Lara Jenkins de Jan-Ole GERSTER

À l’instar de Oh boy, son premier long-métrage, Jan-Ole GERSTER choisit de raconter la journée d’un personnage qui déambule dans Berlin. Le réalisateur affirme qu’il s’agit là d’une pure coïncidence puisque le scénario de Lara Jenkins existait avant celui de Oh Boy. Cela n’étant pas banal, il lui a été suggéré de réaliser un troisième opus en usant de cette même structure. J’aime bien ce parti-pris, il me paraît intéressant, car il n’est pas évident de relater une seule journée en un film sans que cela soit long, redondant et ennuyeux. Je me réjouis donc à l’idée d’une trilogie. Hormis l’idée singulière de ce choix, j’ai envie de saluer le charisme et le charme de l’actrice principale.
Pleins feux sur Lara qui, comme chaque matin, entame sa journée par une tasse de thé et une cigarette. L’atmosphère qui règne dans son appartement transmet un malaise et révèle une solitude certaine. Pourtant, aujourd’hui la date est importante puisque Lara célèbre ses 60 ans, c’est aussi le premier concert donné par son virtuose de fils, Viktor. Un événement crucial dans la vie de cette femme qui a toujours soutenu son fils dans cette difficile aventure qu’est l’apprentissage et la pratique du piano, sauf que Lara n’est pas conviée à l’événement, contrairement à son ex-mari et sa nouvelle compagne.
Viktor, quant à lui, injoignable depuis des semaines, inquiète tout le petit monde qui l’entoure. Sa petite amie, la première, qui s’enquiert de rendre visite à Lara pour tenter de savoir où se trouve son fils.
Malgré le silence de ce dernier et les rapports conflictuels qu’il entretient avec sa mère, Lara reste convaincue qu’elle a eu une place déterminante dans le succès de Viktor, mais ses certitudes ne sont pas évidentes pour tous. Et quand Viktor réapparaît pour honorer son concert, le duo mère/fils se confronte.
J’ai ressenti la tension palpable distillée tout au long de ce film qui interroge sur la relation pathologique entre une mère, protectrice et perfectionniste ou à contrario détachée, et son fils, dont le visage lisse et sans expression laisse pourtant apparaître une certaine souffrance, mais aussi un besoin d’émancipation et d’affirmation de soi. Le caractère psychorigide du musicien confère à ce personnage une rancœur communicative.
Quelques personnages secondaires comme la grand-mère de Viktor, un voisin et l’ex-mari de Lara occupent également une place importante dans ce schéma familial dont les non-dits, la rancune, les regrets, les remords et l’échec semblent partie prenante.
Que s’est-il passé pour que Lara et Viktor en arrivent à cet éloignement, à cette froideur qui ronge leurs sentiments ? Nous ne le saurons que très peu, même si nous obtenons ici quelques pistes, nous supputerons qu’une vie par procuration, celui d’une maman qui a échoué là où son propre fils réussit parfaitement, les nombreux sacrifices et frustrations endurés, un travail acharné pour l’un, un transfert pour l’autre, le comportement peu enclin aux échanges d’un professeur de piano vis à vis d’une maman qui se questionne, une grand-mère aux propos bruts, un père occupé, nous imaginerons donc que tout cela a eu un impact évident quant à la relation presque toxique entre une mère et son fils, relation qui s’étiole au fil du temps. Mais nous n’avons pas besoin de réponses concrètes, car cela est enrichissant de laisser aller la pensée et construire sa propre analyse.
Lara porte magnifiquement ce film et l’accompagne de bout en bout en laissant planer des doutes, un mystère dérangeant parfois, intrigant souvent. Cette mère, incapable d’apprivoiser ses fêlures et sa propre incompréhension d’elle-même et des autres, d’où sa difficulté à affronter cet autre, imperturbable, distante et glaciale, n’est pas que cela. Ces qualificatifs qui semblent la revêtir comme une robe qui ne serait pas à sa taille, elle les subit comme certains traits affirmés de son caractère, mais elle est aussi touchante et fragile sous la carapace. Et au fil de la journée, le masque de glace va fondre pour laisser place à un twist final inattendu. Son humour, pourtant à la limite du perceptible, rajoute à son personnage un réel atout, car il est subtil, fin et gracieux. Sans celui-ci, Lara serait une femme froide et ordinaire. Et enfin, l’absurdité d’une scène avec deux flics est à relever.
Voilà une partition qui s’apprécie crescendo, une prestation sur le fil…
En conclusion, Lara Jenkins présente un personnage plein de blessures parfois lointaines, un huis clos anxiogène et maladif. C’est un bon film d’auteur qui saura séduire son public, j’en suis sûre, si tant est que l’on soit attiré par ce cinéma.
L’actrice principale, Corinna HARFOUCH, est une des actrices allemandes les plus en vue actuellement. Au théâtre, au cinéma et à la télévision, elle interprète ses rôles avec la même profondeur et hypnotise le public. Elle a reçu de nombreux prix et joué dans plus de 80 productions.
Jan-Ole GERSTER est un scénariste, acteur et réalisateur allemand dont le premier film n’est pas passé inaperçu puisqu’il s’agit du très réussi Oh Boy. Jan-Ole Gerster a été l’assistant personnel de Wolfgang Becker lors de la production de Good Bye, Lenin, avant de réaliser ses propres films.
Lara Jenkins, son deuxième long-métrage, lui a déjà valu de nombreux prix et la reconnaissance d’un public.