Avec son nouvel album, Unnamed Road, Louis Durdek nous invite à un voyage introspectif, une exploration émouvante des paysages intérieurs. Sa voix chaleureuse nous enveloppe, nous guidant à travers des mélodies folk-rock mélancoliques, aussi intenses qu’envoûtantes. L’album se déploie tel un road-movie sonore, où chaque chanson est une étape d’un périple personnel. Les textes, poétiques et introspectifs, évoquent les thèmes de la solitude, de la quête de soi, sincères et mélancoliques. Navigant dans une esthétique à la fois délicate et puissante, le songwriter crée des ambiances riches et variées, évoquant aussi bien Leonard Cohen, Johnny Cash, Elliott Smith que Mark Lanegan en alliant des ballades intimistes aux morceaux plus rock. Unnamed Road est un album sincère, feutré, touchant, qui révèle la sensibilité et le talent de Louis Durdek.
Vous avez des origines musicales variées, entre l’Espagne et la Pologne. Comment ces influences culturelles se manifestent-elles dans votre musique ?
Avant tout par un brin de nostalgie, comme quand on se sait venir d’un pays qu’on ne connaît pas. Mes grands-pères ont fui les grandes guerres du XXème siècle avec leurs familles, sans pouvoir emporter grand-chose avec eux. Très peu a été transmis, mais la musique a subsisté. L’un d’entre eux a même gagné sa vie en tant qu’accordéoniste dans les bals populaires ! Pour ma part, si je me sens profondément français et fier de l’être, je n’oublie pas pour autant cet ailleurs qui fait partie de moi, et qui se retrouve souvent dans les paroles de mes chansons.
Vous avez commencé votre carrière en solo avant de former le groupe The Traveling Light. Comment cette expérience en groupe a-t-elle influencé votre travail en solo sur cet album ?
Ce groupe fut une expérience fondatrice, y compris par l’impasse dans laquelle il a fini par aboutir. C’était ma première réelle opportunité de faire carrière dans la musique. Nous avions un temps bénéficié d’un momentum favorable avant que l’année 2020 n’en décide autrement. Cela m’a rendu heureux pendant un temps, mais cela a aussi été une source de stress intense. La vie de groupe n’est pas simple, surtout quand on veut réussir, que l’on se presse constamment et qu’on oublie l’aspect fondamental de la musique : prendre du plaisir. Ne dit-on pas que l’on « joue » d’un instrument ? Jouer, c’est d’abord ne pas se prendre (trop) au sérieux. Un écueil auquel je n’ai malheureusement pas échappé à l’époque. J’ai probablement commis toutes les erreurs de débutant possibles, mais aujourd’hui je sais que c’était un mal nécessaire : je n’ai pas fait les mêmes erreurs pour mon album solo, j’en ai fait d’autres ! Désormais, et c’est le meilleur conseil que je puisse donner, je ne travaille qu’avec les gens que je connais et que j’apprécie, sans me préoccuper du « qu’en dira-t-on » et des effets de mode.
P.S : j’ai récemment remis en ligne sur les plateformes l’unique production de The Traveling Lights, un e.p nommé There is a Place. Assumez tout, n’ayez honte de rien.
Le titre « Unnamed Road » évoque un voyage, une exploration. Quelle est l’histoire derrière ce titre et comment reflète-t-il l’essence de cet album « Unnamed Road »?
Il y a quelques années, la femme avec qui je voulais faire ma vie est partie pour un long voyage à l’autre bout du monde. Par curiosité, j’ai cherché à savoir combien de temps cela me prendrait si je devais la rejoindre à pied. Les obscurs calculs de « google maps » m’ont alors indiqué qu’un long et sinueux trajet de plusieurs milliers de kilomètres me rapprocherait de ma destination avant de se perdre dans une sorte de jungle non cartographiée. Sans plus d’explications, la mention « unnamed road » flottait au-dessus de la carte, comme un défi lancé à l’Indiana Jones qui sommeillait en moi. Ma guitare était à portée de main, l’inspiration du moment a fait le reste. C’est la chanson phare de l’album, la « route sans nom », celle qui nous emmène on ne sait trop où le temps que l’on comprenne que le voyage est parfois plus important que la destination. Mais la véritable histoire derrière cette chanson, celle qui transpire tout au long de l’album, c’est bien celle d’un amour perdu de vue. Le temps, la distance et les erreurs de jeunesse ont fini par nous séparer. D’une certaine façon, « accoucher » de ce premier album a été cathartique. Une façon de la remercier, de lui souhaiter bonne route et de lui dire adieu. Je lui devais bien ça.
Votre musique est souvent décrite comme un mélange de folk traditionnel et de rock indépendant. Quelles sont vos principales influences musicales et comment ont-elles façonné votre univers ?
