[Interview] lumineux, Lewis Evans.

Après ses deux premiers albums solo, « Half Way to Paradise » (2015) et « Man in a Bubble » (2018), l’enfant de Liverpool et normand d’adoption, l’ex-Frontman des Lanskies, Lewis Evans qui possède un CV de collaborations long comme le bras avec Keren Ann, Herman Dune, Gaëtan Roussel, ou encore Juliette Armanet… Lewis nous revenait l’année dernière (en mai 2022) avec « L’Ascension » où il s’associait pleinement, cette fois-ci, à Frédéric Buchet pour élaborer cette nouvelle fresque discographique plus affûtée que jamais. Lumineuses et attachantes, les 10 chansons qui le composent, aux sonorités folks chaleureuses et terriblement groovy, ont été soigneusement échafaudées sous les signes du lâcher prise de l’amour et de la fantaisie, sans perdre cette sincérité qui caractérise Lewis.
A quelques heures de monter sur la scène des transmusicales nous avons eu le bonheur d’ un aparté avec Lewis Evans et Frédéric Buchet pour évoquer ensemble la passion de la musique qui anime leur vie. Une bien belle rencontre que nous vous invitons à lire ci-dessous…
  
Comment définirais-tu ton ADN musical ?
Lewis Evans :
Moi, je suis anglais, je viens de Liverpool, donc mon ADN à la base c’est de la pop, quand j’étais ado, mes dieux c’étaient Jarvis Cocker, Supergrass, tous ces groupes là. C’étaient eux les grosses stars !  J’aimais bien aussi Liam Gallagher ! On a eu ça en Angleterre, des gens qui s’en foutaient, qui étaient naturels et sincères ! j’aimais et j’aime toujours ça.  Et puis mon ADN est profondément basé sur la culture de mes parents. Ma mère écoutait du punk comme Devo, Gang of Four, mon père lui écoutait énormément Ennio Morricone, beaucoup de B.O. de film, bizarrement … Mais c’était vraiment cette époque brit-pop qui m’a marqué et la simplicité de faire des  « anthems » [hymnes, NDLT], des tubes. Après il y a plein de choses qui ont évolué avec le temps. Mais je reste quand même très attaché à des chansons « quali-efficaces », des putains de tubes tu vois (rire) !

Et toi Frédéric tu peux dire c’est quoi ton ADN ?
Frédéric Buchet
 : Moi, je suis d’une génération un peu après Lewis, mais c’est vrai que j’ai toujours adoré le rock anglais depuis les 60’s jusqu’aux 80’s, tous les groupes qu’il y a eu dans les années 80/90, le Brit-pop, Lewis citait Supergrass, the La’s, mais surtout Jarvis Cocker.  J’aime beaucoup Divine Comedy aussi. Car c’est absolument sublime! Pas très connu en France. Une musique absolument sublime, il n’y a que les Anglais qui savent faire ça. Il y a des exceptions chez les Américains, chez eux c’est assez bourrin, mais la classe pour moi, c’est chez les Anglais. C’est pour cela que j’ai travaillé avec Lewis, j’ai senti que son premier album solo allait vraiment être la grande classe !

Lewis Evans  : j’aime surtout quand Jarvis avait montré son cul devant le concert de Mickaël Jackson ( Brit Awards 96) , j’étais là et je te jures, wouah, c’était dingue ! Je trouvais ça cool ! (rire) 


Des gens qui n’avaient pas peur d’écorcher un peu leur image ?
Lewis Evans  : Comme des gens entre bande de potes tu vois ! Et si je peux critiquer un peu notre époque, on est là avec des gens hyper stériles, hyper neutres, qui n’osent rien dire, ils vont dire « merci », et du coup j’aimais bien ces gens hyper rentre-dedans ! Plus sincères.

