[Interview] Thibault Eskalt – “Poussière”

Thibault Eskalt chanteur dijonnais dévoilait début juin “Poussière“, le nouvel extrait de son EP, où il s’interroge sur la place de l’homme dans la nature. Mélancolique et profondément libre, la dream pop mélodique de Thibault s’unit cette fois avec la puissance symphonique de la chanteuse lyrique Catherine Trottmann, pour rendre encore plus poignant le sujet même de la chanson “la place de l’homme dans la nature“. Prônant des valeurs écologistes et humanistes, Thibault, nous confronte aux enjeux qui sont au cœur même de notre société moderne, mais également aux perspectives déplaisantes de nos choix ! Fin de civilisation, fin du game, retour à la poussière. 
La nature ne devrait plus être considérée en tant que ressource à la disposition des humains. À la fois entièrement séparée de l’homme, auquel elle a donné vie, et entièrement dépendant de lui puisqu’il la détruit. Mais souvenons nous que la nature n’a pas besoin de l’homme pour exister, elle reprend toujours ses droits. “Dis-moi que sommes nous dans l’univers“, voilà qui nous donne envie de partir en quête de sens.
Thibault répond à nos questions, sur cette quête et sur lui-même.

Bonjour Thibault, comment est né ton projet solo ?
Je ne sais pas si on peut parler de naissance. Je suis une piste depuis mon enfance. Ma voie. Et j’avance au gré des éléments, avec le temps. Comme un arbre s’enracine et s’élève. Je dessine mes paysages musicaux, j’aligne mes idées comme la nuit aligne les étoiles. Ce projet solo ne l’est pas vraiment puisque je suis entouré. J’ai été solitaire longtemps, car je contemplais le monde, pour le comprendre avant de me jeter dans le grand bain. Ce n’était pas de la prudence. Je suis comme ça j’aime comprendre avant de plonger avec la plus grande intensité. Je pense que ça m’a aidé à me comprendre moi-même. Ce projet n’en est pas un, je suis un artiste pas un projet. Un homme sensible, un animal émotif. C’est donc un cheminement, une vie entière que je porte dans ces chansons. C’est mon regard sur cette époque. Un naufragé qui s’adapte. C’est sur ce socle que je bâtis mon propos. J’avais une vision personnelle que je devais retranscrire. Elle n’entrait pas le cadre d’un ensemble. Je me suis rendu compte que j’étais un moteur et que je devais d’abord avancer seul pour pouvoir affiner mon art et ma personnalité. Cultiver ma différence.   

 

À l’écoute de tes sorties, on distingue un attachement profond sur les enjeux climatiques. Au-delà de l’évidente importance du sujet, pourquoi en faire ton cheval de bataille musical ?
Je ne suis pas que ça. Ce sujet me touche particulièrement, car c’est un mal latent. Qu’on connaît, qu’on reconnaît, mais contre lequel malheureusement nous n’arrivons pas à nous lever directement, car le soigner engendrerait des conséquences immédiates qui fragiliseraient trop notre monde. La société que nous connaissons est sur une lancée qu’on ne peut pas arrêter en une seule fois. Le changement doit être progressif. C’est un équilibre à trouver. Plus nous avançons, plus nous avons conscience de ce qui arrive, et plus nous contribuons au désastre. En tant qu’artiste, je ne fais qu’un constat ; je n’apporte pas de solution ou de jugement. Je vis sur cette planète, je fais partie de l’ensemble, mais je possède une faculté d’expression qui peut aider à prendre conscience ou même exprimer tout haut ce que certains ressentent tout bas. Ce n’est pas évident de trouver sa place dans ce monde étrange, ce monde que nous voyons muter de plus en plus vite. Aussi, mon regard de jeune père a affûté mon œil sur l’avenir. Je profite de l’instant présent plus que tout. Mais je pense à mon enfant. À sa vie et à sa place dans le monde de demain. Alors, oui je suis concerné par la crise climatique, car j’en fais partie comme nous tous. Et les questions que je me pose dans ces chansons c’est surtout comment se sentir face à tout ça ? Victime ? Coupable ? Responsable ? C’est difficile d’assumer le bonheur. Mais il faut réussir à être heureux quand même. Notre époque et l’ambiance sont anxiogènes, climato-anxiogènes. À un moment, je me dis que je ressens ça, là maintenant, et que ces sentiments sont peut-être plus urgents que des chansons d’amour. Car je ne suis pas le seul à ressentir ce volcan qui bouillonne. 

