[Chronique Ciné] “Le dernier voyage du Demeter” d’André Ovredal. Aux sombres héros de l’amer…

Amateurs de la Hammer, réjouissez-vous ! C’est le grand retour de l’angoisse distillée au compte-goutte, de la terreur pure qui contorsionne le visage des damnés et des décors uniques pour seul tableau horrifique. Nous pensions être abonné(e)s à la peur en terrain domestique (la maison hantée, l’église hantée, la vingtième lettre de l’alphabet hantée,…) mais c’était sans compter sur Dreamworks qui relance le huis-clos en pleine mer sur fond de livre culte et d’été finissant. Puiser dans un chapitre lapidaire de “Dracula” de Bram Stoker, il fallait oser. En tirer deux heures pour boucler un long-métrage à faire trembler ta grand-tante, voici un pari des plus culottés. Le réalisateur André Ovredal s’en tire avec les honneurs… et quelques incohérences scénaristiques.

J’ai toujours aimé le savoir-faire old school du créateur de ” The Jane Doe Identity” et “Scary Stories” ( ce dernier étant produit par l’immense Guillermo del Toro, c’est vous dire la confiance apportée à l’instant norvégien). Là où certains se vautreraient dans la débauche de gore et de cris hystériques interminables, notre scénariste s’est toujours évertué à minimiser ses effets. Non, André Ovredal n’a pas la folie d’un Sam Raimi à l’aube de sa carrière ni la maitrise du tempo d’un James Wan. Chez notre cinéaste, nous sommes à la lisière d’une série B qui lorgnerait vers le classique absolu. Entendez, par-là, toutes les productions Blumhouse (” Sinister”, “Insidious”, “Creep” ou encore “Paranormal Activity”) qui font beaucoup avec un budget très limité. 

Attention ! Nous ne nageons pas non plus dans la production Corman (j’en vois un qui rigole) ultra-fauché mais débordante de trouvailles. Non, ce “Norvegian Blood” calerait plutôt son curseur entre l’étude macabre posée et une logique scénaristique implacable. Ou comment s’emparer d’un genre connu et le traiter sous toutes les coutures sans en trahir l’essence. Voici le credo de notre bonhomme.

“Le dernier voyage du Demeter” conte, donc, la traversée maritime du Comte Dracula -des Carpates vers Londres- et de ce qui s’est réellement déroulé lors de cette troublante expédition.

Moteur.

Nous prenons donc le train en marche, pardon, le navire à quai où des serviteurs roumains flippés déposent manu militari des caisses avant de se faire la malle.

L’équipage hétéroclite et leur chouette capitaine interloqué ne se doutent pas que cet ultime voyage vers l’Angleterre flirtera plus avec “Le radeau de la Méduse” que “La Croisière s’amuse”.

A bord ? Du beau monde : Corey Hawkins ( vu dans “Kong: Skull Island” de Jordan Vogt-Roberts ou  ” BlacKkkKansman” de Spike Lee), Aisling Franciosi (“Jimmy’s Hall” de Ken Loach), Liam Cunningham (” Hunger” de Steve McQueen ou “Cheval de Guerre” de Steven Spielberg) et David Dastamalchian ( “Prisoners” de Denis Villeneuve ou “Oppenheimer” de Christopher Nolan), pour ne citer qu’eux, se donnent la réplique sans ego ni démonstration de force. Mieux, ils donnent, de par la qualité de leur interprétation, une note “so british” inatendue des plus salivantes. Du point de vue de la réalisation, l’on sent le désir de convoquer Murnau sans renoncer à l’appel du blockbuster et c’est dans cet alliage des plus surprenants que notre plaisir de cinéphile éclot. Enfin, le soin apporté à la photographie et le climat anxiogène invite inévitablement “Le cauchemar de Dracula” à la table des convives.

Là où le bat(man) blesse, c’est dans l’accumulation d’incohérences narratives qui peuple ce survival.

Si vous n’avez pas encore vu ce “Dernier Voyage du Demeter”, ne lisez pas ce qui suit.

Exemples croustillants :

Lors d’investigations afin de découvrir la tanière de la Bête cachée dans le bateau, Clemens et Anna déclouent des caisses de bois/cercueils. Or, je ne vois vraiment pas comment Dracula aurait pu clouer à nouveau son réceptacle, une fois installé à l’intérieur ?

De même, l’on apprend que ce Clemens est parti, durant ses jeunes années, comme par hasard pratiquer la médecine…en Roumanie (vraiment?), ne trouvant personne pour l’employer vu sa couleur de peau.

Le personnage d’Anna ne sert absolument à rien (désolé, les filles) et son alibi scénaristique quant à sa présence sur le bateau est bien faible.

De plus, on sent une volonté d’inclusion très hollywoodienne et très maladroite dans l’emploi de ces deux caractères.

C’est à la mode, certes, mais c’est chiant.

Je passerai sur les petits détails qui envahissent tous les films d’épouvante (la porte qui ferme mal, les jump scare via une main sur une épaule, la musique-gimmick envahissante, etc..) et dont celui-ci regorge.

Enfin, cette fin ouverte qui annonce une chasse au long cours et une suite éventuelle ( Le retour de la Vengeance! Tintintin!) peine à convaincre.

Vous l’aurez compris.

Nous sommes loin de « La Dame en Noir » de James Watkins. Nous sommes loin d’un « Gothic » de Ken Russell. Mais si le gothique à la sauce « Master & Commander » vous tente, cette aventure devrait remplir toutes vos attentes en matière de divertissement démoniaque.

Mon fiston arborait un t-shirt de “AC/DC” lors de notre excursion en salle obscure. Symboliquement, il était dans le vrai.

Car si “Le dernier voyage du Demeter” était un groupe de Métal, il se situerait exactement entre “Welcome to my Nightmare” et ” Back in Black”. Le chic et le choc.

La classe américaine et le Bush (erie) australien.

Avec “Highway to Hell” pour seul mantra.

Bien entendu.

John Book.