[Interview] SIGNAC – « Jusqu’ici »

Fred Signac est un artiste rare, un artisan de l’intime, un chanteur de l’abîme, dont la voix ciselée et rocailleuse se mêle à des orchestrations acoustiques, électriques et oniriques toujours subtiles. Depuis ses premiers pas sous le nom de Dimanche Désuet en 1995, il a su tisser une œuvre musicale délicate, hors des modes, où la chanson française dialogue avec des échos folk et rock, empruntant parfois des chemins de traverse vers des contrées plus baroques, plus poétiques ou plus sombres.
Son dernier album, « Jusqu’ici », est une traversée à son image, infiniment sensible, une sorte d’errance noble et fragile où chaque titre est un fragment de vie dévoilé. Accompagné de ses fidèles complices – Christophe Jouanno, Eric Signor et Joël Rodde – Fred Signac y explore, en 11 chansons, la beauté d’un cœur marqué par les coups du sort et les incontrôlables vertiges de l’existence qui font vaciller les trajectoires. Les guitares vibrent, les mots résonnent, et l’album se déploie comme un carnet de notes intérieur, où l’on croise l’empreinte des grands explorateurs de la chanson, de Gérard Manset à Alain Bashung en passant par Rodolphe Burger et, bien sûr, Léo Ferré.  Autant d’accointances judicieuses qui forcent le respect et nous font tendre une oreille attentive.
Fred Signac, avec sa voix à la fois fragile et habitée, nous convie à une odyssée où le temps sait encore nous surprendre au vol.
Il y a deux semaines, nous avons pris rendez-vous à distance pour discuter de musique, bien sûr, et de la vie surtout.

Pour commencer, pouvez-vous nous parler de ce qui vous a mené à l’écriture de ce huitième album?
Depuis 30 ans, je n’ai jamais cessé de composer et d’enregistrer des chansons. C’est une nécessité, un moyen d’expression, qui rythme  ma vie. Ce n’est pas un hobby mais une passion, c’est une partie de moi qui m’aide à avancer.

J’ai longtemps partagé l’écriture avec un ami d’enfance, Joël Rodde. On se connaît depuis la cinquième et on ne s’est jamais quittés. Depuis quelque temps, je lui laisse totalement carte blanche sur l’écriture, car il écrit bien mieux que moi et sa poésie, ses mots résonnent en moi comme s’ils étaient les miens. Cette dualité me surprend à chaque fois.

Quand à la musique, je m’en occupe entièrement. Le précédent album datait de 2018, premier opus sous le nom désormais de SIGNAC et après des moments difficiles, il était essentiel pour moi de continuer. « Jusqu’ici » souligne le fait que je suis toujours là, que malgré les embûches, la vie continue. Il s’agit d’un constat, une façon de dire : « Voilà où j’en suis aujourd’hui, je vous emmène jusqu’ici ».

Je suis entouré de fidèles complices : Christophe Jouanno à la guitare électrique et divers instruments. Il est aussi ingénieur du son , a enregistré et mixé ces chansons ; c’est un véritable sorcier du son. Eric Signor joue des cordes, des claviers, du piano et de l’accordéon avec un immense talent. Moi, je suis à la guitare folk, aux compositions et au chant.


Vous chantez avec une grande intensité, et votre voix est souvent comparée à celle d’autres artistes majeurs de la scène française. Pour vous, cette intensité fait-elle partie de votre manière d’exprimer votre musicalité et de rendre la vie plus belle et supportable ?
Ma voix sort naturellement, sans calcul, sans forcer. L’intensité vient sûrement et aussi des mots. Ils me frappent comme une vague en plein visage, et c’est à partir d’eux que la mélodie naît. Les mots ont une puissance que je retranscris un peu inconsciemment, en suivant mon instinct.
Pour ma part, une chanson n’est pas un divertissement léger, c’est un ouvrage essentiel, crucial même. J’y mets tout : ma vie, mon âme, mon esprit, mon cœur. Peut-être est-ce cette intensité que vous ressentez.


Votre univers musical semble être marqué par une sensibilité à vif. Cela a-t-il toujours été ainsi pour vous ?
Oui. Je n’ai pas eu une vie facile, mais qui l’a vraiment eue ? Il ne s’agit pas d’adopter une posture d’écorché vif, mais plutôt de transformer cette blessure en quelque chose de positif, sincère et créatif. Une chanson est un acte de vie, et si elle peut résonner en quelqu’un d’autre, alors c’est une victoire.


