[Interview] MATT HOLUBOWSKI “Like Flowers On A Molten Lawn”, folk passionné

L’âme vagabonde bercée par les promesses d’horizons passionnés, Matt Holubowski, auteur-compositeur-interprète canadien, dont les expériences musicales sont profondément folks, livre une musique sensitive, authentique, brute et sentimentale. Sur fond de mélodies accrocheuses et de refrains entêtants, son coté aventureux, ambitieux, lui permet d’amplifier encore son univers avec un 8ème album “Like Flowers On A Molten Lawn” sorti sur Yotanka Records au mois de mars dernier.
Cette longue ballade de 9 titres, chancelante et chuchotante, est un savoureux bouquet de pétales automnale, fragile, habile à écouter l’esprit grand ouvert et la rêverie amoureuse où l’authentique plaisir de s’abandonner est aussi inspirant que troublant. A l’occasion de son concert sur Rennes fin juin, nous avons discuté avec Matt et en voici la teneur.

 

Je te découvre avec ton quatrième album, qui semble plus mélodique. C’était une volonté dès le départ ?

Pour moi c’était le moment où j’ai trouvé la formule parfaite entre l’expérimental et l’accessible. Le réalisateur avec qui j’ai travaillé, Pietro Amato, est quelqu’un qui travaille beaucoup dans la musique ambiante, électronique, expérimentale et c’est un peu pour ça que je suis allé travailler avec lui. C’était nouveau pour moi, si ça n’avait pas été pour Pietro, ça aurait été un album de bruitages ! (rires). Au début, c’était juste un album pour le plaisir : on avait comme mission d’aller chercher des sortes de geeks, des gens qui utilisent des machines bizarres. Aller chercher un nouveau public en  chantant des titres plus mélodiques. En réalité je ne suis pas forcément un artiste pop, ce n’est pas vraiment radiophonique ce que je fais, et ce n’est pas ce que je recherche non plus à faire dans le fond. Mais on voulait juste que ce soit plus accessible, qu’il y ait des mélodies qui reviennent, tout en y cachant des choses plus obscures, plus complexes.

 

On retrouvait ça déjà sur tes précédents albums. Tu as des chansons plutôt introspectives, assez personnelles. Est-ce que pour toi le fait de chanter est une forme d’exutoire, pour te libérer ?

Effectivement c’est cathartique, c’est quasiment de l’exorcisme (rires) ! Je suis une personne un peu solitaire, mélancolique. Mais j’aime les gens, j’aime la vie, j’aime les rencontres. C’est vraiment 50/50 ! Dans mes visuels, ça penchait plutôt dans le mystérieux : je ne sais pas si c’est parce que j’étais plus jeune. Mais il y a un moment où je me suis dit, moi qui aime faire des « dad jokes » (blagues lourdes NDLT), qu’avec cet album je devais accepter qu’il y ait des parties de moi qui peuvent être un peu introspectives, et d’autres moins, de montrer ces deux facettes. Comme dans mes clips qui sont un peu ridicules.

 

Ce n’est pas ridicule, c’est un côté un peu loufoque qui renforce ce côté mystérieux. Cela donne un côté plutôt pétillant. Mais tu poses aussi des questions. L’imagerie que tu donnes est très différente de ce que tu faisais avant, il y a en cela une vraie évolution ?