Honnêtement, plus le temps passe moins je sais comment décrire ce que je fais. J’accorde de moins en moins d’importance aux fameuses influences, car au fond je n’aime pas me définir par ce que font les autres. J’ai fini par m’ouvrir à des styles que je n’aurais jamais cru apprécier auparavant. Aujourd’hui tout peut avoir un attrait à mes yeux, à moins que l’on ne parle de cette hideuse musique commerciale qui semble n’avoir pour seul but que la stricte rentabilité (quitte à déglinguer nos cerveaux au passage). Mais s’il fallait évoquer les meilleures sources d’inspiration, là où j’aime effectivement piquer des idées, ce serait pour citer ceux qui construisent des ponts entre tradition et modernité. Une civilisation porte la responsabilité de son héritage culturel. Elle doit en prendre soin sans en être esclave, savoir l’enrichir sans le dénaturer, se projeter dans l’avenir sans s’y perdre non plus, et c’est très délicat. C’est pourquoi j’aime les artistes qui expérimentent au gré de leurs albums, ceux qui ne se répètent jamais mais que l’on reconnaît à chaque fois : Leonard Cohen, John Martyn, Nick Cave ou David Gilmour sont de bons exemples. Il y aussi une avant-garde que je suis avec attention : Half Moon Run, Ben Howard, Alt-J. Et de temps en temps, pour toujours et à jamais, le blues : Otis Taylor, Buddy Guy, Skip James, Robert Johnson…
A l’image de votre atmosphère très intime et à la fois onirique, votre processus d’écriture a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts ?
Je l’espère ! Mes débuts furent tellement laborieux qu’il m’est impossible de les réecouter sans une grimace de souffrance ! Il y a différents moments-clés qui ont façonné ma trajectoire. J’étais dans un groupe de space-rock jusqu’au jour de mes 20 ans où ma famille m’a offert ma première guitare folk, qui ne m’a jamais quitté depuis. Ce contact très terre-à terre avec l’instrument a changé mon écriture. Mon son était là, sans artifices. On écrit différemment quand on a déjà tout ce qu’il faut à portée de main. Il y a eu bien sûr quelques rencontres musicales qui m’ont aiguillé dans la bonne direction (je ne savais ni jouer ni chanter). Mais plus encore, il y a tout simplement eu la vie. Je constate souvent ce parallèle frappant entre l’évolution du processus d’écriture et celle de la maturité émotionnelle. Plus on grandit, plus on accumule du vécu, de l’expérience et, peut-être, un peu de sagesse. Avec du travail, on peut tremper sa plume dans cette sagesse. Quand je compare mes premiers textes et ceux d’aujourd’hui, je suis content d’y voir une nette amélioration de mon style. Je me rends compte en l’écrivant que la subtilité ultime pour moi, c’est d’écrire entre les lignes. Il y a toujours un à plusieurs sens cachés dans mes phrases. Je laisse généralement un peu de place à une interprétation multiple (les meilleures chansons sont celles qui parlent à tout le monde), en faisant attention à ne pas être trop confus ou hermétique. Je sais toujours ce dont je veux parler, mais j’en parle rarement frontalement. Il y a un prisme par lequel les mots doivent passer. Ma seule peur c’est de me répéter, de ne plus savoir me renouveler. L’idée est de toujours avancer, évoluer, se transformer tout en restant fidèle à soi. C’est une odyssée personnelle, une mue permanente. Et si un jour je devais composer une chanson sur mon lit de mort, ce serait l’aboutissement logique de tout ce que j’ai écrit auparavant.
Plusieurs critiques ont souligné la qualité de votre voix, à la fois calme et profonde. Comment travaillez-vous votre voix pour obtenir cette sonorité particulière ?
Merci beaucoup. Je crois que c’est surtout un travail d’épuration du superflu. Je voue un culte éxagéré à l’authenticité, et je traque l’imposture partout où je crois la voir. Un ami me disait l’autre jour qu’on ne se voit jamais tel que les autres nous voient. On me voit très calme, mais je me sens plus agité sous la surface. Il est possible que je chante de façon à m’apaiser tout seul. Peut-être que j’écris les chansons que j’aurais voulu entendre quand j’étais cet ado qui se réfugie dans un coin avec ses écouteurs vissés sur les oreilles. C’est une démarche intropsective, d’où la sensation de profondeur peut-être. « Se connaître pour connaître le monde ». Après, j’ai aussi la chance d’avoir une large tessiture vocale qui me permet quelques acrobaties sans trop de risques. Mais le meilleur dans ce domaine reste peut-être Piers Faccini. Sa voix est toujours parfaitement dosée, claire et posée. Peut-être que je m’en inspire un peu. Le tout c’est de ne pas être trop lisse, et de laisser un peu de saveur pour l’auditeur.
