Tout commence par un silence, puis un son, presque un murmure, une résonance qui dit tout.
Je me suis toujours demandé ce qu’on peut dire du silence. Comme une photographie, le silence a des nuances. Il y a des blancs, il y a des noirs, des gris, des couleurs jaunies qui en disent long sur les humeurs intérieures qui nous habitent…Sans analyse ou lecture en diagonale un peu spéciale, je trouve que c’est quand même fondamental de chercher à comprendre cette forme de langage horizontale que certaines personnes réussissent à développer.
Et si cette rupture avec les mots ne devait être qu’un acte ultime et intime pour transmettre un message ?
Ce qui, je crois, au fond, est assez révélateur de l’importance de ce refus de bavardage qui prend le temps de mesurer chaque sonorité linguistique dans une musicalité absolue.
C’est fou ce que les gens disent quand on sait vraiment les écouter !
Pas de mutisme, mais plutôt un pas de côté dans une loquacité nouvelle, nécessaire, effrénée, où le concept même semble passer par l’art et la manière de vous happer dans un univers…
Les hasards, les chutes, les rencontres, les surprises, les oscillations, les non-dits, les doutes, les vérités qui sont là mais pas encore complètement articulées, comme en gestation, sont autant de questions universelles qui ne demandent pas impérativement de réponse.
Le questionnement en lui-même suffit : « Ce que je vois, ce que j’entends et sens, n’est-ce pas simplement l’apparence d’un monde devant le monde ? » écrivait Peter Handke.
Tel un ange perdu dans les rues de Berlin, Bruno Green marque un « stop » et prête l’oreille, éperdu, avec la rudesse et la beauté d’une flèche en plein cœur, pour concevoir une trilogie musicale entièrement instrumentale, qu’il nommera « The Mellotone Project« …
C’est l’histoire d’un retour mystérieux qui parle de tout, qui dit tout dans le silence des mots…
Abandonner tout pour mieux revenir. Après un interminable silence, presque incognito, en juin dernier Bruno Green dévoilait le 1er volume « Apostate » de cette aventure musicale conceptuelle où il y avait déjà-là un air de mystère à l’apparence méconnaissable, habillé d’ambiances sensitives qui s’accordaient subtilement sur le fond et la forme. Entre légèreté et rigueur. Cette dualité identifiable, on la retrouve avec le volume 2 « Golden Boy« , bien mise en avant, dans un disque concept mélangeant expériences et goûts teintés de la propre personnalité de Bruno Green : romantique, énigmatique, ténébreux, méticuleux…
Quoi qu’il en soit de ce mystérieux départ qui le poussa à épouser l’ombre; quittant la musique pour le grand large, le multi-instrumentiste, compositeur et interprète, Breton, à présent Canadien d’adoption, Bruno Green, semble plus que jamais aspirer par le 4eme art. Ce qui est étrange, c’est qu’il est encore plus convaincant maintenant qu’il a retrouvé le chemin du studio.
Architecte sonore, pendant la majeure partie de sa carrière, Bruno Green a favorisé l’expérimentation et la spécialisation. Trente ans à balayer un large spectre de sonorités, dans diverses influences, passant de l’anglais au français, des guitares aux claviers, du studio au live, des consoles de mixage à la réalisation, avec une curiosité et une élégance irréprochables. « Love Particles » 3eme volume du triptyque en est l’ultime preuve.
Dans et autour les morceaux pop consciencieux, les trois albums réalisent un univers cinématographique aux frontières d’une dream-pop électronique, dans la tradition de Kraftwerk, et éperdument moderne quelque part entre Apparat et Aphex Twin qui nous emporte dans des échos denses d’une moiteur réfléchie. Ce genre d’album qui demande votre attention, qui vous séduit en se révélant dans la longueur.
Magicien du traitement numérique, Bruno mixe les sons avec des machines aux aires extraterrestres, étire les nappes onduleuses, les samples insolites pour en faire des chemins brumeux et assemble les ambiances issues d’espaces inconnus, comme dans une sorte de bande originale où le rêve éveillé devient cinématographique. Dans ce « The Mellotone Project » il s’intéresse moins à la piste de danse qu’à la sophistication des symphonies pour suivre méticuleusement cette ligne trilogique berlinoise qu’il avait ébauché avec « Apostate« . On y retrouve beaucoup de mélanges homogènes aux notions électroniques et pop, avec de petits morceaux de génie et une production qui se rassemblent en de grandes rafales mélodiques. Son style est subtil, tendu, nuageux, doux et rêveur, avec une richesse de goût en quête d’idéal, parfait pour vous saisir à la gorge et vous donner matière à imaginer une nouvelle histoire sans paroles.