“Noir Désir Elysée Montmartre 1991”. La Chevauchée Fantastique.

Ho, le joli Mois de Mai ! Le soleil darde ses rayons à travers les feuillages parisiens et le boulevard Rochechouart s’illumine d’une lumière nouvelle. Printemps 1991. Un public transgénérationnel se masse devant l’Elysée Montmartre et la soirée s’annonce des plus chaudes. Noir Désir, quelques mois après la sortie de leur troisième album, prend d’assaut la salle mythique de la capitale pour plusieurs dates d’affilée. En tournée-marathon depuis Février (Vienne, Tokyo, Lille, Rennes et Bruxelles, entre autres), cette joyeuse bande semble ne ressentir aucun signe de fatigue. Attente. Les portes s’entrouvrent et je suis fébrile. Ayant eu, en Avril, un avant-goût de leur prestation lors du “Festival Rock du Val d’Oise” à Pontoise (avec à l’affiche et en préambule le punk-folk protestataire de “New Model Army” et la Soul maboule des “Satellites“), ce rendez-vous s’annonce abrasif.
Depuis 1989 et la découverte de “Veuillez rendre l’âme à qui elle appartient“, je suis sous l’emprise du groupe bordelais. Ils sont la quintessence de ce que j’attends en matière de rock. Des textes poétiques à tiroir, des références littéraires et autres jeux de mots pour pied de nez, des mélodies accrocheuses pour toile de fond et une attitude fiévreusement romantique. Leur univers est peuplé de figures féminines ensorcelantes et d’anti-héros maudits. Amants du Pont-Neuf se drapant dans des Nuits Fauves. Ciel d’équinoxe.  Chez ND, les sentiments d’abandon sont contradictoires et la course se veut effrénée. Pied au plancher.
Leur inspiration ?
Le quatuor fut souvent comparé dans ses précédentes compositions au “Gun Club“, aussi bien dans leur look que dans les hululements du chanteur et les riffs western du guitariste.  The Gun Club. Oncle d’Amérique électrique. Grande claque mais aussi décalque. Il suffit d’écouter “Sex Beat” pour s’en convaincre. Le gang de Jeffrey Lee Pierce est un puit d’inspiration sans fond, parfois, un peu trop évident. Plagiat ?  En dépit du travail d’orfèvre de Théo Hakola (ex-Passion Fodder) derrière les manettes, le parallèle est flagrant.
Ménage à trois ?
Une fois. Deux fois. Mais pas…

Pour “Du ciment sous les Plaines” (putain, ce titre !), les envolées sauvages sont, certes, sauvegardées mais le ton se veut plus incisif et l’entreprise de démolition plus barbare. Ravalement. La production est confiée à Phil Delire et Olivier Genty et nos mousquetaires s’adjoignent les services du violoniste François Boirie (entendu dans “Egdar de l’Est“). Alors que le second album misait sur un “emballage” sonore des plus accessibles, “Du ciment sous les plaines” varie les ambiances, les tempos, s’offre toutes les libertés (“La chanson de la Main“) et secoue le cocotier. Prise de position politique (“The Holy Economic War“) ou vertige passionnel (“Tu m’donnes le mal“), la formation rue dans les brancards avec lyrisme et volontarisme. S’oppose à tout et surtout à tout ce que l’on pourrait attendre d’eux chez Barclay. Non, ils ne seront pas les petits frangins de Téléphone ou les cousins New Wave d’Indochine. Ce nouvel album en attestera. La démarche artistique se veut dingue, insaisissable et anti-commerciale ( “En route pour la joie” n’est pas un single des plus évidents). Les paroles, par le passé très soignées, sont à présents ironiques, déstructurées et oscillent entre poésie codée et images puissamment évocatrices. Un opus qui, alors que j’approchais avec insouciance ma vingtième année, allait marquer ma vie au fer rouge.
Urgence. Douce adolescence.
C’est l’époque des cassettes audio, des rouflaquettes et des coupes hirsutes. Des pulls camionneurs et des Doc Marteen’s. Les écouteurs de mon walkman rivés sur mes oreilles, je me noie dans un déluge d’idéalisme. Mes amours sont absolus, mon envie d’en découdre avec le Monde risible. Je me rêve comédien. Je ne suis qu’étudiant. Chien fou. Mal être. Je cours et j’me sens toujours tout seul.
Compagnons d’âme, Noir Désir sera définitivement ma came. Leur album ma Bible. Ma cible infaillible.
Surprise ! Au détour d’une bouche de métro et d’une affiche promotionnelle, les girondins annoncent leur retour sur Paname.
Et nous y sommes.
En cette période printanière, alors que Nirvana enregistre un futur classique à l’autre bout de la planète, Noir Désir investit les hauteurs du 18ème arrondissement pour une poignée de sets fulgurants.

Je ne garde de cet instantané de velours que des bribes incandescentes en mémoire. Leur prestation fut sauvage. Bestiale.
Viscérale.
Insensée.
Flashbacks.
Bertrand Cantat frôle la syncope dans un hurlement, s’effondre sur scène pour mieux se relever dans un autre cri, plus primal, plus guttural. Serge Teyssot-Gay, exalté, défie les lois de l’apesanteur au gré de ses harmonies. Frederic Vidalenc, concentré, reste tête penchée sur sa basse vrombissante. ” Bubu” invite son corps et ses cordes sur des volutes musicales habitées et Denis Barthe, en bon maitre de cérémonie, rythme cette danse de Sabbat avec bonhomie.
Les lumières sont d’un rouge carmin ou en “douche” blanche sur des visages blafards.  Les effets stroboscopiques théâtraux. Le son compact.Le spectacle absolu.
Et cette frénésie qui vous saisit !
Ces pirates n’ont que 27 ans et tutoient déjà les plus grands.

Fin de partie. Exit.
A bout de souffle.
Je sors, halluciné, d’un concert hallucinant.
Inoubliable.
Que je classerai dans ma caboche aux cotés de l’Olympia de Jeff Buckley et d’un showcase de Vic Chesnutt.”T’y étais?”-“Ouais, ouais…”

Trente ans plus tard, un témoignage discographique fait son apparition dans les bacs. Et “tout est là“. Ou presque.
Le maxi CD de “Tostaky” dévoilait un “Fleuve” hypnotique et sensuel. Le voici, enfin, complété d’une track-list partielle mais riche en morceaux de bravoure.Pour preuve, ce paroxystique “Le Zen Emoi” qui résume à lui seul la flamme qui animait nos cinq garçons dans le vent.

Le Rock Français ?
Ouais ouais…
J’y étais.
Et du haut de mes vingt ans, il était effervescent.

John Book.

Noir Désir Elysée Montmartre 1991
Photo : Philippe Prévost – Artwork : Yann Orhan – Mastering : Alexis Bardinet.

Track List (vinyle)

LP 1
Face A :
1 – No no no
2 – La chaleur
3 – Charlie
4 – Les écorchés
5 – What I Need

Face B :
1 – Si rien ne bouge
2 – The Holy economic war
3 – Tout l’or

LP 2
Face A :
1 – Lola
2 – La rage
3 – En route pour la joie

Face B :
1 – Pyromane
2 – A l’arrière des taxis
3 – Le fleuve
4 – Le zen émoi