L’album « Unnamed Road » contient huit chansons qui forment un ensemble cohérent. Comment avez-vous choisi le fil conducteur qui les relie ?
Merci. Il y a d’abord cette romance dont j’ai parlé un peu plus haut, et puis il y a ce thème obsédant et abondamment utilisé par les chanteurs de folk : la route ! De Jack Kerouac au dernier des vagabonds, on a tous ressenti au moins une fois ce besoin urgent de partir, de s’évader, de préparer son sac à dos avec le strict nécessaire… Ça m’arrive encore parfois. On a envie de tout laisser tomber pour redevenir nomade. Peut-être est-ce à cause de ces milliers d’années d’évolution, quand nos ancêtres emportaient leur vie partout où ils allaient. Peut-être que nous ne sommes pas faits pour rester sages et immobiles. En attendant, la musique permet de s’évader en fermant les yeux. Unnamed Road est une sorte de journal de bord, un compte-rendu de mes voyages réels ou imaginés. C’est pour ça que j’ai choisi l’artiste peintre Alice Van De Walle pour habiller l’album de ses magnifiques aquarelles, comme les croquis fugaces d’un pèlerinage.
La guitare joue un rôle central dans votre musique. Quelles sont vos guitares préférées et comment les utilisez-vous pour créer différentes ambiances ?
Grande question ! Je suis effectivement un mordu de guitare. Je n’ai pas vraiment le choix : c’est le seul instrument que je maîtrise vraiment. Je peux passer des heures à déchiffrer les schémas d’arpèges et autres finger-picking de mes guitaristes préférés. Mais paradoxalement je n’y connais pas grand-chose en matière d’instrument. Actuellement je privilégie la marque canadienne Art & Lutherie, spécialisée dans les guitares folk. En réalité j’ignore complètement quel bois choisir (palissandre ou épicéa, avec ou sans sucre ?), je ne sais pas qui est le meilleur luthier de ma ville et je n’ai jamais acheté de guitare valant plus de 1000 euros. Je crois que le plus important, c’est d’abord d’être à l’aise sur son instrument, de développer son propre style et, si possible, d’écrire de bonnes chansons. Le reste, c’est du luxe. Bon évidemment, il faut aussi que la guitare soit belle et qu’elle ne sonne pas « carton » ! Concernant la composition musicale, tout ce que je peux dire c’est qu’il faut être au service de la musique. Je pars souvent d’une image mentale comme un souvenir marquant ou une sensation, et que tout ce que je joue doit « traduire » cette image. Un peu comme si j’étais le compositeur d’un film. Je vais alors jouer sur des accordages alternatifs, varier les différentes techniques de jeu, intensifier et affiner ici ou là jusqu’à être satisfait.
Quelles émotions ou réflexions espérez-vous susciter chez les auditeurs ?
Vaste sujet ! En tant que musicien, on souhaite évidemment susciter une foule d’émotions. J’aime croire qu’à l’occasion je peux aider mon prochain à se sentir mieux, à prendre telle ou telle décision, à s’évader quelques minutes durant une longue journée… Mais ma meilleure récompense, ce sont les retours des gens qui ont acheté l’album et qui m’envoient des vidéos d’eux-mêmes accompagnés par ma musique pendant leurs voyages, leurs vacances, leurs trajets en voiture, leurs soirées ou simplement leur quotidien. La plupart disent se sentir apaisés, sereins, plus concentrés sur leur travail, ou bien ne plus sentir le temps passer. C’est déjà pas mal, non ?
Quels sont vos projets futurs après la sortie de « Unnamed Road » ? Avez-vous déjà des idées pour un prochain album ou des tournées en préparation ?
Je dois avouer que sortir seul son album, après avoir goûté aux joies de l’auto-production et au mépris de certains acteurs de l’industrie musicale, est un processus assez éprouvant. J’en suis à un point de ma carrière où je dois réfléchir attentivement au rapport que je souhaite entretenir avec la musique si je veux pouvoir continuer. Après tout, on peut être musicien sans être intermittent du spectacle. En tout cas, une chose est sûre, je n’arrêterai jamais d’écrire, de jouer et de chanter. Pas plus tard qu’hier, j’étais justement de retour en studio avec des copains pour enregistrer ce qui sera probablement mon premier single ! J’ai hâte de le partager, mais pour une fois je veux le faire sans avoir « besoin que ça marche ». Il n’y a pas de tournée en préparation, juste quelques concerts discrets à droite, à gauche. Je prépare mon retour en catimini. Le besoin qui m’habite actuellement est d’aller me nourrir de nouvelles expériences, quitte à faire un autre métier en parallèle. Et au vu de l’avenir incertain qui nous attend et des nuages noirs qui s’amoncellent sur l’horizon des métiers de la scène, il est bon d’avoir plus d’une corde à son arc.