Après la superbe incartade en pays Marvel avec « Doctor Strange », nous pensions Scott Derrickson perdu, à tout jamais, dans les limbes des grosses productions. Que l’on se rassure, le réalisateur de « Sinister » (cette claque!), « Délivrez-nous du Mal » (ce choc!) et de » Hellraiser 5: Inferno » (oups!) revient aux affaires sans l’ombre d’une concession, bien au contraire !
« The Black Phone » est un pur cauchemar comme l’on en voit peu au cinéma. Le film de genre dans ce qu’il a de plus noble, à savoir doté d’une thématique forte et non d’une collection de jump scare-vide de sens- afin de flatter un certain public adolescent.
Qu’on se rassure. Un Peu.
Son interdiction à un public âgé de moins de 12 ans est une farce. Malsain, perturbant et « The Black Phone » vous vrille le ciboulot durant deux heures sans ne jamais vous lâcher.
Ames sensibles, changez de cible !
Pour les peaux cuirassées, je vous dresse le tableau:
Nous sommes en 1978, dans une banlieue du Colorado, et nous suivons le quotidien contrarié de Finney et Gwendolyn Blake, respectivement frère et sœur, au sein de leur collège. Harcèlement, bagarres de rue et violence domestique sont leur décor usuel. Leur père alcoolique voir en Gwen la digne héritière de sa femme (elle aussi victime de rêves prémonitoires et de visions) et redoute une fin néfaste et similaire (leur mère s’étant suicidée face à un pouvoir incontrôlable). Finn subit les colères de son paternel sans broncher et les humiliations scolaires en serrant les dents. En parallèle, un mystérieux kidnappeur surnommé « l’Attrapeur » (l’attrape-peur ?) sévit dans la région et de nombreux adolescents/amis des protagonistes disparaissent régulièrement. Ragots, superstition, enquête de la police, le croque-mitaine reste introuvable. Jusqu’au jour où Finney se retrouve, à son tour, pris dans les filets de ce mystérieux magicien.
A son réveil, il se retrouve incarcéré dans une cave dotée d’un téléphone débranché. Son tortionnaire, affublé d’un masque de démon pour garder l’anonymat, lui promet un destin différent de ses prédécesseurs puis s’éclipse. Soudain, le téléphone sonne et Finn se retrouve avec pour seuls interlocuteurs… ces derniers!
Ambiance.
Durant la projection, je me suis posé la question de savoir ce qu’un combiné téléphonique pouvait bien faire dans une cave ? Ce seul détail me chiffonnait, enlevait à ce long-métrage une patine d’excellence. Et pourquoi ces échanges verbaux teintés de surnaturels, le fil du téléphone étant sectionné ? Interrogation légitime. Ceci jusqu’à l’arrivée d’une scène troublante qui allait donner une toute autre dimension philosophique à ce diabolique « Black Phone ».
Si vous n’avez pas eu la chance de voir cette dernière production « Blumhouse », sortez de la pièce. Pour les autres, voici mon point de vue engrossé par des échanges passionnés avec mon rejeton.
Ce téléphone n’existe pas.
Afin de retrouver son frère disparu par la grâce de ses pouvoirs divinatoires, la jeune Gwendolyn adresse de fiévreuses prières à Jésus, lui intimant l’ordre de lui donner des indices dans ses rêves.
Et Jésus finit par répondre à ses attentes par le biais de sa voix, la Voix de Dieu. Celle-ci se concrétisera par la voix des nombreuses victimes défuntes, donnant à Finn la possibilité de s’extirper de sa prison. Car Finn est un Ange et « The Grabber » ( il n’a ni prénom ni nom) l’incarnation du Mal. Oui, « The Black Phone » est un long-métrage sur la Foi. De celle qui soulève des montagnes. Finn devra suivre scrupuleusement les indications énoncées en ligne afin de trouver une sortie éventuelle vers le Paradis. Mais ces phrases sont à double tranchant et les voies du Seigneur impénétrables. Scott Derrickson oscille donc, constamment, entre l’horreur indicible-où les cadavres fantomatiques se bousculent au portillon de notre teenager- et un chemin de croix biblique.
Amen ? Amène!
Gwen, elle, se substitue à Jeanne d’Arc, et remue ciel et terre afin de retrouver son frère. L’attrapeur, lui, s’amuse de sa toute puissance et se moque de ce téléphone, pourtant vecteur de sa propre chute.
« Dieu est à l’appareil ? ». La belle affaire. Dans cette cave humide, le Grabber/Lucifer est le Maitre de cérémonie. Ses masques sont des artifices, cachant maladroitement sa véritable nature. Ici, l’Enfer se meuble de moquettes moisies et de toilettes dégueulasses.
Mais non.
Ce téléphone n’existe pas. Il symbolise la lutte de deux entités opposées au fond du trou. Et l’Ange Gabriel de se munir d’une lance de substitution pour mieux occire le Dragon…
L’action de se film se situe en 1978. Au détour d’une conversation, Robin avoue à son ami Finn que « Massacre à la tronçonneuse » est le meilleur film actuel. Or, le chef-d’œuvre de Tobe Hooper marqua un virage sévère dans l’Histoire du Cinéma Américain. Plus qu’un slasher lambda, c’est une critique acerbe de la politique américaine lors du conflit qui opposa le Vietnam aux USA.
Et les bouchers ne sont pas forcément ceux que l’on nous vend.
« Les dents de la mer » et l’aventure sous influence « Moby Dick ». « L’Exorciste » et l’explosion d’une puberté. « Ne vous retournez pas » et la phase du deuil.
Un bon film d’horreur, c’est cela. En vitrine, la peur sur toutes les étagères. Dans la remise, une thématique forte se détachant souvent du genre précité.
Filiation évidente avec le papa de « Life Force »?
L’hommage de Scott Derrickson à son homologue n’en est que plus touchant.
Casting étincelant.
Dans le rôle du tortionnaire aux allures de Démon, Ethan Hawke (dont je suis un fervent admirateur) livre une composition inoubliable où son langage corporel importe plus que les mimiques ostentatoires d’un détraqué.
Mason Thames incarne avec beaucoup de délicatesse un jeune homme sensible en proie au changement (bienvenue dans l’âge adulte), sa partenaire Madeleine McGraw est une jeune actrice « à fleur de peau » surdouée. Son personnage d’ado psychic n’est pas sans rappeler celui de Danny Torrence dans « Shining » et elle lui rend la pareille avec conviction .
Enfin, James Ransone (vu dans « Sigh!-nister 2 ») campe les abrutis avec un aplomb digne de Jim Carrey et apporte un humour salvateur à cette entreprise de démolition..
Et la réalisation ? Un pur bonheur, la caméra opérant des travellings inventifs et des plans « en plongés » manipulateurs sans nuire nullement à l’intrigue.
D’un côté, Scotty est un artisan populaire qui sait mener le public sans renier une patte personnelle.
De l’autre, Derrickson fait rimer Hitchcock et chocotes.
Et au centre?
La peur au ventre.
Un scénario original truffé de symboles et de d’interprétations possibles, une mise en scène impeccable, une distribution intouchable et une matière sonore des plus stressantes : « The Black Phone » est le film d’horreur qui ravira aussi bien les amateurs d’hémoglobine, les fans de Jean Paul Sartre (« Huis-Clos ») que les cinéphiles à retordre.
Mais attention!
Le téléphone pleure.
Sitôt sorti(e) de la salle et de son écran noir, vous risquez de passer bien des nuits blanches.
La tête emmaillotée dans des draps trop serrés.
John Book.