“Nightmare Alley” de Guillermo del Toro. Always on my mind.

C’est en très grande forme que nous retrouvons Guillermo de Toro, dans un univers plus proche de “L’échine du diable” que de “Pacific Rim”. Encore un remake, me direz-vous ? Certes. Mais le réalisateur mexicain nous avait, déjà, fait le coup en remodelant, à sa façon, le chef-d’œuvre de Jack Arnold : “L’étrange créature du lac noir” avec le succès que l’on sait. Pléthore de statuettes pour un remake interdit par Universal, et juste retour des choses. Guillermo del Toro est un visionnaire. Ses relectures sont passionnantes. Et tant pis pour les producteurs néophytes.
Ainsi, son “Nightmare Alley” ne déroge pas à la règle.

Casting vertigineux, réalisation d’une classe folle alternant travelling sensuel et scènes d’exposition hypnotiques, photographie (à se pâmer) de Dan Laustsen et un scénario diabolique doublé d’une déclaration d’amour aux “Freaks” de tous poils.
Guillermo vise haut et atteint sa cible.
Oui.
Le onzième film du père de “Hellboy” est un ravissement absolu, fatalement émaillé de moments de pure cruauté.
 
 
 
Ouvrons le voile.
La première partie se consacre à la découverte du milieu des forains en pleine “Grande Dépression” au sein des Etats-Unis. Ces itinérants forment une famille contre vents et marées même si leur navire est sur le point de sombrer. Un inconnu fait irruption au sein de cette étrange confrérie, apprend rapidement les ficelles du métier et ne tarde pas à tomber amoureux d’une fille électrique. Mais sous ses dehors sympathiques et charmeurs, Stanton Carlisle cache un talent d’adaptation, une ambition dévorante et un douloureux secret qui le mèneront à côtoyer une faune d’un tout autre ordre.
Avec ses gueules de cinéma et ses personnages en demi-teinte, ce segment rappelle, inévitablement, la série “La Caravane de l’Etrange” de Daniel Knauf et “La Monstrueuse Parade” de Ted Browning. Del Toro mise sur l’humain mais aussi sur les dysfonctionnements d’une galerie de caractères hors-norme. Critique acide du système hollywoodien qui privilégie la forme au fond ? Du spectacle racoleur à la magie mécanique ?  Guillermo verse, aussi, dans la nostalgie d’une époque révolue. Car dans cette foire aux bestiaux (l’Homme comme un animal brutal), des instants de tendresse absolue s’encanaillent avec le pire des “management” en matière de divertissement… et la distribution étincelante donne le meilleur d’elle-même dans cette auscultation chirurgicale des coulisses d’un show.
Et quel show !
Willem Dafoe campe une ordure inoubliable avec panache, Toni Collette excelle en mentaliste désœuvrée, David Strathairn impressionne par la grâce d’un jeu subtil et habité, l’extraordinaire Ron Perlman (fidèle chez del Toro) dont l’étrangeté semble s’estomper au fil des ans brûle d’un feu sacré ,  Rooney Mara nous ensorcelle le temps d’un tour de manège et Bradley Cooper trouve dans le rôle de Stan l’une des plus belles incarnations ( avec “American Sniper” de Clint Eastwood) de sa riche carrière.
 
Le deuxième segment s’inspire nettement plus des polars des années 50.
 

Noir c’est noir. Lumières tamisées et changement de décor. Ici, les protagonistes enchainent les clous de cercueil, se noient dans le whisky et se vautrent dans une débauche satinée. Luxe, calme et volupté ? Pas vraiment. Les tiroirs sont à doubles fonds. Devant : le clinquant. Derrière : les échanges houleux avec sa partenaire de jeu. Stan se réinvente en télépathe, trouble et séduit son public mais voit trop grand. Icare aux ailes d’argile, sa rencontre avec une psy vénéneuse causera sa perte et plongera notre magicien dans des abimes de solitude.
Mais j’en dis trop !
Ne vous fiez pas aux timides entrées d’un box-office anthropophage. “Nightmare Alley” doit ses ventes de tickets limités à son exigence. Son intelligence. Guillermo del Toro est un auteur qui nous offre un film hors du temps aux nombreux symboles fantastiques. Un conteur qui soigne aussi bien le tempo de son fil narratif que la compréhension d’une vengeance froide et appliquée. Loin des blockbusters trépidants.
Son scénario complexe sera étudié dans les écoles de cinéma d’ici vingt ans. Ses mouvements de caméra analysés et comparés à ceux visibles dans ” La Soif du Mal” d’Orson Welles.
Ne passez pas à côté de ce chef-d’œuvre.
Et même si la fin (trop attendue et explicative) aurait mérité une coupe franche, croyez-moi, ce diamant brut perdurera longtemps dans votre mémoire de cinéphile.
“Nightmare Alley”?
L’un des monuments évidents d’un cinéaste prolixe et surdoué.
En attendant “Les montagnes hallucinées” avec Tom Cruise ?


John Book.

 


Crédits photos : Searchlight Pictures / TSG Entertainment / Searchlight Pictures / The Walt Disney Company France