Ce n’est un secret pour personne. Depuis le début de sa carrière dans l’industrie hollywoodienne, Steven Spielberg ne cesse de “tourner” autour d’un évènement majeur qui marqua profondément son adolescence : le divorce de ses parents. Que ce soit par le biais d’une mère luttant pour la garde de son enfant dans “Sugarland Express”, d’un père dépassé puis séduit par un monde extra-terrestre plus “scintillant” dans “Rencontres du 3ème type”, la quête d’amour d’un fils pour son géniteur dans “Indiana Jones et la dernière croisade” ou la réhabilitation de la figure paternelle via un danger planétaire dans “La guerre des Mondes”, le plus aimé des réalisateurs américains creuse un éternel sillon et tente, en vain, de colmater les brèches . Le cinéma comme une thérapie ? Oui. Chez Spielberg, le divertissement cache maladroitement des plaies béantes qu’un coup de fouet ou la mâchoire d’un requin géant ne sauraient éclipser. Depuis ” La liste de Schindler” et plus particulièrement “Munich”, l’œuvre du cinéaste surdoué se teinte d’une noirceur inhabituelle et le vernis de l’Entertainment se craquèle bien plus visiblement. Est-ce l’âge? L’envie d’affronter les ombres de sa psyché ? De fustiger des journalistes enclins à voir chez Mr. E.T. non pas un artiste mais un “faiseur” ? Spielberg, moneymaker refusant de quitter le monde de l’enfance, s’accrochant-tel Michael Jackson- à un Neverland fabriqué de toutes pièces ? Ou est-ce, simplement, la volonté d’un vénérable grand-père de tourner la page d’un chapitre douloureux de sa vie afin de faire la paix avec lui-même ? De consolider l’armature d’un arbre généalogique en devenir ? Je ne saurai le dire. Mais les faits sont là.
A présent que ses parents ne sont plus, Spielberg leur rend hommage (“West Side Story” était le long-métrage préféré de son père)… tout en réglant ses comptes.
Big Steve, chantre de la revanche et de l’impudeur ?
Détrompez-vous.
L’ami américain est d’une intelligence à toute épreuve et conjugue, pour son nouveau film, souvenirs d’enfance et amour inconditionnel pour le 7ème Art sans le moindre ressentiment.
La petite histoire s’écrit toujours sur les traces de la grande et inversement. Ainsi, en traitant d’un fait quotidien au sein d’une cellule en proie à l’implosion, le papa de “Jurassic Park” s’adresse au monde entier. C’est sa plus grande force, certes, mais aussi un cliché éculé. Car, que ce soit chez Florian Zeller, Darren Aronofsky ou Ryota Nakano, ils sont nombreux à traiter de ce sujet lambda qui réunit encore le public en masse. Famille, je vous hais. Etc, etc…
Alors, pourquoi “The Fabelmans” est-il l’un des films les plus passionnants de ce début d’année 2023 ? Pour l’unique raison que l’un de mes Maitres en matière de “plaisir sur grand écran” se dénude totalement. Aucun artifice. Aucune pose superfétatoire. Aucun effet spécial convoqué.
L’enfant terrible du Nouvel Hollywood dresse un constat sans fards d’une famille dysfonctionnelle. La sienne.
Mais se drape derrière un humour typiquement juif afin de faire passer la pilule… en douceur.
Sweet sixteen.
Epoque pas si lointaine où les films de John Ford cartonnaient au box-office, où les sportifs à la carrure d’athlète cassaient la gueule aux intellectuels , où le monstre de l’antisémitisme traversait les couloirs d’un lycée californien et où les rêves les plus fous se concrétisaient dans des caméras Super-8. Par petites touches,”The Fabelmans” résonne en nous par sa contemporanéité immédiate et nous bouleverse.
Un film, comment ça marche? Spielberg ne le sait que trop, énonce quelques ficelles techniques mais n’en rajoute pas.
Certains se seraient vautrés dans la démonstration de force ou le jeunisme à bout de mouvements de caméra. Lui mise sur le classicisme tout en se permettant des travellings/plans séquence lors de querelles domestiques mémorables. Il en va de même pour la partition tout en finesse de John Williams, s’octroyant quelques moment en creux-niches idéales pour l’utilisation de standards des années 50 et autres madeleines sonores. Enfin, la distribution éclatante (Michelle Williams, Paul Dano, Gabiel LaBelle et le truculent Judd Hirsch en tête), la photographie de Janusz Kaminski et les subtiles trouvailles visuelles finissent de nous achever dans un râle d’extase.
Spielberg aime ses actrices, ses acteurs et son audience. Cela se voit à l’écran, là où tout enjeu se révèle “en jeu”, y compris une scène majuscule où le réalisateur teenager fabrique le film de sa vie qui prend forme sous ses yeux.
Une mise en abime pertinente, certainement l’une des plus belles vues récemment à l’écran.
Comme le jeune Fabelman devant “Sous le plus grand chapiteau du monde”, je fus littéralement enchanté par cette séance (seul à l’orchestre du mythique Max Linder de Paris), loin de toute sonnerie de portable intempestive ou de pop-corn superficiel.
Captif et captivé.
Ne vous fiez pas au box-office catastrophique recensé aux USA.
“The Fabelmans” est un nouveau chef-d’œuvre à ajouter à l’édifice d’un réalisateur de plus en plus porté vers l’Humain.
Universelle, intime, poignante et débordante d’empathie…une fable fabuleuse, assurément.
John Book.