Quels sont les artistes qui vous bouleversent le plus, passés ou présents ?
Depuis toujours, je suis touché par des artistes authentiques. Parmi eux, Rodolphe Burger ou Dominique A  dont je sens une sensibilité qui me touche. La folk aussi me parle beaucoup. C’est une musique instinctive qui capture l’instant présent, et c’est ce que j’essaie de transmettre à ma façon.


Vous êtes en autoproduction depuis vos débuts. Comment vivez-vous l’évolution du milieu musical, notamment avec la révolution numérique ?
Je ne suis pas certain qu’il y ait eu une révolution, plutôt un bouleversement du rythme avec un système de consommation musicale. Aujourd’hui, tout va trop vite. La musique est devenue un produit de consommation comme un autre, que les gens grignotent par petits morceaux. Un album de chansons est une partie de nous-mêmes que nous révélons, l’expression d’une personnalité, certainement pas un produit à consommer.

Je n’ai jamais téléchargé de musique, je préfère acheter et écouter les disques physiques. On a perdu le sens du temps et de l’écoute. Heureusement, il reste des passionnés qui cherchent encore une connexion plus profonde avec la musique.


En ces temps troublés, trouvez-vous encore de la beauté dans ce qui vous entoure ?
Oui, même dans les pires moments, il y a de la beauté. Il faut juste savoir la voir et la saisir, la transformer, justement, en création, ce qui est positif. Une belle chanson, parfois, surgit de la noirceur elle-même, on en fait quelque chose de concret, on en fait une chanson qui pourra aussi, peut-être, résonner chez d’autres personnes.

Et là, ça devient un acte de vie où les mots, les musiques, prennent sens. Je suis aussi un très grand auditeur de musique, et quand je prends une claque avec un disque, pour moi, c’est un moment de connexion unique.


Quels sont les artistes qui vous bouleversent le plus ? Passés ou présents, d’ailleurs ?
Très jeune, vers 6 ou 7 ans, j’ai découvert Léo Ferré et j’ai eu l’impression d’écouter quelque chose que je voulais entendre sans le savoir vraiment. C’était très étrange et aujourd’hui encore, je l’écoute beaucoup. Mais je ne suis pas quelqu’un de passéiste, je suis curieux et j’essaye d’écouter les nouveautés.

Dans la chanson, graduellement, sans y mettre un classement définitif, même si, comme je le disais, Ferré est pour moi l’indétrônable, il y a Gainsbourg, Bashung, Manset, qui m’ont complètement bouleversé, Murat bien sûr, Dominique A et Rodolphe Burger aussi ainsi que Marcel Kanche. J’aime beaucoup aussi Lou Reed, le Velvet Underground, la pop anglaise, mélodieuse, des Beatles à Felt. Je suis également passionné par Dylan, l’Americana de Bill Callahan, la folk de Tim Hardin, Tim Buckley,etc.

Et voilà, c’est aussi la voix, l’interprétation, par laquelle leur univers me touche.

 

Vous parliez tout à l’heure de vos compagnons de route avec qui vous construisez ce projet en votre nom. Peut-on parler de fraternité entre vous ?
Oui, tout à fait, surtout avec Joël Rodde. C’est mon frère de cœur, on s’est suivi toute notre vie, et Christophe Jouanno et Eric Signor que je connais depuis plus de 20 ans. Et même si nous ne sommes pas proches géographiquement, nous nous tenons au courant les uns des autres en nous envoyant des chansons. J’ai besoin de ça pour avancer, être en confiance et faire de la musique. Ce sont des personnes très importantes dans ma vie.


On sent en vous une âme de poète.*
Je ne sais pas… Je suis juste en décalage. Mais ce décalage me permet de rencontrer d’autres êtres sensibles avec qui partager quelque chose de vrai.


Quelle est votre relation avec la scène ?
C’est un exercice difficile. L’angoisse est présente, mais une fois sur scène, la musique prend le relais. Voir les gens réagir, ressentir leur bouleversement, c’est indescriptible. Une chanson a sa propre route : elle touche ou non, mais une fois qu’elle est partagée, elle ne m’appartient plus totalement.C’est ce que je cherche, que les auditeurs s’en emparent et partagent une émotion.

 

 

Photo Marie Signac