Quelle était ta motivation première pour revenir avec un projet solo ?
Lewis Evans  : A l’époque The Lanskies avait fait son temps, c’était le dernier album de mon ancien groupe. On avait beaucoup tourné ; les Etats Unis, la Chine, toute l’Europe, etc. Au départ, ça allait plutôt bien, mais à la fin on partageait une chambre à 5 ! Mais j’avais aussi commencé ma carrière en faisant la manche, en jouant de la guitare, à Cherbourg les gens doivent se rappeler de moi en faisant de la musique devant Carrefour !
Donc petit à petit, je voulais revenir à cette chose plus acoustique, j’avais d’autres choses à défendre. Après je suis en solo depuis l’âge de 28 ans, là j’ai 36 ans. Même si The Lanskies c’était moi ! Ils vont me détester (rires) !  The Lanskies c’était un groupe, mais je voulais continuer mon chemin d’une autre manière. Et je pense qu’à 28 ans, comme tout jeune mec, j’avais les chevilles qui enflaient… Mais c’est plus simple en solo en fait, tu diriges ton bateau comme tu veux. Même si je bosse avec Frédéric depuis 7 ans, c’est un peu l’homme de l’ombre, qui fait tous mes arrangements, qui compose aussi… Mais c’est moi qui dirige…

Et la couleur musicale que tu as maintenant, c’est quelque chose que vous avez réfléchi ensemble ?
Lewis Evans : C’est du ressenti. J’ai mis un cadre. Par exemple, je ne voulais pas avoir de batterie, pas avoir de gros amplis, etc. C’était une période où je recommençais à faire de la musique. Je n’avais pas de tourneur, pas de manageur… Il y a plus de 2 ans ans, j’étais devenu jardinier. Là, je suis sur un come-back. Je ne pouvais pas payer 5 musiciens sur scène, comment faire ? Du coup, j’ai demandé à Frédéric de faire de la musique tous les deux, qu’avec des instruments qui entrent dans une Dacia Dokker (rires) !

Donc tu revisites, tu repenses d’une autre manière ?
Lewis Evans : On voulait faire de la musique pop-anglaise, en allant dans les musiques du monde :  la musique yiddish par exemple, ou du folk celtique… Mais l’idée était surtout de faire des chansons percussives, mais sans batterie. Que toutes les anciennes chansons tiennent sur une guitare.

Frédéric Buchet  : Sur l’album d’avant « Man in a Bubble », il y avait déjà le côté folk, il y avait aussi une diversité… mais pour le public, ça partait un peu dans tous les sens, et les gens n’ont pas compris cet album parce que je pense qu’on était trop en avance (rires) ! Mais pourtant c’était un album sublime ! « L’Ascencion » est plus cohérent, on retrouve les mêmes composantes, il y a les violons, il y a les cuivres et beaucoup de voix !
Il y a eu une contrainte de temps, mais aussi il n’y avait pas de batterie, ou juste un kick sur une chanson, sur tout le reste, il n’y avait que de l’acoustique, c’était plus ça le cahier des charges. A partir de là, je viens avec quelque chose, et Lewis me dit de creuser plus dans un sens, et ça me pousse vraiment dans mes derniers retranchements. Sur  « Time to let go », on est partis dans des trucs vraiment mexicains, mais on ne voulait pas que ce soit trop « mariachis ».

Lewis Evans : Sur « Time to let go », je voulais vraiment que ce soit une chanson qui parle de Cherbourg, un mec qui quitte la France et qui veut aller au Mexique. Et du coup c’était vraiment une image, on l’a construite comme une croisière qui arrive sur la côte. On commence à se comprendre maintenant avec Frédéric.  Parfois je chante des chansons, des trucs sur des pistes, 27 pistes que je ne nommerai jamais, que je lui envoie, et le pauvre, il s’en sort incroyablement bien !

Frédéric Buchet  : Lewis, c’est beaucoup de voix ! Les 2/3 des pistes sont des voix. Donc il y a un gros travail à faire. Il y a eu des guests aussi, on a eu la chance d’avoir des superbes tessitures de voix de Jayde et de Gordie Chambers qui sont venues compléter celle de Lewis sur l’album. Avec Émilie Corre, qui joue du violon sur scène, c’est une palette absolument extraordinaire pour arriver à faire une sorte de chorale. Et sans ça, ça ne tiendrait pas. Dans le rock, ce qu’on aime en général, c’est le gros combo basse, batterie : et là, ce sont les voix qui font le job.

Lewis Evans : Oui, on s’est lancé un défi de faire de la pop sans batterie. On a viré les batteurs (rires) !

