Le bonheur, c’est souvent simple comme un coup de fil. » Allo ? Salut Alex’ ! ». A l’autre bout du combiné ? L’épatante Alejandra Gatica dont le premier et ébouriffant album « Altramar » (sorti en février 2024 chez Mosqueta Productions/InOuïe distribution) ne cesse de donner des couleurs à notre quotidien des plus moroses. C’est parti pour une interview aux allures de conversation amicale où le Chili, Montreuil, l’Ultra Bal, l’engagement, la fraternité et le plaisir seront convoqués, tout naturellement.
John Book : Pourrais-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore et nous dévoiler ton parcours ?
Alejandra Gatica : Mon nom c’est Gatica ( « l’origine du sommet » en basque), c’est mon nom de scène mais aussi mon vrai nom, je suis née au Chili et ai passé toute ma scolarité en France, je suis donc franco-chilienne pour résumer.
J’ai débuté par le théâtre et le cinéma, études à la Fac, Conservatoire et toujours la musique en filigrane. Elle a fini par prendre le dessus. Pendant onze ans, j’ai officié dans le groupe « Le 26 Pinel » puis enchainé sur du Jazz avec « Some like it hot » (« Pop Jazz » chez Harmonia Mundi), j’ai intégré le Quartet Buccal pour trois spectacles, ai collaboré avec « Les ensorceleuses » et Mathieu Dersy, suis devenu prof de chant, coach vocal et j’ai fini par me lancer avec mon propre projet. J’ai sorti mon EP en 2018 qui a eu le prix « George Moustaki », prix décerné à l’album autoproduit de l’année. Je ne m’y attendais pas. C’était limite de la piraterie, plus que de l’autofinancement ! Sont survenues, par la suite, des collaborations avec Ignatus, Zaza Fournier, l’Ultra Bal avec Fixi, Alexis HK, Karimouche, Chloé Lacan, Flavia Coelho, etc…
JB: Ton album, « Altamar » signifie « Haute Mer ». Pourquoi ce titre ? C’est une envie d’ailleurs ?
AG: Ce serait plus « Le Grand large ». Changer d’horizons, de points de vue. Cela vient d’Anne Dufourmontelle et de son livre « L’éloge du risque » (Payot 2011). Oser voir ailleurs, sortir des cycles qui nous rendent malheureux. J’ai eu des problèmes de santé en 2019 et c’était comme si mon corps m’avait ordonné une autre façon de fonctionner. Diagnostique : « fibromyalgie », une maladie invisible avec des douleurs qui vont et viennent. C’était suite à un épisode intime douloureux. Tout était imbriqué. Cela m’a obligé à m’allonger, à dire « STOP » à mon corps et à réfléchir sur ce que je traversais. D’où le titre « Peau neuve » co-écrit avec Zaza Fournier. Mon corps changeait de peau…et moi aussi.
JB: Sur la pochette de ton album, ton ombre se profile sur ton visage. Est-ce une double personnalité évoquée ? Ta double culture ? Un aspect sombre (politique) contre un aspect solaire (la soif d’humanité) ?
AG: Tu as tout compris ! (Rires) C’est de là que nous sommes partis avec Vivian Daval qui a fait cette photo. C’est vraiment mon profil d’ombre projeté sur moi en « Live ». Il y a une dualité, des façons différentes de fonctionner entre la France et l’Amérique Latine. Je suis solaire, c’est ce qu’on dit, mais consciente aussi. Et mon hypersensibilité me plonge dedans tout le temps. Je chante aussi différemment en espagnol, ce ne sont pas les mêmes voyelles employées, ma voix change…d’où cette pochette.
JB: Je trouve que ta voix n’a jamais été aussi pure et cristalline que sur cet album. Tu joues avec comme d’un instrument. Tu appuies sur certains mots, les répètes, etc.…Est-ce difficile de ne pas « perdre » cette voix ?
