Sean Connery. Diamant éternel.

Depuis hier, Sir Sean Connery n’est plus et c’est tout un pan de la culture populaire qui disparait. Pierre angulaire dans de nombreux chefs-d’œuvre et acteur majeur dans des films parfois mineurs, il reste, pour toujours, la première incarnation de James Bond à l’écran. Et quelle incarnation !
Récapitulatif et immanquables superlatifs.
A l’aube du Swinging London, un acteur aperçu dans “Le Jour le plus long” débarque sans crier gare et érotise instantanément le paysage cinématographique et contemporain. 
Sean Connery.
Oubliés les espions bas de plafond. Les missions à la Tonton. Place à la libération des mœurs et des meurtres. 
Le flegme britannique dans le jacuzzi. 
Sean Connery.
Les yeux revolver. Le droit de tuer et un charisme volcanique à décongeler la Guerre Froide. 
 Ian Flemming a beau reprocher l’adaptation et la distribution de son “James Bond contre Docteur No”, ce jeune Connery en impose et dégage une présence cinégénique évidente.
Sea, sex & sun.
Du sang neuf pour les meufs.
Prince du Cool, le 007.
 Héros zéro sex?
Pour Sean Connery, que nenni! 
James Bande et excite, sans efforts, des hordes de cinéphages. Pas d’effets de (Outre) manches.
 
“James Bond 007 contre Dr No” Terence Young 1962 – Droits réservés
 Bras de chemise et biceps. Sourire aux forceps. Clope au bec. Une désinvolture contrôlée et le chic pour vous déstabiliser dans un seul regard. Au détour d’une répartie bien sentie, ce trentenaire immense (1 mêtre 89) a l’air de te prendre pour un connard dans les règles du Septième Art. L’Aston Martin ? Une caisse. La vodka martini secouée au shaker, pas à la cuillère ? Une sale habitude. Les fringues smart ? Des accessoires ! Les dialogues ? Des écrins sur mesure pour cette gueule d’amour. Les gadgets ? Le Beretta 418 1934? Du clinquant pour les perdants.  Hâbleur, castagneur et la démarche assurée, Sean Connery n’avait besoin d’aucun artifice pour illuminer le grand écran. Un fantasme évident pour petits et grands. Oui, dans le cinoche d’à côté, nous rêvions tous d’être, nous aussi, au service de sa Majesté.
Réduire la carrière de ce géant d’Hollywood à un seul personnage serait mensonge. S’extirpant dès 1972 de la franchise culte d’Albert Broccoli, il s’associe à des cinéastes de renom et des projets autrement plus ambitieux. Sidney Lumet (dira-t-on assez de bien de ce réalisateur de génie ?) lui offrira des films à sa démesure et des incursions dans des univers moins glamour. Un choix de cinéaste qui s’avèrera payant tant “La Colline des Hommes perdus”, “Le crime de l’Orient Express” et surtout l’incontournable “The Offence” (invisible dans les salles françaises durant trente-cinq ans!) mettront davantage en exergue la qualité de jeu du plus célèbres des écossais que sa virilité exacerbée.
Alfred Hitchcock, John Huston, John Milius, Steven Spielberg, Richard Lester, Peter Hyams, Brian de Palma, Terry Gilliam et Jean Jacques Annaud- pour ne citer qu’eux- non plus ne s’y tromperont pas. A chaque apparition et/ou participation de ce comédien iconique à un projet cinématographique, c’est le jackpot assuré. Une recette?  Acting impeccable, grâce animale et ironie constante.
Sean Connery et Tippi Hedren “Marnie” Hitchcock 1964. (Photo : Universal/Getty Images)
Au milieu des années 80, la star affiche une cinquantaine rugissante. Son statut change et il passe du rôle de séducteur à celui de Mentor dans de nombreuses productions : “Highlander”, “Les Incorruptibles” et l’extraordinaire “Nom de la Rose” où il trouve en Guillaume de Baskerville un artefact fascinant alliant modernité et classicisme. Sherlock Holmes chez les Freaks, assurément, mais sidération. En l’espace de deux heures se déploie un éventail d’émotions rentrées dans une rigueur de jeu hiératique. Sean est grand. Naturellement.
 Je ne peux, bien entendu, pas passer à côté du troisième volet des aventures d’Indiana Jones où il incarne avec brio et malice le père du plus célèbre des Aventuriers. Pour la petite histoire, Steven Spielberg rêvait depuis longtemps de diriger l’un des épisodes de l’Agent Secret Britannique. Réponse négative et définitive des producteurs (pour d’obscures raisons) en dépit de l’insistance renouvelée de ce fan invétéré. Qu’à cela ne tienne, en préambule d’un “Temple Maudit” galvanisant, le papa d'”E.T.” affublera le Dr Jones d’un complet blanc et démontrera ses talents spectaculaires de réalisateur. Doigt d’honneur bien senti et rappel aux possesseurs des droits qu’il était un choix évident. Mieux, il proposera en 1988 à James Bond himself d’intégrer la famille Jones et de tenir tête à son “junior” de fils.
Bingo !
Henry Jones Sr, médiéviste farfelu et figure paternelle exaspérante vient de trouver en Mr Connery l’interprète idéal. Pour l’éternité.
Dans la célèbre émission “L’Actor Studio” animée avec ferveur par feu James Lipton, ce dernier posait cette question à Harrison Ford: ” Dans ce troisième volet, Sean Connery incarne votre père or vous n’avez-dans la vie-que douze ans d’écart ?”. Réponse de l’invité : “Vous savez…c’est Sean”.
Voilà, tout était dit dans une phrase laconique. “C’est Sean”. La liberté, l’humour, la roublardise et l’intelligence…Un mélange détonnant qui forcera Spielberg à brouiller les pistes de la séduction dans cette “Dernière Croisade”, le père et le fils se partageant-sans le savoir- une nuit avec la même femme, faisant ainsi la nique à la morale outre-Atlantique !
 