Oui, j’ai évolué, j’ai appris ! Sans dire que c’était complètement grâce à la pandémie, cette période m’a donné le temps de sortir un album. En février 2020 : j’ai commencé ma tournée, ça a duré 12 jours puis tout a fermé. Du coup se demander si cet album, sur lequel j’avais passé 1 ans 1/2, avait sa chance ? est-ce qu’il aurait une vie ? Pour moi la réponse était : un peu. Il y a eu tellement de périodes d’incertitudes. C’est déjà difficile de créer dans des périodes de tournées, si tu n’es pas multimilliardaire ! Donc du coup avec cet album, je me retrouvais avec beaucoup de temps, mais je ne voulais pas écrire de nouvelle chanson. Parce que mes chansons préférées sont souvent celles que je viens d’écrire. C’est souvent comme ça avec les artistes : si tu as la malchance d’écrire un tube , tu dois jouer la chanson que tu as écrite il y a 15 ans, ça te fais chier ! Il y en a qui aiment ça… J’ai une chanson au Canada qui a vraiment bien marché, je la trouvais bien à l’époque, maintenant je la trouve plate. J’avais peur d’écrire des chansons que je n’aurais pas aimées, heureusement j’étais en tournée, du coup je me suis  dit que j’allais faire quelque chose que j’avais toujours voulu faire : apprendre la technologie. J’ai toujours été un songwriter, j’écris des poèmes, j’ai des guitares acoustiques. Et là j’ai eu quelqu’un pour m’aider, j’ai vu des tutos Youtube à l’infini comme un cours sur la compression pour des gens de 60 ans! Avec Pietro, c’est vrai que c’était tellement expérimental, qu’avec le temps, c’était clair que « Weird Ones », c’était fini. Les gens se disent qu’en deux ans, ça va, pour pouvoir poursuivre il faut du nouveau matériel pour tourner. Donc il fallait écrire des chansons, et soudainement j’avais une nouvelle boîte à outils, non seulement plus grande, mais exponentielle. C’est comme si ça m’avait redonné la joie de vivre que j’avais un peu oubliée, je me sens comme un enfant ces derniers temps !

 

Ta tournée a déjà commencé, tu fais des dates en France. Tu étais déjà venu ?

Oui, j’ai fait la première partie de Ben Folds, celle de Sophie Hunger, j’ai joué à la Cigale, au Divan du Monde, et à Strasbourg, j’avais adoré, à la Laiterie et à Bordeaux. Sinon, j’ai habité à Paris quelque temps, mais c’était avant la musique, quand j’étais à l’université. Donc comme j’avais déjà une histoire d’amour avec la France, lorsque je suis venu la première fois pour y jouer ma musique c’était un grand moment.

 

Au Canada tu as déjà un certain public, en France c’est un peu plus confidentiel. Y avait-il aussi une appréhension de venir jouer ici ? 

Comme j’avais déjà vécu à Paris, je me sentais à l’aise. À la limite c’est même une moins une bonne chose : quand on arrive dans un endroit qu’on ne connaît pas du tout, on montre vraiment qui on est, sans insécurités. Quand tu arrives à Paris, tu te dis que les Parisiens sont comme ça, donc je devrais faire comme ça. Mais quand tu arrives dans un endroit comme ici (la guinguette du MeM à Rennes NDLR), je me demande ce que veulent les gens : du rock, de l’expérimental, de la chanson française ? Je n’en ai aucune idée, du coup je fais les choses instinctivement. Après les gens aiment ou pas.

 

Entre le Canada et la France justement, ressens-tu une différence dans la façon dont les gens appréhendent la musique ? Une philosophie plus artistique dont les choses fonctionnent ?

Mon expérience est assez limitée avec les artistes français donc c’est assez difficile de répondre à cette question. Mais Théo (Yotanka) ne m’a pas signé en France parce que je fais énormément de tubes ni énormément d’argent ! (rires) Donc il y a clairement une connexion artistique qui se fait. Et puis j’ai énormément de respect pour un label qui prend des risques sur un Québécois que les gens ne connaissent pas en France.
La première interview que j’ai faite en France, c’était au Printemps de Bourges en 2018 et le journaliste m’a demandé : « comment tu te sens de jouer une musique qui est non seulement en marge, mais en voie d’extinction » ! J’ai bien senti qu’en France c’était plus le rap, la pop, etc… Mais qu’il devait bien y avoir une partie des Français qui aiment la folk ! Quand j’ai commencé la musique il y a 8 ans, les gens aimaient bien la folk, puis il y a eu une sorte de baisse, ou de mode, maintenant ça revient. Je ne sais pas comment c’est en France, mais aux States il y a plein de groupes qui sortent des albums super roots qui sont basés sur la poésie, l’attitude et la simplicité, et tu te dis : « ok, we’re back » ! Donc j’ai beaucoup d’espoir dans la musique que je fais. Pour en revenir à ta question, j’ai toujours senti une fraternité avec la philosophie artistique de la France, car il y a l’art de vivre de la France, et en tant que Canadien, pour moi la France est synonyme de littérature, de poésie, d’art au sens large. La première fois que je suis arrivé ici, en provenance du Canada, j’étais ému rien que d’y penser !

