JÉHAN, « PARTIR RESTER »

Qui sait ce qui nous attend vraiment au détour d’un sillon advenu chemin? Genou a terre seule la persévérance est preuve de fois, face a la résilience en plein élan. Il serait à nouveau inutile de dire qu’aujourd’hui scander des textes en français avec une guitare devient anecdotique, tant la démarche lorsqu’elle est bien faite, devient d’une candeur béante. Tel un passage itinérant de infiniment petit jusqu’à l’immensément grande ouverture suivant un clair-obscur qui attire tout en son centre. Rare son les pas à emprunter cet itinéraire bis avec brio. Jean-No’ LE JÉHAN lui possède se potentiel narratif unique, une vision puissante de la création et de cette envolé vivifiante qui en découle. Prêt à redonner à la musique francophone la véritable signification du mot “art”. En tous cas “Partir, rester” noue totalement avec la grande chanson française sans renier des racines rock évidente.
“Partir, Rester“ est sorti le 23 septembre dernier et Jean-No’ alias “JÉHAN” en bon “raconteur” nous en dévoile son histoire.

Qu’est-ce que tu peux nous dire sur le concept même de cet album ?
C’est un peu comme tous les disques : d’abord pour moi l’enregistrement, enfin d’aller en studio, c’est de faire un point de situation. C’est de voir où on en est. En l’occurrence là, je travaille avec un guitariste depuis plus d’un an et demi à présent. C’était l’occasion de travailler avec lui en studio avec Pascal Karels qui joue aussi (entre autres) avec Frakture. C’était l’occasion enfin d’avoir un son plus proche de ce qu’on a au niveau de la scène aujourd’hui…

Donc plus live ?
Oui. Et plus proche surtout de ce qu’on peut proposer en live, donc une sorte de démo qu’on pourrait proposer aux lieux qui produisent les groupes. L’autre origine de ce CD, c’est qu’on a eu une proposition de clip sur l’un des morceaux; afin d’avoir un son propre par rapport aux images, on a été amenés à rentrer en studio. Quitte à faire un morceau, on s’est dit « autant en faire trois pour justement avoir ce que j’ai évoqué tout de suite : un point de situation pour savoir où on en est et un son plus proche du live ».

Et savoir ce que vous pouvez proposer par la suite ?
Tout à fait oui, surtout le dernier morceau du trois titres. Là on l’a pris live, ce qu’on appelle la version live en studio. Donc sans « rere », on garde le morceau tel quel. Contrairement aux deux autres qui ne sont pas forcément beaucoup plus produits mais pour lesquels on a pris le temps de refaire les voix, de rajouter une guitare ou deux, mais sans non plus trop le produire afin de rester très proche de ce que j’ai à raconter aujourd’hui.

Pour rester sur quelque chose de plus actuel, avec peu de mixage?
Il y quand-même eu une partie mix et une partie mastering qui était bien en décalage parce que c’était compliqué au niveau des disponibilités. Mais oui, il y a quand même une part de mix sur les morceaux, un peu moins sur le troisième encore une fois.

Avec qui as-tu collaboré sur cet EP ?
On a travaillé avec Bobosse De Goven du studio Grizzly, assisté de Arnaud Jezequel.

Tu as une écriture très poétique. As tu besoin de musique pour composer tes textes ou au contraire, ce sont les textes qui amènent la musique ?
La plupart du temps, je dirais dans 80% du temps, ce sont quand même les textes qui dirigent le morceau, qui l’orientent. Mais parfois, il y a une musique, une « tournerie » ou un gimmick qui vont nous amener à nous dire « Tiens, là, ce serait bien », donc on va inverser la tendance. Mais j’écris avant le plus souvent, en essayant de confier la musique à d’autres. C’est très difficile de laisser un morceau sans musique longtemps, donc je vais rapidement trouver une grille d’accords et ensuite, il y a les arrangements qui vont se faire aujourd’hui avec Pascal. On a commencé à travailler pour le prochain album; on a déjà 7 morceaux en chantier.