 

Comment procèdes-tu, lorsque tu composes tes chansons, pour mélanger ainsi la gravité de tes textes et tes mélodies pop ?
En toute honnêteté, je ne sais pas. J’aime la musique, j’aime chanter, j’aime écrire et j’aime savoir quoi dire avant d’écrire ou chanter. 

J’adore la pop, car elle est universelle et intemporelle. Elle peut prendre plein de couleurs différentes en fonction de l’oreille ou du regard du public. C’est une poésie qui laisse une belle place à l’imagination aux émotions. Le public l’interprète plus qu’il ne la comprend et c’est ça le plus fort dans la pop ! 

C’est surtout, je pense, trouver un équilibre entre la simplicité et la complexité des sentiments humains. C’est facile de faire de la musique complexe quand on réfléchit beaucoup et tout le challenge pour moi c’était de simplifier pour transcender mon propos et ma sensibilité.

 

Dans tes chansons, on t’imagine reclus dans la nature loin de l’urbanisme galopant. Est-ce le cas ? Et dans quelle mesure ton environnement, le lieu où tu composes, influe-t-il sur tes créations ?
(Rire) Thibault Eskalt ; celui qu’on voit dans les clips, c’est la version la plus proche de ma personnalité, je crois. Mais ça serait égoïste de ma part de vivre ainsi.   

J’ai aujourd’hui des responsabilités qui, pour le bien de ma famille, pour nos développements respectifs me font rentrer dans les cadres. Ce n’est pas un mal, au contraire. Ça permet d’avoir une stabilité de parent. Nous vivons entre nature et cité en étant les plus attentifs possibles à ce qui nous entoure. Une vie à la fois concrète et poétique.

Pour créer, j’ai besoin de me bâtir un espace où je me sens en sécurité. Où j’ai des repères. Ma vie est parfois tellement mouvementée que j’ai besoin d’être stable pour créer. Que ça soit une grotte, un garage ou une pièce à vivre, j’ai besoin de l’habiter et qu’elle m’habite. C’est comme installer un bivouac. J’ai besoin d’une journée ou deux pour me sentir bien. Je dois entrer en immersion et me connecter au silence, car ma musique c’est du silence entrecoupé en notes et d’émotions. 

Je pratique aussi de l’écriture automatique. Récemment, j’ai écrit pendant 100 jours et maintenant je n’ai plus qu’à trier. Je stocke de la matière dans mon dictaphone et mes carnets et ensuite quand j’ai créé mon bivouac de création, je travaille sur cette base de notes. 

Souvent, je commence à travailler autour d’un instrument organique une guitare ou un piano. Si la chanson fonctionne en voix-guitare ou voix-piano, c’est du temps de gagné sur la production. Et surtout elle sera transmissible de bouche à oreille, les gens pourront la chanter. 

 

Tes clips, très cinématographiques, sont particulièrement soignés. J’ai cru comprendre que tu collaborais avec Cyril Lorenzi pour la réalisation de ceux-ci. Comment fonctionnez-vous et qui imagine le cadre scénaristique de chaque clip ? 
J’ai rencontré Cyril en 2019 et nous avons fait le clip de « Quelqu’un qui m’entend » ensemble puis « À la fin » et « Paris peut bien tomber demain ». Ensuite j’ai réalisé « Sauvage » en collaborant avec Mickaël Gilles et Gabriel Mousserin. On a repris le travail avec Cyril sur « Les désorientés », il a filmé/cadré et j’assurais l’écriture et la réal. Sur « Poussière », j’ai écrit le clip et lui l’a réalisé, on a réfléchi ensemble à la bonne manière de le faire en respectant notre dynamique, nos envies, notre éthique et l’esthétique qu’on installe depuis quatre ans. C’est une relation quasi fraternelle. Nous sommes deux débrouillards passionnés et nous aimons apprendre et explorer. Quand on se voit, c’est un peu comme quand on reprend une partie de jeu vidéo sauvegardée il y a plusieurs mois ou années. Nous reprenons là où nous nous sommes arrêtés. Cyril est très sensible et je crois que ma musique l’a touchée. Nous sommes passionnés l’un et l’autre.