AG: C’est marrant, je me disais « Mince, je devais vocaliser aujourd’hui, je ne l’ai pas fait ! ». Là, j’ai un peu la voix dans les chaussettes, c’est Novembre ! (Rires) . Mais je serai à bloc pour le concert de ce vendredi ! Oui, la voix est un instrument, je l’explore dans tous ses recoins, quand je fais une maquette, je chante toutes les parties, la basse, etc…Tu sais, je n’ai jamais fini d’apprendre. De prendre des cours, de développer des choses, passer un certain âge, la voix change et il faut l’étirer régulièrement.
JB: Tu es autrice, compositrice et interprète. « ALTAMAR » est un album romantique, poétique mais très ancré dans le réel. Dans le quotidien. Je pense à ces magnifiques paroles tirées de ta chanson « La tête sur les épaules »: « Je ne suis qu’une réalité tangible A fleur de peau, affable, affolée, trop sensible ». On sent, à travers tes textes, un grand écart permanent entre le souci d’une écriture travaillée et le fait d’être « entendue » (dans les deux sens du terme). Comme si le littéraire le disputait au social. Tu proposes, d’ailleurs, une traduction française de ta chanson « Ayulen » dans le livret…Populaire et accessible, donc…
AG: Je passe par des moments de doutes quand j’écris. Vraiment. Tu sais, j’aime beaucoup la poésie mais la politique doit être comprise, la poésie cela ne va pas être suffisant. Il faut mobiliser son corps, sa parole, c’est comme pour le féminisme, ce n’est pas que « la femme sacrée », cela à voir avec le concret, le capitalisme. Non, nous ne sommes plus dans « la femme-lune ». Il ne faut pas être trop dans le beau mais dans le « vrai ». Et le vrai n’est pas toujours beau.
JB : Tu composes chez toi ? Tu travailles comment ? Les textes d’abord ?
AG: Je n’ai pas la rigueur quotidienne de l’écriture. Ce sont des idées, je suis en voiture, je note en mémo vocal puis je finis le texte chez moi et une mélodie arrive parfois conjointement. Une tournure de phrase, deux mots associés. C’est comme l’histoire de ma chanson « Ayulen ». J’étais au Chili en 2020, avec mon fils, en pleine révolution populaire,à une terrasse. Une étudiante de 20 ans vendait des images qu’elle dessinait avec pour signature « Ayulen ». Elle était artiste. Et « Ayulen », il faut le savoir, c’est un dialecte mapuche du Chili. Elle m’avoue que c’est son prénom et que cela veut dire joie. Une joie qui transpirait dans les luttes sociales autour de moi. J’étais obligée d’écrire sur ce moment. Je suis sensible aux sonorités, aux rebonds des mots. Aux assonances. C’est ma culture rap (Rires !). Et au risque de me répéter, j’adore vraiment le rap, sa rythmique, ses jeux de mots, …
JB: Sans être réducteur ou cliché, je profite de cette passerelle car je pense à la culture urbaine. Alejandra, tu vis à Montreuil (93), une ville cosmopolite, baignée dans la culture, les cultures, avec des artistes partout, la Marbrerie… est-ce que ta ville t’inspire ?
AG: Certains appellent Montreuil le deuxième Bamako, il y a des communautés très fortes, il y a des Chiliens à Fontenay sous-bois, il y a pas mal de Gitans ici. Bref ! Plus de culture égale plus de richesses. Il y a même des animaux au Parc des Beaumonts ! Je me suis retrouvé nez à nez avec une biquette dernièrement (Rires). Bien entendu que cette ville est inspirante, j’adore Montreuil !
JB: On va terminer avec une des dernières questions. Je trouve que ton album est fort bien écrit, c’est musicalement très riche, on a l’impression que tu as fait venir un orchestre entier en studio…
AG: C’est grâce à Alex Finkin !