Sept morceaux qui sont déjà écrits ?
Oui. On travaille à la mise en place, au niveau musical et au niveau structure. On a déjà en tête les arrangements. Ce sera un album plus produit, avec la voix et le texte qui resteront néanmoins toujours devant, mais avec certainement des sonorités électriques, parce que c’est quand même  » le fond de commerce de Pascal« . Disons que les guitares électriques auront la part belle.

On va parler des 3 titres qui composent ton nouveau CD. Tu dis dans la chanson « La Fièvre des Chevaux » que les rêves reviennent au-devant de la scène. Tu as encore des rêves qui demeurent inachevés ?
Non. Enfin oui… Et puis c’est pas que pour moi, c’est une chanson qui est un petit peu – c’est ce qui est assez rare chez moi – mais pour une fois plus engagée. Quand je parle de ces rêves-là, je parle des gens qui ont des rêves et qui n’ont pas réussi à les faire se raconter; donc il ne faut encore rien lâcher, surtout pas aujourd’hui. Plus loin dans le texte, la chanson dit que dès qu’ils ne prennent plus le train et qu’ils prennent peur de demain : des qu’ils se refusent effectivement à la fatalité de monter dans un train… Dans les trains qu’on nous propose, que le système nous propose, nous impose même parfois; et il y a quelques personnes qui résistent encore et qui refusent de monter dans ces trains-là, sans savoir où ils nous amènent; ou alors en sachant très bien qu’ils nous emmènent dans le mur. Bon là, ce sont des références plus politico-poétiques. J’essaie parfois, mais tout en restant poétique.

La poésie peut être aussi engagée…
Oui mais c’est très difficile de faire passer des messages sociétaux dans le format chanson. Il est plus facile de faire passer les choses sans forcément interpréter les morceaux le poing levé, mais avec plus de finesse et de double-sens.

Aborder le sujet mais pas de front ?
Voilà. C’est souvent suffisamment violent déjà pour les personnes qui vivent dans cette époque qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter. On peut dire les choses effectivement mais sans être trop « poing levé » comme je disais tout à l’heure.

Sur la chanson « Je ne sais plus », il y a un rythme country/folk relativement mélancolique et poignant. Tu te définirais comme quelqu’un de mélancolique ?
Mélancolique non, je ne pense pas… Effectivement j’ai toujours eu cette réputation de n’être pas toujours dans des univers très festifs (rires). Je reste quelqu’un d’optimiste malgré tout, même si ce n’est pas toujours simple aujourd’hui de le rester. Mélancolique, non…

Tu l’exorcises en tout cas par la chanson ?
Je pense qu’on est là… Il faut dans ce cas-là regarder plus d’où l’on vient; on vient de ce petit coin du monde – on parlait tout à l’heure de bout du monde -, dans ce bout du monde, effectivement on est amenés parfois de vivre le spleen breton qui va avec… Bah oui, le climat, parfois justement les éléments climatiques qui font qu’on se construit comme ça. Moi j’ai grandi avec la pluie, je me suis plus construit avec la pluie qu’avec le soleil, c’est ce qui explique un peu ce côté mélancolique de l’écriture.

La mélancolie n’est pas forcément quelque chose de dépressif au contraire, ça a aussi une part de beauté qui s’exprime par une certaine forme de tristesse ?
C’est plus facile d’écrire triste que d’écrire gai (rires); enfin c’est ce qu’on dit, paraît-il. On peut dire la même chose de la peinture ou du dessin. C’est vrai que c’est quelque chose qui m’a souvent été renvoyée, mais à laquelle je ne prête pas beaucoup d’attention, l’inspiration vient… Et puis les doubles sens que j’essaie de trouver dans les jeux autour de l’écriture, dans ce format-là en tout cas, c’est justement pour essayer de prendre du recul par rapport à cette forme de mélancolie.

Ton souhait aussi de chanter en français : c’est quelque chose pour toi de fondamental ou est-ce plutôt… une habitude ? Parce qu’aujourd’hui, même des chanteurs français « à textes » chantent en anglais ? La langue française devient un peu anecdotique dans le monde de la musique, surtout dans le rock…
Je crois que déjà pour tout le monde, c’est mieux que je chante en français qu’en anglais (rires). Plus sérieusement, ma langue de toujours, c’est le français. Je ne me vois pas chanter en anglais. Même si cela a pu arriver de façon accidentelle dans mes jeunes années, dans mes premières formations, mais je me suis rapidement rendu compte que c’est d’écrire en français qui me convenait le mieux. Surtout que la langue française est beaucoup plus riche… Même si je me réfère, côté influences, à des grands comme Leonard Cohen, Nick Cave, Neil Young ou Stuart Staples… Faire en français pour moi, ça va de soi.

