PARASITE. PARADISE LOST

Bong Joon-ho a obtenu la Palme d’Or ! Bong Joon-ho a obtenu la Palme d’Or ! Et la presse de s’esbaudir sur le talent indéniable du réalisateur sud-coréen… et de sa charge virulente contre la haute-société. Wait a minute. Le Festival le plus “bling-bling” au Monde récompense une charge violente contre les “gens de la haute”? Serait-ce pour se dédouaner?
Se donner bonne conscience?

Cannes et son Festival, les mains dans le cambouis et les yeux tournés vers les secousses intestines de notre société?
Ne serait-ce point la troisième fois-en peu de temps- que le jury décerne cette illustre récompense à un long-métrage au caractère social prononcé ? “Parasite“, “Une affaire de Famille” et “Moi, Daniel Blake“. Sans compter les innombrables comédies ou drames ( “Les Invisibles”, “Burning”, “Rebelles”, “Rosie Davies“, etc…) qui ont fleuri tout le long de cette année.
N’y aurait-il pas de la redondance dans l’air ? Les gilets jaunes seraient-ils garants d’une reconnaissance cinématographique internationale ? Adhérer au Parti pour fouler le tapis rouge ?
Et plus précisément, doit-on vanter les vertus d’un film pour son seul contenu ? Sa valeur symbolique ? Ou mettre en exergue les aspects techniques ? Le fond ou la forme ? Le premier qui me sort: “A fond la forme!”, et bien… il sort! Ou alors, tu fais comme Ken Loach, tu viens présenter ton film aux pingouins mais tu repars en TGV et en seconde classe. Classe.

Ce n’est pas nouveau. Souvenez-vous du “Pianiste” de Polanski (très émouvant) ou de “Fahrenheit 9/11” (très énervant) de Michael Moore, des œuvres dans “l’air du temps” mais qui, rétrospectivement, n’ont pas la force d’un “Apocalypse Now” ou de “La leçon de Piano”, il faut bien l’avouer. Primées. Déprimés.
“Parasite”, à mon sens, se situe exactement dans cette problématique de cinéphile. Bong Joon-ho est un réalisateur de génie, c’est indiscutable. Sa précision millimétrée et sa science du cadre rappellent inévitablement Stanley Kubrick. Et la construction narrative de ses longs-métrages les plus grands classiques d’Alfred Hitchcock. Comme bon nombre, je fus totalement abasourdi à la sortie de “Memories of Murder” et durablement secoué au visionnage de “The Host“. Ce mélange parfait des genres et ce dosage équilibré entre satire sociale, critique de la cellule familiale, polar ou film fantastique marquait un grand coup dans le paysage cinématographique mondial. Seul bémol dans cette filmographie d’exception, une adaptation ratée et boursouflée de la BD “Snowpiercer“, au budget délirant digne d’Hollywood. Tournage difficile. Communication alambiquée entre les différentes équipes. Histoire remaniée. En dépit d’une complicité entre les acteurs venus de tous les horizons (et d’une admiration sans borne pour le réalisateur), le projet avança cahin-caha.  Et le scénario, multipliant les béances, fit du “sur place”. Résultat : un blockbuster indigeste, peu identifiable et au goût un peu rance.
Bref ! Faisons fi du passé.

Parasite de Bong Joon Ho

2019.
Dès les premiers plans de ce film suprêmement récompensé, nous retrouvons avec bonheur un style inimitable (cette distance – amusée et mathématique – dans les rapports psychologiques et cette photographie à faire pâlir Darius Khonji !) au service d’une intrigue tordue.
Et nous nous gargarisons, victimes consentantes et masochistes de ce jeu de piste. Rassurez-vous.
Je me garderai bien de vous dévoiler les retournements de situations et autres “cliffhangers“.
Là où je tique, c’est dans le peu d’originalité apportée aux thèmes de ce “Parasite“. La lutte des classes, l’intrusion d’un élément perturbateur au sein d’une famille aisée, les échanges incessants de statuts dominants-dominés, tout cela fut déjà traité avec brio par Joseph Losey dans son époustouflant “The Servant” ou Pier Paolo Pasolini et son sulfureux “Théorème“. Reprendre les mêmes recettes, pourquoi pas ?  A chaque génération ses réalisateurs. Mais quitte à tirer à boulets rouges sur une catégorie sociale, que ce soit avec un minimum de transformation et de relecture totale !
Or, nous ne dépassons jamais le cadre de la comédie dramatique (très) populaire au scénario abracadabrantesque mais balisé. Rien ne nous ébranle. Certaines séquences imprègnent notre rétine mais pas notre intellect. Et c’est là où je lui en veux.
A l’instar de Jim Jarmusch, on sent chez notre ami coréen l’envie de ne pas se prendre au sérieux. Et d’oublier son film à mi-parcours.

Bong Joon-ho ne plagie pas. Il s’amuse, nous amuse, jongle avec les genres, oscille entre drame intimiste et grand guignol, malmène tous ses personnages et la bêtise crasse qui les habite. Mais, pour le coup, ne dépasse malheureusement pas les deux maîtres pré-cités dans cette dissection sanguinolente (un tantinet loufoque) de la haute bourgeoisie et de la classe populaire. Un parfum d’inachevé. Et une déception de taille.

Décidément, mon Pedro, je te l’aurai bien donnée, moi, cette Palme d’Or!

John Book