me sens rajeunir.
Plus tu vieillis, plus ton corps t’envoie des signaux d’avertissement ?
Sauf pour Mick et sa bande.
Assurément.
 
John Book.
 
PS: je dédie cet article à ma compagne, mon beau-père et à feu mon géniteur qui fut un fan hardcore. Il arborait fièrement un pin’s/langue au gré des saisons et avait dédié une chambre “d’ami” entièrement à la gloire des pierres qui roulent.