La talentueuse lyonnaise Claire days, est une artiste dont nous suivons l’évolution avec attention et dont nous vous avons déjà maintes fois vanté les mérites. En cette fin d’année, elle était à l’affiche du festival Bars en Trans de Rennes, l’occasion de la découvrir enfin en live et quelques minutes avant de monter sur la petite scène du café-concert La Place, une nouvelle fois d’échanger avec elle sur son univers, sa façon de le concevoir et ses attentes.
Je te rencontre aujourd’hui dans le cadre des bars en trans à Rennes. Qu’est-ce que ça te fait d’être programmé à cet événement ?
C’est une très bonne nouvelle. On a appris ça assez tard. Je crois que ça fait un mois qu’on était au courant.
C’est chouette, je suis très contente. Je n’avais jamais joué à Rennes et je connaissais ce festival de réputation. Je suis toujours contente de jouer, quel que soit le contexte.
Tu as déjà un projet qui est bien avancé, avec une esthétique marquée. Tu viens de ressortir un nouveau single et tu travailles sur un prochain album. Où est-ce que tu en es dans le développement de ton univers musical ?
Je ne saurais pas répondre, je ne sais pas où j’en suis. Honnêtement, c’est difficile de dire, je suis juste à l’instant T. On est fin 2024, j’ai 30 ans, ça fait depuis l’après-Covid que je me suis professionnalisée.
C’est passé d’une pratique amatrice au hobby se professionnalisant à un truc qui ressemble énormément à une profession. Qui est mon métier et où j’en suis personnellement, c’est mouvant mais je suis très contente de tout ce qui m’est arrivé cette année.
Enregistrer le deuxième album, faire les choses comme j’avais envie. Musicalement, je suis à un stade où j’ai énormément de plaisir à faire de la musique et à la faire avec les gens qui m’entourent.
La dernière fois tu me disais que tu avais besoin d’être entouré pour développer ton projet, pour te mettre en confiance, t’installer dans ton univers. Et que la scène pour toi était quelque chose de parfois un peu complexe à appréhender de façon sereine. Est-ce que ce sont des choses que tu arrives à mieux anticiper et à mieux vivre maintenant ?
Je pense que c’est un long chemin pour moi. Le fait de me sentir à l’aise en public et sur scène. J’y suis de mieux en mieux, notamment parce qu’il y a plein d’ajustements qu’on a fait au fil du temps. J’identifie plein de choses dans mon fonctionnement, ma personnalité, mes interactions sociales qui pouvaient rendre la performance et l’exposition sur scène complexes.
L’exposition ça reste un rapport complexe pour moi. Mais je me sens plus solide. Et je pense que c’est vraiment le travail du temps qui fait qu’on se comprend mieux, on se connaît mieux.
Je sais par exemple que là, il faut que j’ai une demi-heure où je parle à personne avant de monter sur scène. Et qu’il ne faut pas que je me laisse avoir par toutes les interactions sociales.
J’ai besoin de me concentrer et d’être dans ma tête ou d’être juste avec mes musiciens avec qui maintenant il y a une forme d’osmose. On apprend au fur et à mesure.
Tu disais un instant que tu avais bien avancé sur ce nouvel album. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?
Ce sont des chansons qui m’ont accompagnée ces deux dernières années, lorsque j’étais en tournée ou quand je rentrais chez moi pour quelques jours.
J’ai pu financer une semaine de studio avec tous mes musiciens et Fink, qui est un artiste anglais avec lequel je collabore depuis des années. On a passé une semaine en Ardèche, coupée de l’agitation, et on a fixé une première mouture de l’album.
Ensuite je suis rentrée chez moi et je me suis dit que ce n’était pas exactement ce que je voulais. Donc j’ai récupéré toute la matière qui avait été enregistrée, je l’ai mise dans mon ordi et j’ai passé un mois à tout retravailler, à réenregistrer des choses que j’avais envie de réenregistrer. J’ai même rajouté une chanson.
On va dire que de la matière avait été créée, et à partir de ça, j’ai transformé cette matière. Je l’ai étoffée.
Il y a des morceaux qui vont sortir progressivement, et l’album arrive fin mars.
Dans tes chansons tu fais une folk assez introspective. Est-ce qu’au fur et à mesure de ton travail, l’écriture devient quelque chose de plus facile ?