Les batteurs ils sont sympas non ?
Lewis Evans : Ils sont chiants. Non je rigole ! La batterie va revenir sur les prochains albums. Mais j’aime bien avoir cette thématique assez calme. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais ça donne un peu de cohérence sur l’album. On est partis sur de nouvelles chansons où on mélange folk et punk. Je nous lance ce défi là. Sans batterie ! (rires) Du coup je me suis mis à écouter Dexys Midnight Runners, The Pogues, et c’est drôle de se replonger dans d’autres musiques des années 80, où il y avait un peu ça, et ça amène un peu le côté DIY [Do it yourself NDT]. Aujourd’hui c’est très dur, pas comme avec les Lanskies, on pouvait être 5 sur scène, on pouvait avoir les régies sur scène, du coup la domination musicale devient de plus en plus minimale. Les gens pop-folk comme moi maintenant, ont vient sur scène, on te dit « fuck off ! Tu as une batterie en plus ? » (rires) Tu essaies de jouer avec ça en gardant en plus ta tête haute.

Dans ton album, tu as aussi un côté très romantique. Tu te définirais en tant que tel ?
Lewis Evans   : Je pense, oui. J’ai rencontré ma femme quand j’avais 16 ans, et nous sommes toujours ensemble, avec 2 gamins. Donc je vis une « romance » impressionnante ! Le côté romantique, je l’ai dans ma vie. Donc oui oui oui, je suis très romantique ! J’ai un côté un peu grande gueule, sympathique, mais j’aime ma femme, j’aime mes enfants. J’aime le côté d’être papa au foyer aussi , c’est un côté de moi qui est cool, même si, et je m’en excuse auprès de ma femme, j’oublie tous les ans notre anniversaire de mariage ! Elle m’en a voulu une fois parce que je lui ai offert un « Soda Stream » ! C’est à elle qu’il faudrait demander si je suis vraiment romantique ! (rires) 

Dans tes chansons il y a beaucoup de textes. Qui dit texte, dit inspiration.Où puises-tu ta source d’inspiration ? 
Lewis Evans
   : Il doit y avoir une sorte d’esprit au-dessus de moi, que je nourris. De temps en temps, je me connecte avec lui et les textes sortent tout seuls. Souvent c’est autobiographique, ou ce sont des histoires d’amis, ou ce sont des contes, des trucs plutôt aléatoires. Chez moi, c’est impulsif, je vais rarement écrire une chanson pendant des heures, ça me prend 1mn30 en général ! En plus je suis dyslexique, j’ai des problèmes d’écriture à la base. Donc j’ai appris une autre manière d’écrire, qui passe par l’auditif. Et je me fais confiance, tout ce qui passe par mon cerveau a un sens. Je suis assez à l’aise sur les mélodies. Je fais appel à quelque chose, une muse, et ça vient.
Frédéric Buchet  : En effet, il y a comme une certaine évidence. D’ailleurs si je me mets au piano, immédiatement il improvise une mélodie, et un texte en même temps !

Lewis Evans
  : Il m’est arrivé du temps des Lanskies d’oublier mes textes. Donc comme personne ne les connaissait en dehors de moi, je les improvisais. (rires)


Aujourd’hui, nous sommes au Transmusicales. Ça te fait quoi de savoir que tu vas jouer pour les Transmusicales ?
Lewis Evans : Je suis fier d’être là ! Je ne m’y attendais pas, mais en même temps je vais défoncer les portes ! J’en avais marre d’être celui qui était dans le coin, dans le bas de la liste, donc 2023 je suis là pour défoncer les portes des programmateurs ! (rires)

Il y a quelque chose de très lumineux dans ta musique. Et dans cet échange avec toi, je découvre quelqu’un d’extrêmement charismatique.
Oh merci ! You’ve seen my light man ! (rires) C’est parce qu’on s’ennuie dans la vie ! Tu sais je ne veux pas être porteur de lumière, blablabla, comme un messie musical, mais j’essaie d’être hyper sincère. Et ça c’est un vrai travail ! Et comme j’aime bien les interviews, j’essaie d’être le plus sincère possible, comme sur scène, même si ça fait cucul, ou si ça fait trop Françis Lalanne, même si je peux parfois raconter des conneries et que ça puisse faire chier des gens, je reste comme ça. Même pour les batteurs (rires)
LEEWIS EVANS « L’Ascension » - ZRP
LEWIS EVANS « L’Ascension » -ZRP- MAI 2022

 

Photo de couv. (c) Jeremy Leboulanger

Entretien Stéphane Perraux – Retranscription Anne-Marie Léraud pour Lust4live.