 

Tu as déjà sorti 8 albums. Est-ce que tu as une vision de ce que tu voudrais faire maintenant ?

En ce moment je suis en train de vivre une pure crise identitaire : tu as entendu le dernier album, tu vas entendre ce que je fais, c’est complètement différent ! Les chansons sont les mêmes, mais la musique est différente. Tu reconnais les mélodies, mais les arrangements sont différents, je suis tout seul avec ma guitare, il n’y a pas l’orchestre symphonique de l’Estonie, malheureusement ils n’étaient pas disponibles (rires) ! Au Canada, quand on fait des concerts en band, on a du mal à retranscrire cet album en particulier, car il y a tellement de couches, tellement de subtilités, c’est tellement réalisé.  L’écart entre ce qui se joue sur l’album et ce qui se joue sur scène est tellement grand que je commence à me questionner sur savoir quelle est la meilleure chose. Je ne dirai pas que je ne pense pas à l’aspect économique, parce que clairement, ici en France, j’y suis seul sans mon band, 20 jours, je fais 9 dates, ça me coûte 5000 euros, c’est un investissement ! Donc si j’avais mon band, ce serait impossible ! Donc il y a ce paramètre, mais j’ai vraiment envie de faire un album instrumental, j’ai un peu renoué avec l’acoustique. J’ai eu le sentiment que les gens se lassaient un peu du folk, et là ils reconnectent avec et je sais comment faire ça ! J’ai toujours eu envie de ça, mais je veux aussi gagner ma vie ! Là j’ai envie de prendre la direction où je vais être seul avec une guitare, un 4 pistes, et enregistrer un album dans un chalet dans les bois, faire quelque chose de super simple. Et en même temps faire un truc bizarre, hyper électronique. Comme Sufjan Stevens : des artistes peuvent faire dans une carrière des choses complètement différentes. C’est ça mon objectif pour le futur : ne me donner aucune barrière.

 Après, est-ce que ça va être sous le nom de Matt Holubowski ? Ça je ne sais pas. J’aimerais peut-être avoir un autre projet, avec un band. L’objectif c’est de continuer à voyager, de continuer à faire de la musique, et de ne pas toujours faire la même chose. Mon premier album, « Old Man », était un album guitare/voix, et là j’ai envie de faire un album guitare/voix, mais ça va être un album complètement différent, parce que j’ai le bagage humain, émotionnel et technique qui fait une grosse différence !

 

Tu es quelqu’un d’assez joyeux, mais tu montres dans tes chansons des aspects plus sombres, tu as acquis beaucoup de technique, mais tu veux revenir à quelque chose de plus intimiste : ces ambivalences te représentent bien en définitive ?

C’est vrai que si j’avais fait cette même interview demain, j’aurais donné des réponses complètement différentes à toutes les questions ! C’est le bonheur et le malheur d’être indécis. L’aspect technique, c’était une décision, ça faisait longtemps que j’avais envie d’apprendre ça, donc c’était juste par pur intérêt. 

 


Suivre Matt Holubowski https://www.facebook.com/mattholubowski https://www.instagram.com/mattholubowski

Matt Holubowski sera en concert le 05 décembre 2023 au HASARD LUDIQUE à Paris

 

Entretien et photo de couv. Stéphane Perraux – Retranscription AnMa Leraud