J’écris des chansons depuis que je suis enfant, donc pour moi c’est assez naturel et constitutif de ma façon de fonctionner que d’écrire des chansons. Mais on n’écrit pas les mêmes choses quand on est en primaire, quand on est au lycée et quand on a 30 ans et des cheveux blancs.
Mais j’ai l’impression que j’écris les mêmes chansons, et qu’il y a quelque chose d’un peu différent dans mes textes. Mes paroles sont plus travaillées. Avant j’avais un élan qui me permettait d’écrire une chanson sans revenir dessus. Vraiment aucune modification ultérieure. Aujourd’hui ça fonctionne un peu différemment. Je laisse les paroles s’écrire, je les modifie, je me laisse un peu de temps, je fais confiance au processus. En réalité, je me suis éloignée de cette croyance un peu naïve, mais tout à fait pertinente à l’époque, de me dire qu’il ne fallait pas retoucher quelque chose qu’on a créé.
Là, les paroles, franchement je les peaufine. Je me sens bien plus en phase avec les paroles de cet album-là que celle du premier.
Je pense que le passage par le français, avec l’EP que j’ai sorti il y a un an, a un peu transformé l’attention que j’ai portée à mon écriture. Et musicalement j’ai juste essayé de me faire kiffer, jouer les trucs que j’aime jouer, chanter les choses que j’aime chanter, c’est du plaisir avant tout.
Est-ce que sur cet album tu mélanges à la fois le français et l’anglais ?
Oui, il y a un peu de français et beaucoup d’anglais.
Quand on a discuté la dernière fois, j’avais senti beaucoup de doutes dans la façon dont tu t’exprimais. Alors que maintenant on sent quelque chose de beaucoup plus affirmé. Est-ce que tu penses que c’est les expériences que tu as faites ? Ou est-ce que c’est le fait, comme tu disais tout à l’heure, d’être entourée par des musiciens qui te réconfortent, qui te permettent d’avoir plus confiance en toi et dans la musique que tu défends ?
Je pense que ça dépend des jours et des situations. Pour moi, depuis que je suis enfant, je me suis mise à créer des chansons et dire les choses, ce n’est pas pour rien.
C’est parce que la parole n’est pas l’outil le plus aisé pour moi pour exprimer les choses, selon les contextes. Dans un contexte de promotion avec des personnes inconnues, ça me met dans un état profondément compliqué.
Pour moi, le doute fait partie de la vie, et il fait d’autant plus partie de la vie des artistes. On crée des choses, on n’est pas sûr que ça va plaire.
On est aussi dans des problématiques bien plus pragmatiques de développement et d’économie. Avec le modèle économique actuel de l’industrie musicale, on ne peut pas vraiment vivre de notre art. On offre de la musique aux gens.
Si tu as l’album que je fais là, il va me rapporter zéro argent. C’est un constat dramatique pour les artistes. Il y a une sorte de doute et de remise en question constante qui fait partie de notre pratique et de notre condition financière et professionnelle.
Ça dépend des jours, ça dépend des personnes. En tout cas, je pense que ma vision, mon assise, mon regard évoluent avec le temps, et je me sens de mieux en mieux, je me sens de plus en plus solide sur mes appuis, mais aussi de plus en plus désillusionnée vis-à-vis de ce milieu et des perspectives que j’ai. Mais ce n’est pas grave, parce que je n’ai pas envie de vivre dans une illusion.
Je préfère vivre avec la réalité. Je vais continuer de faire de la musique pour faire de la musique parce que j’adore ça, Je suis bien consciente des conditions dans lesquelles je vais devoir le faire.
Ça te permet peut-être aussi de construire une certaine forme de carapace pour lutter contre toutes ces précarités malgré l’intermittence ?
Oui, on a beaucoup de chance d’avoir ce statut là, mais c’est un statut qui reste très fragile et qui repose quasiment uniquement sur le concert. Pour se former une armure ? En tout cas, protéger les choses qu’il faut protéger dans sa personnalité, son art, ses convictions.
Préserver le bon et continuer de faire de la musique pour ces choses précieuses là. Ça me semble essentiel. Et y prendre du plaisir à chaque fois aussi.