Funeste nouvelle ! Philippe Pascal, l’inoubliable Marquis, nous a quittés. Il restera à jamais l’une des plus grandes figures du rock français. L’emblème d’une musique hors normes qui marqua des générations de personnes à travers le monde.
Je me souviens ! Qu’est-ce qu’un souvenir sinon la résurgence d’un instant qui s’imprime en nous tel un tatouage sur la paume de la main. Poings fermés, centrés sur nous-mêmes, ouverte en partage témoignage… Il y a ceux dont nous héritons, ceux qui nous forgent, ceux que l’on s’invente. Certains parlent de vérité narrative, que chaque personne n’évoque dans une narration constante de soi. Ces monologues intérieurs que nous nourrissons jour après jour, nuit après nuit, trouvent une résurgence soudaine, par un canaliseur aussi dramatique que soudain, nous poussant au partage. Ils trouvent alors écho en nombre croissant. Nous nous révélons et nous relions aux autres avec un regard sur notre passé mais encore plus sur notre présent.
Je me souviens, début 1984, Marquis de Sade n’était déjà plus ! Un ami de 10 ans mon aîné, avec qui je passais mon temps libre à découvrir la musique rock, me prête un vinyle à l’esthétisme séduisant : « Dantzig Twist » (à l’époque déjà, j’étais d’une curiosité sans limites). Instantanément, littéralement envoûté par cette musique unique et « transpercente », j’assaille mon camarade de questions : « Qui sont-ils? », « Combien d’albums ? », « Où les voir ? ». Rappelons-nous qu’à, l’époque, pour tout savoir sur nos chanteurs favoris, il n’y avait que les magazines, les disquaires, les rares émissions TV ou radio et les copains pour en apprendre plus; le canal d’hyper information « internet » n’existait pas encore.
Je rentre chez moi avec la K7 pirate en poche; elle ne quittera pas mon poste pendant des mois. Une passion est née…
Je me souviens dans ma grande adolescence avoir croisé Philippe Pascal dans les rues de Rennes et ne pas avoir osé le déranger; un regard, un hochement de tête me suffisaient. Il avait chez lui une prestance tout à la fois captivante et intimidante. Avec mon walkman sur les oreilles et mon look à la Cure, on « joy divisionais » comme le dit si bien Dominique A . Dans cette recherche identitaire constante, l’art tenait une place plus qu’importante où musique et peinture était des phares; ne pas savoir qui l’on est, ne pas pouvoir distinguer ce qui est soi et ce qui ne l’est pas, ignorer où l’on va… Autant de questions qui, pour moi, étaient primordiales. Quelques « pères » en étaient les lumières divergentes : Moebius, Van Gogh, Marquis de Sade, Noir Désir, Stooges… pour en faire une liste rapide. Aujourd’hui encore, ils sont partie intégrante de mon intégrité physique et émotionnelle.
Je me souviens des années plus tard faire découvrir à mon tour la musique de mes « pères » à mes enfants. Et en parler avec eux avec passion, dans un souci de transmission. Il y a inévitablement l’aspect dépositaire d’une culture qui se transmet aux générations suivantes sans pour autant chercher à influencer leurs goûts. Mais dans toute transmission, il y a cependant de l’intraduisible que seule la sensibilité pourra capter ou mettre de côté. Aujourd’hui majeurs, ils ont les uns et les autres la parfaite connaissance de qui était Philippe Pascal.
Je me souviens d’une soirée à l’UBU avec Frank Darcel m’annonçant la reformation prochaine de Marquis de Sade pour un concert unique !
Il faut vous dire que L4L est né ce soir-là, sans vraiment que nous en ayons conscience à cet instant-là, lors d’un concert de Republik. Après une soirée haute en couleurs et en passion, je rencontre celui qui est depuis devenu mon camarade de route (Claude) et presque immédiatement, nous évoquons nos goûts pour Marquis de Sade et Marc Seberg. Je me rends compte ô combien la musique a un pouvoir attractif, surtout dans cette mouvance si particulière.
Je me souviens de la soirée du 16 septembre 2017 au Liberté Rennes,de cette effervescence incomparable où le temps ne semblait plus avoir d’emprise. Comme au travers d’un trou de verre, je me revoyais dans ma chambre d’ado, écoutant la K7 pirate de Dantzig Twist en me maudissant de ne pas être né 10 ans plus tôt. Et pourtant, j’allais enfin pourvoir les revoir en live ! Il y avait comme une notion de surréalisme dans cette soirée, qui se prolongea tard dans la nuit.
Je me souviens de cette rencontre avec Philippe Pascal à l’hôtel Mercure de Rennes, pour un projet de livre. Une heure de discussion complexe, sur le fil, en compagnie de Claude.
Dès les premières minutes, je me souviens avoir été capté par l’extrême gentillesse de Philippe et cette fragilité qui le rendait si touchant ! Chacun de ses mots était pesé et réfléchi, dans un souci de cohérence et d’honnêteté absolues.
Je me souviens d’un dimanche après-midi à Cesson-Sevigné, pour le concert de chauffe de Marquis de Sade avant les festivals d’été. Accompagné de mon fils aîné, qui forcément connaissait les albums de Marquis de Sade pour les avoir passés en boucle sur ma platine. Intimidé et légèrement mal à l’aise, je suis rapidement mis dans l’ambiance par des mots d’une grande gentillesse. Les « figures » rennaises sont presque toutes là, Richard Dumas, CHristian Dargelos y compris Pascal Obispo.
Un moment unique où mon fils finira par me dire « C’était le meilleur concert que j’ai jamais vu ! Quelle puissance !«
Je me souviens du dernier concert de Marquis de Sade à Mythos, d’avoir vu Philippe Pascal si enjoué et les regards complices échangés avec Frank, Eric, Daniel et les autres. Sans doute ce concert fut-il le plus beau des concerts des Marquis. L’effervescence était prégnante, aussi bien sur scène que dans le public. Ils semblaient immortels !
Je n’oublierai jamais Philippe Pascal…
Je ne le connaissais pas intimement. Je sais que c’est idiot mais égoïstement, j’ai le sentiment d’avoir perdu un proche. Je ne parviens pas à me faire à l’idée que nous ne le reverrons plus…
« I lie awake in some silent night
Every word and sound is wedged in the air
I think I’d like to stand up right
And with all my might to hang on to your hair… »
Pensées à ses proches…
Stef’Arzak