Tu as une culture musicale plus anglo-saxonne que française ?
Il y a deux sortes de musiques : celle que j’aime et celle que je n’aime pas (rires). J’aime beaucoup d’artistes français mais aussi beaucoup d’artistes anglo-saxons. Moi ce qui m’intéresse par rapport aux uns et aux autres, c’est comment ils arrivent à construire et à évoluer dans ce format de chanson-là. C’est ça qui m’importe, comment se construit une chanson. Alors c’est vrai que certains ont des astuces, on va dire, mais parfois effectivement j’ai un son qui va être plus anglo-saxon. Ça dépend des albums et des projets. L’album que j’avais enregistré au Québec par exemple, il y a quelques années de ça, sonne plus anglo-saxon. Mais c’était une démarche de départ. Aujourd’hui, je voudrais revenir à quelque chose de simple, à la fois avec un son plus électrique tout en ayant un format « à la française », à savoir le texte qui reste devant. C’est le texte qui importe surtout, avant tout le reste. C’est l’écriture qui m’importe : j’ai choisi ce format-là pour le faire partager, mais c’est avant tout le texte. Je vais passer beaucoup de temps à peaufiner mes textes plutôt que la musique.

D’où vient ta collaboration avec Pascal ?
Ça va faire deux ans qu’on compose ensemble. Même si lui a une culture beaucoup plus anglo-saxonne, ça l’intéresse de travailler avec moi parce qu’il reconnaît que pour une fois, il comprend tout ce qui se raconte, contrairement à quand il travaille avec d’autres artistes !

Ça remonte à quand pour toi la musique ?
Ça remonte véritablement au début des années 90; j’alignais 3/4 accords déjà et avec un ami, en 93, on s’est dit « Pourquoi pas nous« ; c’était justement à cette période des folies rennaises. Il y avait un foisonnement de formations de groupe et on s’est dit pourquoi pas nous et très vite ça a pris. En 94, avec Jack o’ Lanternes, on n’a rien vu venir jusqu’en 2000. On a fait 400 dates en 6 ans; après, il y a eu la scission des Jack o’ mais j’ai continué à écrire et à essayer d’avoir encore des choses à dire dans ce format; j’ai donc commencé sous mon nom en 2003 avec la sortie de l’album « Demande à la poussière ». Il y a 3/4 ans, je me suis dit : « la musique c’est une partie de ta vie, pas toute ta vie hein – moi, ceux qui me disent la musique c’est toute ma vie, je trouve ça dangereux. Ils ne sont pas ouverts sur d’autres choses. La musique, c’est un support à la rencontre. Je fais de la musique surtout pour aller à la rencontre de l’autre, que ce soit sur scène ou en studio, pour créer mais aussi pour rencontrer; ça fait partie de mon équilibre, c’est nécessaire de continuer de créer avec ce support de la musique, même si aujourd’hui, je vais sur d’autres projets d’écritures, mais ce format chanson reste mon format privilégié. Pourquoi pas écrire un livre un jour ? Ou toujours sur le format chanson, même écrire pour d’autres…

