Hier, le Monde s’est écroulé. La nouvelle, invraisemblable et effarante, est tombée : Jean-Louis Murat n’est plus, emporté par la maladie, à l’âge de 71 ans. Sa discographie me revient comme un flash-back persistant, de ces souvenirs qui jalonnent une vie, la mienne, pour ne plus me lâcher. Nous sommes en 1989 et je tombe littéralement sous le charme -pour reprendre Louise Feron- d’un chanteur. Cheveux en bataille, gueule d’amour et yeux azurés, Jean-Louis Murat (né Bergheaud) change la donne du paysage musical français à grands renforts de paroles poétiques et de musiques ouatées. Après les succès confidentiels de “Murat” et “Passions Privées”, l’ami auvergnat allait connaitre la reconnaissance critique et publique avec un “Cheyenne Autumn” bouleversant. Synthétiseurs en bandoulière et bande sonores champêtres sont, ainsi, au rendez-vous faisant fi des ritournelles prémâchées qui polluent le réseau hertzien dans notre hexagone.
Oui, le coup de foudre fut immédiat pour cet album hautement cinématographique- le titre renvoyant directement aux “Cheyennes” de John Ford. Il me faudra patienter deux ans, usant ainsi-et plus que de raison-ma cassette audio, pour retrouver mon paysan lettré. Avec ” Le manteau de pluie”, JLM déploie des trésors de romantisme bucoliques et s’offre le plus beau single français de cette année 1991 avec “Col de la Croix-Morand”. Mon attachement pour l’interprète nonchalant devient absolu. Ses chansons soignent mes plaies et me guident à travers le labyrinthe de passions qu’est ma vie. 1993. Un détour via une grande enseigne (en saigne ?) culturelle près de la Place des Ternes et me voici en possession de ce torride “Vénus” aux nappes ensorcelantes. Une fois encore, l’Auvergnat se distingue de la masse et convoque Manset dans une grande Messe hypnotique et immobile.
Mieux, il offre à ses fidèles un concert inoubliable à La Cigale, lui qui rechigne tant à s’exposer sur une scène, même si cette dernière est jonchée de feuilles mortes.
- Le courant de mon existence a suivi d’autres bras. Je demande à mon frangin de m’avancer l’achat du très attendu “Dolorès”, à tout hasard, sachant que la date de sortie est prévue quelques jours plus tard. Joie ! Il revient avec un chef-d’œuvre à la pochette explicite (que l’auteur désavouera par la suite, laissant cette faute de goût à sa maison de disques). Les titres fabuleux se bousculent, “Fort Alamo”, “Dieu n’a pas trouvé mieux”, “Le môme éternel”…JLM tutoie les anges (“la baise avec Dieu”, pour reprendre l’un de ses aphorismes dans une interview donnée aux “Inrockuptibles” à la fin des 80’s), la tête en arrière et les mains dans les poches.
- Black Session organisée par l’immense Bernard Lenoir. « Murat en plein air » version Live. Bestiaire. Beauté. Ad Lib.
- Comme une fin de siècle. JLM=JIM, se faufile dans l’établi, murmure à l’oreille des chevaux et confectionne une nouvelle pièce maitresse. “Mustango” le bien nommé. Pas de deux nerveux en terre américaine. L’album sonne country mais se pare d’oripeaux contemporains, rend un hommage vibrant à Jim Harrison tout en louant les qualités mélodiques de Polly Jean et Calexico . Ouest Terne? Non. JLM brille de mille feux et se rêve en Technicolor. Johnny Guitar ou Frenchman, c’est selon.
Une tournée extraordinaire est entamée avec, pour point d’orgue, un Olympia à guichets fermés. Relectures électro de titres emblématiques avec l’appui du fidèle Denis Clavaizolle, la salle parisienne décolle et votre serviteur, bien que situé tout au fond, avec.
- Ma vie est un bordel sans nom. Dans les bacs, “Le Moujik et sa femme”. Murat fait dans le frontal. Les paroles sont plus ramassées, plus simples mais le talent de composition demeure. Comme un juke-box rempli ras-la-gueule de 45 tours populaires, cet album mise sur l’efficacité. L’ami Jean-Louis décontenance, certes, mais avance.
- Ma vie est un chaos. “Lilith”, double album gargantuesque m’aide à y voir un peu plus clair. Idée d’un “grand frère” sentimental et globe-trotter qui enverrait des cartes postales comme autant de bouées. Le bon génie sur une épaule, Lilith sur l’autre et vogue le navire. Equilibre précaire. Cette fois, Murat joue sur les deux tableaux, le consensuel ( “Le cri de papillon”) et le con sensuel (“Elle pleure”), quitte à nous désarçonner. Les concerts suivent et ne se ressemblent pas. Jim Morrison crachait son “Back Door Man” sur 10 minutes, JLM lui emboite le pas avec des “Jours du Jaguar” abrasifs.
Souvenir d’un Live dans un grand théâtre parisien, cocon feutré, public pomponné mais culbute sonique (ta mère) sur les planches.
