Il est tôt. Comme tous les matins, la radio déverse ses informations de manière métronomique. Les bons mots et les animateurs s’enchainent, les débats vont bon train et je souris à ma compagne. Nos pensées se télescopent. Le travail, les soucis quotidiens, les bonheurs aussi. Inutile de parler. Nous nous faisons face et tout va bien. Soudain, une voix familière s’étonne: A-ha et leur chanson « Take on Me » avoisinerait le milliard de vues sur le Net!
Le chroniqueur évoque, non sans malice, son attachement pour cette chanson écoutée pieusement lors de son adolescence et le caractère ultra-populaire de ce single. »Take on Me ». Sa mélodie « catchy »et son clip extraordinaire sur fond d’animation rotoscopique (réalisé par le fidèle Steve Barron- à qui l’on doit « Billie Jean » mais aussi « Butterfly » dudit groupe). L’histoire d’un jeune homme qui supplie une fille de le regarder, de lui faire confiance. Un single qui tutoya les cimes des Charts mais suscita , dès sa création, nombre de moqueries.Comment donner une quelconque valeur à cette cavalcade de claviers et ce mix hasardeux entre hymne pop et new-wave dévergondée? Comment cautionner ce triangle d’éphèbes venus du froid et son leader à la voix haut perchée? Perdu entre la sensualité d’un Depeche Mode et la folie d’un Duran Duran, A-ha se distinguait par un romantisme exacerbé et désuet . Pas assez sombre. Trop léger. Zéro légitimité. Citer A-ha, pour les néophytes, c’est réduire ce groupe à sa plus simple expression, un hit interplanétaire. Point barre.Or, sous leurs dehors de Dieux Scandinaves à la plastique avenante, ce trio s’avère redoutable dans la confection de singles « haute-couture ». « Manhattan Skyline », « The Living Daylights », « Cry Wolf », « Under the Makeup »…dressez l’oreille et vous trouverez en ces titres une efficacité doublée d’une complexité mélodique surprenante.
Pal Waaktaar-Savoy, Magne Furuholmen et Morten Harket sont auteurs compositeurs et interprètes. De véritables artisans.Preuve en est la qualité de leur tout premier album « Hunting High & Low », EP incroyable regorgeant de mélodies implacables (Hunting High & Low, The Sun always shines on TV) mais aussi de productions plus feutrées ( Living a Boy’s Adventure Tales, Here I stand & Face the Rain) dans un équilibre parfait.Certes, il est difficile de détacher « Take On Me » de la décennie où ce dernier vit le jour. L’utilisation des synthés y est omniprésente et générationnelle. Datée. Impossible, donc, pour le futur quinquagénaire -que je suis- de ne pas goûter goulument à cette madeleine (omelette?) norvégienne sans éprouver des frissons nostalgiques dès les premières frappes de batterie. Avouer cette adulation à un mélomane, une bière à la main, dans une soirée qui bat son plein s’avère périlleux. Le piège. Vous savez, le genre de sourire entendeur et convenu lorsque vous citez vos goûts musicaux au détour d’une conversation. »Et toi, t’écoutes quoi? » »Et bien, j’aime beaucoup « Foals », « Sebadoh », » Fugazi »…et « A-ha ». »Quoi? Mais c’est vieux, ça? Et pourquoi pas les Spice Girls? Ou Aqua? C’est ringard! A-ha, c’est un boy’s band pour les midinettes! Taaaaaake on Meeeeeee….Ahaha! »Et de nouveau, le sempiternel discours sur la vacuité d’une chanson d’amour jugée « dépassée », naïve et bonne à faire se pâmer les jeunes filles en rose fluo.
Les Sandrine, Cécile, Carole et autres, coincées entre le radiateur du préfabriqué et les pages d’un magazine datant de 1985 se reconnaitront…
Chez nos amis norvégiens, les histoires d’amour y sont contrariées et les sentiment décuplés. Pénétrer dans « Hunting High and Low », c’est s’abandonner au romantisme le plus fiévreux, le plus échevelé. C’est hurler son Amour dévorant face à des brise-lames un soir de tempête, c’est avouer sa passion dévorante pour la première fois à l’être aimé. C’est sentir son cœur se soulever à l’écoute d’un « Je t’aime » murmuré. C’est retrouver son âme d’adolescent dans un corps vieillissant. Une caresse dans le fatras de nos Vies.Ce premier album aurait pu être un coup de poker. La chance du débutant. Les membres du groupe avoisinant les 26 ans lors de la parution de leur chef-d’œuvre.Ce fut une première pierre angulaire et décisive dans l’édifice de la pop-culture.
Dans une interview donnée à un hebdomadaire culturel, Anohni (d’ Antony and the Johnsons) revendiquait l’héritage inestimable de ce power-band . Sans honte ni gêne.Et Ian Mc Culloch de les rejoindre pour une version unplugged et sublime de the « Killing Moon », brisant ainsi les clivages imaginaires entre tel ou tel mouvement musical.Enfin, que dire des innombrables reprises et hommages qui pullulent sur la Toile?Que ce n’est pas forcément un gage de qualité?
Qu’importe.
Je m’en vais éteindre la radio et piocher dans « Scoundrel Days » ou « Lifelines » de quoi nourrir mon appétit poétique.Je sais pertinemment où ils sont rangés.Entre « Figure 8 » d’Elliott Smith et « Grace » de Jeff Buckley…
John Book.