Il y a une chanson dont on n’a pas parlé, alors « Tina de Hochelaga », qui est-elle ?
Cette fameuse Tina existe vraiment. Donc Hochelaga, c’est un quartier populaire de Montréal; enfin, qui était populaire. Comme dans toutes les grandes villes, la destinée des quartiers populaires ne peut pas faire l’économie de devenir des quartiers bobo. Donc ce fameux quartier depuis une petite dizaine d’années est devenu un quartier d’artistes qui ont de l’argent et qui peuvent acheter des lieux de vie et de création dans la grande grande périphérie du centre-ville de Montréal. Lors d’une tournée en 2013, j’étais hébergé chez un musicien avec qui on était en tournée; alors on boit une bière ou deux et là-bas, comme les bouteilles sont encore consignées, on les met dans le jardin derrière la porte. Je me prends à faire mon curieux : « Ah, ici les bouteilles sont consignées non ? Donc on ne les emmène pas directement en magasin ? » « Non, non, je les laisse là, tu verras » me répond l’ami musicien. « 2 jours plus tard, quelqu’un frappe à la porte; à peine le temps d’ouvrir la porte, je vois une femme quitter le jardin avec les bouteilles vides à la main; c’est donc là que j’ai eu le droit à cette histoire, celle de la fameuse Tina qui avait toujours vécu dans ce quartier et qui avait eu une autre vie dans ses jeunes années, plus une vie de fille de joie ou de fille à tous; avec l’avancée dans l’âge et l’évolution du quartier, pour continuer à vivre, elle s’était arrangée avec les gens du quartier (ceux qui étaient d’accord) pour ramasser les bouteilles vides et aller au magasin pour récupérer la petite monnaie. Lorsque j’ai eu connaissance de cette histoire, j’ai dit à l’ami en question : « C’est une histoire qui me touche; je pense qu’un jour, il y aura une chanson sur elle ». Même si je ne l’ai aperçue que quelques secondes, elle m’a beaucoup marquée. Ce genre de vie, oui, peut devenir une chanson; Souvent, il y a une histoire derrière chaque chanson. Dans trois chansons sur cinq, il y a une part de réel, ancrée dans le réel tout en ayant quand même réussi à quitter la veine de la chanson réaliste qui était encore très tendance dans les années 90, avec justement toute la scène alternative avec entre autres Pigalle, Têtes Raides, Casse-Pipe, on était tout de même bien dans cette mouvance-là, on avait bien hérité des Pierre Mac Orlan et compagnies et donc se défaire des chansons réalistes qui évoquaient bien le drame social… non, ce n’était pas simple de s’en défaire… écrire encore sur ma vie mais en ayant une écriture plus large.

Dernière question par rapport à tes projets, tu as parlé d’un album. Sous ton nom et en duo avec Pascal ?
Oui, en duo avec lui, mais avec des invités. On reste sous le nom de Jéhan, même si Pascal fait désormais partie intégrante du groupe; c’est vrai qu’on ne s’est pas trop posé la question du nom; je n’ai pas envie de rechanger niveau com’ et puis c’est moi qui porte le projet… Même si on fait évoluer le groupe, on a déjà expérimenté un troisième musicien, mais pour l’instant, on a préféré rester en duo.

L’idée, c’est de faire évoluer la formation duo qui existe aujourd’hui par nécessité, facilité et urgence. On voit déjà qu’à deux, on répète tous les 2 jours; ça fait qu’il y en a un qui est en place assez rapidement. On veut aussi que le projet puisse être pérenne; niveau budget, c’est pas pareil, se déplacer, etc. J’ai un autre duo avec Sylvie Jourdan, c’est elle et moi qui écrivons les textes mais on est sur l’idée d’écrire pour 2 voix; soit on chante à 2 sur le même morceau chacun notre tour, soit à 2 voix. Nous serons en résidence au mois de décembre au forum de Nivillac pour ce projet, et avec un projet pour monter un nouveau répertoire…

Dans quelle mouvance s’inscrit cet autre projet ?
Une mouvance plus chanson je dirais, même si Sylvie dans son jeu, n’hésite pas à aller vers le blues le rock ou encore le jazz. Pour ce nouveau répertoire, je pense que Gil Riot serait invité, par exemple. Et puis j’ai des projets à côté et Sylvie en a aussi d’autres ; mais sur celui-là, on a déjà un son qui nous est propre; là-dessus, je joue très peu de guitare; par contre je manipule de la percu’, du tom bass, du bodhran… Sinon, il y a aussi le projet d’exposition. Ça fait déjà trois projets à mener de front, parce que même si on travaille dans l’urgence, on est aussi plus exigeants avec nous-mêmes; donc l’un dans l’autre, ça ne va pas forcément plus vite; quand t’as 25 ans ça va plus vite que quand t’en as 50 (rires)…

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Stef’Arzak