- Ma vie se barre en sucette. Découverte de “A bird on a poire” via un Discman-et non dans un salon- sur la ligne 14. En dépit du bruit environnant, l’aspect be-bop et pop-guimauve me surprend. Basse de Fred Jimenez, voix langoureuse de Jennifer Charles, duos sexy et formats courts, le LP est une oasis dans le désert. Une Victoire sur la Musique et non DE la Musique. Suivez mon regard. Twist dans le Cantal-oop! Love Story au Mont sans-souci.
Concert inoubliable à Bobigny où, devant un public clairsemé (nous étions une trentaine à tout casser), JLM donne tout. S’épanche sur la naissance de sa fille Jeanne, son GPS, le 9-3 qu’il ne connait pas…Générosité lorsqu’il propose de jouer ce que le public désire. Sourire. Son attachée de presse nous invite à le rencontrer back stage à la sortie du concert. Loin de l’image d’ours mal léché emprisonné dans le cube cathodique, Murat dévoile une personnalité attachante et bienveillante. Je lui rappelle une précédente rencontre à “La Route du Rock” et des prestations incendiaires de PJ Harvey et Jon Spencer Blues Explosion. Il acquiesce. S’enthousiasme. Je frémis devant mon idole. Lui tend un disque autoproduit du groupe Clouzot avec lequel je travaille en tant que parolier. Cadeau. Il me remercie, retourne la galette et s’exclame : “Lavomatic Pasolini”, il est génial, ce titre !”. Je m’extirpe du Canal 93, le sourire aux lèvres. Putain de soirée.
2005: Ma vie est un puzzle. Ecoute studieuse de la frontière suisse à Paris dans un TGV frigorifié. Mockba. L’ours Michka se tape la première dame, surfe sur des océans de violons et déroule une langue de Voltaire chargée de symboles. Magnifique. Yes Sir.
2006: Mon fils vient au monde. Taormina. JLM mesure sa peine mais je suis aux Anges. Album rugueux, boisé, musqué. Murat en quête d’essence flirte avec l’Italie et Neil Young. Plus paparazzi que Papa rancis. Murat sauve mon Monde. Effet miroir.
- Ma vie est un tunnel. Un père et impasse. Murat embellit les écrits de Baudelaire et ravive la flamme de Ferré. Un album vertigineux aux reprises parfaites. Un terreau inépuisable en termes d’inspiration littéraire. Du baume au cœur dans le malheur.
- Ma vie est en chute libre. Tristan. Murat empoigne sa guitare, la tend vers l’au-delà telle Excalibur et nous récite, avec malice, l’amour courtois. Ses mots sont toujours omniprésents. Hélas. Je commence à m’éloigner. Histoire de contexte.
- Ma vie suit des mouvements aléatoires. Murat, cow-boy à l’âme fresh, rentre de Nashville avec un étui à guitare sous le bras. “Le cours ordinaire des choses” me va comme un incendie. Album raccord avec le tourbillon qui me sert de décorum. Concert inoubliable (encore un!) à “La nouvelle Vague” de Saint-Malo où le troubadour à l’harmonica offrit une set-list impeccable sous influence CSNY. Mi-Dylan, mi-Dealer de bonheur.
2011, ma vie sent le roussi. JLM passe la quatrième et enchaine les albums dans une boulimie de studios et de planches. “Grand Lièvre” et “Toboggan” me ravissent mais je suis déjà las. Grand écart. Toujours admiratif du Monsieur, il va sans dire, mais recul poli.
- Ma vie reprend des couleurs. Babel avec le Delano Orchestra. Impossible d’en faire le tour. Double LP inspiré et inspirant. Platine exsangue. Feedback. Le temps des K7 usées sonne à mon esprit. Concert extraordinaire à la “Maroquinerie” de Paris, dans une petite configuration, inévitablement, remplie à bloc. Un groupe comme un seul homme avec l’auteur-compositeur-interprète comme figure de proue. Classe et fiévreux. Audience moite. Certainement la prestation la plus rock du poète de Chamalières. J’oubliais. Je suis amoureux.
A partir de 2016 jusqu’en 2021, j’écoute d’une oreille distraite les productions cadencées de l’animal surdoué. Ses paroles semblent écrites dans la précipitation, ses compositions souffrent de redites. Je ne retrouve plus le danger ni l’originalité qui peuplaient ses litanies. Terrain infertile. Le lien se défait. Perte d’envie. Je m’en veux.
- Une de Libé ce matin. Jean-Louis Murat n’est plus et c’est inconcevable. Les artistes nourrissent nos existences et nous guident vers des chemins inextricables mais balisés. Soufflent des vents porteurs sur notre verticalité butée, nos incartades, nos faux pas.
Jean Louis Bergheaud, était, pour moi, de cette trempe-là. Un autre/ antre rassurant. Un camarade exigeant, épris d’absolu.
J’ai chialé comme un gamin à l’annonce de sa disparition. Adieu, le voleur de rhubarbe. Adieu, l’héritier des Flynn.
Et merci pour tout.
Je me sens seul comme jamais.
“Je partirai cette nuit
Sous un ciel peuplé d’étoiles
Je ne connais qu’une envie
Je veux retrouver mon âme.”
John Book.