JB: On doit te parler souvent d' »Embrassons-nous » qui est le single immédiat de ton LP et aussi de la scène ? La scène c’est ton terrain de jeu. On se connait depuis longtemps et je t’ai vu de nombreuses fois en concert. C’est une évidence. Ton passé théâtral y est palpable. Tu crées une véritable connexion avec le public, par le biais de blagues, d’anecdotes, mais aussi d’une incroyable énergie positive. Un vrai sens du partage. A tel point que le public, souvent, danse devant la scène. Je me trompe si je dis que pour toi, la scène, c’est 50% de chansons et 50 % d’interaction ? Comment prépares-tu le Live avec les musiciennes qui t’accompagnent ? Et enfin, peux-tu nous en dire plus sur le concert qui se profile ce vendredi 22 Novembre ?
AG: C’est compliqué car cela devrait être 70-30% mais je suis trop bavarde. Je m’adapte avec une set list particulière, je rajoute des choses intimistes, je pense à des running-gags, Lola Malique et Clara Noll participent aussi. C’est des copines ! C’est un esprit où rien n’est compliqué, on se fait des tournées où l’on est VRAIMENT ensemble, dans le plaisir et la bonne humeur, on se suit dans des délires comme le BUS, le « bureau des urgences sentimentales », une assistance cœurs brisés, cela revient toujours sur le plateau, c’est plus fort que nous ! Une séparation ? Ne vous inquiétez pas. Tous les tunnels ont un bout sinon… c’est une grotte. Et une amie a rajouté : ou un vagin. (Rires) On ne va pas le dire sur scène, ça !
JB: Attention ! C’est limite freudien ! (Rires)
AG: C’est un voyage que l’on fait ensemble avec le public, j’ouvre le concert avec la chanson « L’abri ». Venez, ça va bien se passer. Quand j’y songe, les terroristes du Bataclan ont cassé ça. Raison de plus pour le proposer à nouveau, cet abri. Donc, on embarque toutes et tous pour l’Amérique Latine. Pour répondre à ta question, oui, je pense à une forme plus théâtrale, effectivement, d’ailleurs je repense à une fin de Live où j’ai joué une femme complètement saoule, maniaco-dépressive, c’était super…Il faudrait envisager le concert autrement. J’y pense. Oui. Pour les surprises liées au 22 novembre, on joue dans un petit écrin, le PIC ( le Petit Ivry Cabaret, 11 rue Barbès, à Ivry sur Seine) où Enzo Enzo fut programmée auparavant. Une salle avec une chouette proximité où l’on peut se lâcher. J’hésite à refaire une reprise. Je la connais et toi aussi. Elle fut expérimentée lors d’un concert à Bagnolet…
JB: C’es à dire…?
AG: « Salut à toi » des Béruriers Noirs.
JB: Houlà ! Tu mets toute l’équipe de Lust4Live dans ta poche, là ! (Rires)
AG: C’est vrai ? Bon, on va la faire…
JB: Pour terminer ! Un album, un film et un livre que tu conseillerais ?
AG: Un film : » FREMONT » de Babak Jalali & Anaita Wali Zada, sorti l’année dernière. C’est très beau. Cela se passe dans une usine où l’on confectionne les Fortune Cookies à San Francisco.
Un bouquin : toujours « L’éloge du risque » qui a inspiré « ALTAMAR ». Toujours le risque de risquer sa vie pour en sauver une autre.
Un album : je vais faire dans le « corporate », l’album « Roseaux 2 » du groupe « Roseaux », un super projet avec Alex Finkin, Emile Omar et Clément Petit. A découvrir !
JB: Merci, Alexandra, et bon concert à toi ! Comme mentionné dans ton album : « Embrassons-nous »?
AG: Oui ! Encore merci ! Bisous ! Embrassons-nous !
John Book.
Pour retrouver Gatica et son show décoiffant à 20h30 ce vendredi 22 novembre à Ivry sur Seine, c’est ici :
Crédits photos de l’affiche de concert :
Crédit : Vivian Daval
Graphisme : Stephane Rozenscwajg