Sean Connery , Harrison Ford “Indiana Jones et la dernière croisade” Steven Spielberg 1989 – Droits réservés
En 1990, c’est à nouveau un retour gagnant avec l’insubmersible “A la poursuite d’Octobre Rouge” de John Mac Tiernan (dira-t-on assez de bien de ce réalisateur inouï ?). Pour ce redoutable thriller, notre indépendantiste écossais se met en danger. Arborant cheveux blancs, coupe à la brosse et accent Russe (inégal), la noirceur et la rigidité du Commandant Marko Ramius  tranchent avec la souplesse de ses précédentes compositions. Alec Baldwin s’épuisera tant qu’il le voudra, Sean Connery en cet instant précis rimera longtemps avec Tom Clancy.
Puis vinrent “Robin des Bois Prince des Voleurs”, “La Maison Russie”, “Soleil Levant”, “Haute Voltige” et l’atomique “The Rock” (nous, chez Lust4Live, nous sommes plutôt preneurs du Rock), longs-métrages populaires et millimétrés ou blockbusters sans cœur. Certes, le vieux Lion n’a rien perdu de sa superbe et sa seule présence au casting fait se déplacer les foules…mais l’on sent un revirement inquiétant dans l’industrie du cinéma américain. Plus de budgets et moins d’auteurs. Moviemaker.
Exigeant, l’acteur souffre de cette baisse de qualité.
C’est décidé.
En ces prémices de siècle nouveau, ses apparitions prestigieuses se feront plus rares. 
Début 2000, il accepte deux derniers films : “A la rencontre de Forester” de Gus Van Sant et “La Ligue des Gentlemen Extraordinaires” de Stephen Norrington (cet Allan Quartermain en guise de clin d’œil amusé à Indiana Jones) mais songe à s’éclipser. Désabusé par une industrie gérée, selon lui, par des incompétents, il annonce une retraite définitive, loin des plateaux et des studios.
Sa vie privée n’en demeure pas moins romanesque. Dixit Mozinor: “Tu peux pas “test”!
Dans un ultime pied de nez patriotique, il se fait anoblir (licence to kilt!) par la Reine Elizabeth II pour sa contribution inestimable au cinéma britannique, accédant un peu plus à une part d’immortalité…et s’attèle à ses Mémoires durant une période de vingt ans.
Béance et absence.
Tombe la triste nouvelle.
 
A l’annonce de sa disparition, c’est toute la Mémoire du cinéma qui s’évapore.
Pire.
Depuis hier, Sir Sean Connery n’est plus et le Monde est soudainement moins classe.
 
John Book.
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