Un crâne sinon rien !
Blanc, noir, riche, pauvre, idiot ou intelligent. Il y a des choses qui sont communes à tous les êtres humains, nous urinons de la même couleur, le sang dans nos veines est rouge (noir) et nous finirons tous sous la forme d’un crâne. Chauve qui peut ?
Le décor est posé.
Symbole de vanité dans l’histoire de l’art, à travers les tableaux du courant des natures mortes, le crâne côtoie les mets les plus succulents (fruits, viandes, poissons – kebab ?). Souvent, la brièveté de la vie est symbolisée par des bulles de savon ou une bougie et les 5 sens sont illustrés par différents supports ou objets : des cartes à jouer pour faire référence au toucher, des fleurs pour l’odorat et l’ouïe avec des instruments de musique (non, ici pas encore de Fender Stratocaster, encore moins de batterie Tama !). Le crâne est installé, le plus souvent, sur une table ou un présentoir. Brut, direct, monochrome, ou bien s’intégrant de manière surprenante comme dans le double portrait de Jean de Dinteville : Les Ambassadeurs – 1533. Il suffit de regarder la toile sur le côté pour le voir apparaître de lui-même au premier plan.
Le crâne est là, présent, et il se rappelle à notre bon souvenir.
Les siècles passent, les arts accompagnés des nouvelles techniques de représentation et de diffusion changent et évoluent : imprimerie, photographie, cinéma et enfin le numérique n’échappent pas à sa présence et son côté attractif. L’un des premiers dessins animés de Disney est une adaptation de la danse macabre ( The skeleton dance – 1929 ) et qui voit-on se trémoussant les articulations durant 5 minutes ? Non pas Skeletor, mais sûrement quelques-uns des membres de sa famille.
La musique n’est pas en reste : la représentation du crâne s’est vite imposée dans le domaine musical, le plus souvent associée au rock et hard rock. L’imagerie que diffuse le crâne est reprise de manière récurrente depuis les années 1980 dans le milieu métal, death- métal, power-métal, indus, black métal et cie. Un peu réducteur me direz-vous ? Certes…c’est le cas, à quelques exceptions prés.
Le crâne est aussi présent dans le rap – US, notamment.
Le trio Cypress-Hill pour ne citer qu’eux, bien loin de l’iconographie « ego trip » que peut véhiculer le rap, à savoir : argent, flingue, grosse bagnole et stéréotypes sexistes ( des stringos qui piquent la rétine, en veux-tu en voilà !).
Les membres du groupe, B-Real, Sen Dog, DJ Muggs et Eric Bobo ont pu se démarquer des autres rappeurs. Rien d’étonnant, il y a beaucoup d’influence rock dans les textes et samples utilisée par DJ Muggs, issus de la scène rock et métal (Black Sabbath, par exemple sur le titre « I Ain’t Goin’ Out Like That » extrait du merveilleux « The Wizard »). Un morceau qui ferait « headbanger » le plus réfractaire des chevelus, au hip hop made in US !
L’album « skull and bones – 2000 » avec une face Hip Hop et l’autre métal, coécrit avec certains membres du groupe Fear factory : Dino Cazares et Christian Olde Wolbers, Brad Wilk batteur de RATM, traduisent l’ouverture d’esprit du groupe. La proximité des vapeurs d’alcool et autre « Grimskunk » que partagent les deux combos expliquant aussi cela. Un album qui tourne régulièrement sur ma platine je le conçois.
En France, nous ne sommes pas en reste. Le rap aussi, par l’excellent artiste Lucio Bukowski, de son vrai nom Ludovic Villard, est un rappeur emblématique du collectif de L’Animalerie (Ville de Lyon). Dans son album « L’homme vivant », il met en scène une vanité contemporaine. Non seulement, c’est un rappeur hors normes, qui excelle par son talent d’écriture et ses collaborations (Virûs, La Canaille, La Caution). Mais ses références – souvent rock, Bashung et Zappa, enfoncent le clou de par leur intégrité. Si vous ne connaissez pas cet artiste complet (peintures, dessins et publication littéraire) c’est le moment de franchir le pas et de tester d’autres horizons musicaux en sa compagnie ( à écouter : Hourvari, Belugas, La plume et le Brise Glace).
Alors pourquoi cet intérêt pour le crâne ? Au-delà de l’image folklorique, qui peut faire peur dans un premier temps (oui cela fait penser à la mort, ok, la fin de tout, aïe j’ai mal…), essayons de passer outre ce premier sentiment, et comme Hamlet, posons-nous les bonnes questions.