Enfin, il y avait cette envie folle de faire un univers étendu : la même histoire, le parcours d’un homme qui traverse un monde délaissé. Décliner son cheminement de clip en clip en le faisant évoluer psychologiquement. Comme pour le préparer à retourner dans le monde réel, dans la foule ou sur scène… On voulait traiter la thématique de la solitude dans cette époque immense. Le monde n’a jamais été aussi grand que maintenant et on se sent tous seuls, bien qu’hyper connectés, devant les enjeux de notre époque. Alors on a créé cette fresque et ce personnage qui avance vers la lumière, explorateur pop, un peu Saint-Exupéry, un peu Petit Prince. C’est une métaphore de nos vies, une quête perpétuelle du bonheur. On peut donc dire que Cyril Lorenzi, c’est une sorte de double de Thibault Eskalt, on filme de la même manière, on résonne de la même façon. Nous nous forgeons ensemble et j’espère que ce travail nous amènera sur des plaines lumineuses où nous pourrons nous poser, trinquer, en regardant l’horizon et tout le chemin parcouru avec l’immense satisfaction d’avoir accompli quelque chose, que notre histoire personnelle en inspire d’autres et peut être les aide à avancer, ou simplement les divertisse, car c’est surtout ça aussi que nous aimons : vous divertir et vous émouvoir ! 

 

Pour ton dernier single “Poussière”, tu collabores avec la cantatrice Catherine Trottmann, qui ajoute un angle encore plus dramatique à la chanson. Parle-nous de cette rencontre ?
C’était un rêve. Faire un pont entre son monde et le mien. Aujourd’hui, tout est tellement bien cadré et formaté qu’il est difficile de franchir certains espaces. C’est quasi 10 ou 15 ans de développement cette chanson. 

Nous nous sommes rencontrés en 2008 et je suis tombé instantanément amoureux d’elle. Je chantonnais à peine quand elle est arrivée dans ma vie. Elle a été un vrai catalyseur pour mon destin. Je viens d’une famille pas du tout artistique alors cette rencontre a changé ma vision de la vie et mon futur à l’époque. 

Tout ce que j’ai pu faire convergeait secrètement vers ce passage entre les deux mondes. Nous réunir dans le travail et à l’écran c’est une victoire pour moi et j’y ai mis tout ce que j’avais. 

Nous sommes ensemble dans la vie, mais nous ne pouvions pas partager nos métiers et voilà qui est fait.

Il fallait avant tout trouver le bon angle pour rendre son intervention percutante et cohérente. Il fallait qu’il y ait du sens. Ne pas la faire chanter pour le style ou la forme, mais pour transcender une émotion. 

Nous avons enregistré sa partie dans l’appartement de Clément Simounet, l’arrangeur du titre, que je salue et embrasse fort. C’était un moment de grâce. L’idée était là, et Catherine a été parfaite. Ensuite dans le clip, sa présence incarne ce qui se passait dans nos vies au moment du tournage. J’étais en deuil de ma maman, nous avions perdu nos contrats à cause de la crise sanitaire. J’étais un brin de paille dans une tempête et elle m’a annoncé que nous attendions un enfant juste avant le tournage ce qui rend sa rencontre dans le clip encore plus forte et symbolique. Elle me sortait du noir infini qui m’absorbait. C’était la vie le mouvement qui revenait à nous. Et qui finalement résonnait avec ce refrain « qui sommes-nous dans l’univers ? ».

 

Sur scène, avec ton spectacle “Le dernier homme sur Terre”, tu incarnes cette sensibilité avec intensité. Globalement, quel est le retour du public ? Sont-ils intrigués, sensibilisés par ton propos ?
Le spectacle « Le dernier homme sur Terre », c’est la prolongation sur scène de ce qu’on voit dans les clips. Même univers, même personnage, costume et accessoires. 

C’est une histoire qui s’écrit et qu’on pourrait décliner en BD ou en film, tellement on possède d’éléments !

Le public est décontenancé, mais embarqué dans l’univers comme jamais. Certaines personnes ont parfois oublié de manger leurs assiettes quand je jouais dans des lieux où l’on mange en même temps que les concerts tellement l’objet est inattendu. Je pense qu’il faudrait demander à ceux qui l’ont vu d’en parler ! Moi, je suis dedans, je le vis le plus simplement possible. Je suis dans mon bivouac avec mon parachute et ma boussole et je me sens bien. J’adore ce spectacle, car je peux être simple sur scène et donner au public.  

Ça ne plaira pas à tout le monde, mais ceux qui adhèrent sont tout simplement ravis de l’expérience ; à la fois émus et divertis. 

 

En fait, rendez-vous le 20 octobre aux Trois Baudets à Paris tout simplement !

 

 

Photo de couv. ©Sébastien Ruat