La mort (car c’est bien le sujet) est réduite dans un premier temps par son aspect visuel et le crâne -extension visible de notre corps- est la première chose qui nous concerne tous. En tant qu’individus physique et moraux, nous nous retrouvons tous, culturellement, idéologiquement, avec nos croyances ou pas, dans ce qui nous unit sur cette terre. Le crâne n’a pas de frontière musicale encore moins de clivage terrestre.
Ensuite, est-ce une simple provocation ? Un truc d’ado ? Certes, cette iconographie morbide attire un certain public. On identifie plus facilement le style musical avec la pochette ornant un morceau d’os. C’est facile, même trop.
Mais après ? Que reste-t-il du message ?
Nous grandissons… simplement! La maturité est là et nous accompagne et cela ne change rien au message que les artistes souhaitent faire passer. Toutefois, le traitement du sujet sera différent et l’utilisation du crâne sera contextualisée graphiquement. Sa forme sera sous-entendue dans sa mise en page lors du processus de création pour la pochette ou de l’affiche. Épurée de temps en temps ou bien fournie et alternative -comme c’est le cas pour le travail iconographique de l’illustrateur et peintre « Pushead » aka Brian Schroeder. Artiste californien, il a conçu quelques chefs d’œuvres d’artcover de la scène punk, hardcore, de la côte ouest des USA. Citons par exemple : The Exploited, The Misfits, KingHorse, Prong, Doc Octagon…Et rendus célèbre dans le monde entier grâce à sa collaboration avec un petit groupe de thrash nommé : Metallica.
D’autres artistes, s’inspireront du travail de Pushead – souvent copié, jamais égalé – et permettront de donner un nouveau souffle au genre. Voire une nouvelle approche de la thématique.
Mais à mon sens, il y a bien d’autres émotions qui peuvent traduire aussi explicitement l’absence et la douleur d’un simple crâne. Le groupe finlandais Hanging garden avec l’excellent « Skeleton lake – 2021» a délibérément pris le contrepied de la scène métal nordique (musicalement aussi – notons au passage la superbe version du titre Dream Brother de Jeff Buckley sur les Backwoods Sessions) avec une approche purement esthétique et des sources visuelles différentes. Pour cet album, l’utilisation d’un nuage chargé au-dessus d’un lac glacé, suffit à donner un aperçu des titres. De plus la gamme chromatique utilisée est beaucoup plus pertinente – à savoir un mélange de gris, bleu et noir exprimant les profondeurs inquiétantes du lac.
La preuve par l’exemple :
Donnons ce même titre à un autre groupe ! Manowar ( les « Pierrafeu » du Heavy-métal- si si j’insiste). Nous nous serions retrouvés avec une énième version composée de : 75000 crânes surmonté de 1200 jeunes femmes en strings (décidément les stéréotypes ont la vie dure même dans le métal) au bord du canal de l’Ourcq…
Et voilà une fracture nette de l’œil droit, hospitalisation d’urgence pour coma artistique. Prescription médicale 30 jours ITT.
Ce à quoi, vous me répondrez sûrement : « Bon Ekim, le public n’est pas le même ! » Pas sûr non plus. Loin de moi de penser que les auditeurs et fan du groupe Manowar ( The Flintstones, vraiment,regardez les photos, c’est flippant.) ne soient pas assez matures. Encore que… le groupe a déjà prouvé (à maintes reprises) sa désaffection pour un semblant d’intelligence, mais ce n’est pas le propos de l’article.
Je m’éloigne. Je reprends.
Le crâne a, donc, de l’avenir dans son utilisation et ses excès.
Bague, tatouage, boucle d’oreille, patches, bacs à glaçons ( si, je vous le confirme… je possède cet artefact de grande qualité socio-culturel facilitant hautement les échanges lors d’apéro entre gens matures – exceptés avec le groupe Manowar bien évidement).
Bref…vous l’aurez deviné. Le crâne est partout et se réduit de nos jours à la promotion d’objet. Il perd donc de sa superbe. Car oui c’est beau un crâne ! Pour la petite histoire, celui-ci ne vit que si vous mettez des yeux dans ses orbites, sinon il est inerte, insensible, bref comme… mort ?!
Pour terminer, le crâne est définitivement la représentation la plus simple de la vie. L’incarnation de la justice et de l’équité entre les hommes et les femmes face à notre Histoire et sa conclusion finale. Une source créatrice et d’inspiration – ad vitam aeternam – et le reflet le plus pertinent de nous-mêmes dans d’innombrables productions artistiques : littérature, musicale, iconographique et industrielle.
Alors « crânons » encore un peu ensemble, voulez-vous ?
La musique c’est la vie !
Ekimr
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Memento Mori * : « souviens-toi que tu vas mourir »
Illustration : Mike Rouault