Né d’une collision plutôt que d’un plan échafaudé, Dééfait s’est formé dans les entrailles du ventre de la bête, ou plutôt du Ventre de la Baleine (Studio de Seine-Saint-Denis) où le bruit des voisins devient matière première. Entre Mexico et Pantin, les frères Valero, Enir Da, Grégoire Couvert et Ric Lara ont rapidement trouvé un terrain commun : la transe, l’altération, l’intensité.
Improvisations poussées jusqu’au point de rupture, textes en trois langues volontairement tordus, goût pour les états extrêmes et les expériences sonores radicales : le premier EP du groupe, ressemble un ensemble d’incantations brulantes, refusant la narration linéaire autant que le son domestiqué.
Chez Dééfait, désir, mystique, violence et non-sens cohabitent sans hiérarchie.
Vous venez de lieux et de scènes différentes (Mexico, Paris). Qu’est-ce qui vous a fait vous réunir, au-delà de l’esthétique musicale ?
Ricardo: Lucas et Pablo faisaient partie d’un groupe qui s’appelait Pays P. qu’on avait approché pour une web série sur les groupes de l’underground parisien, Stay Hungry, qu’on a porté Adrien, Grégoire et moi. On a très vite sympathisé et l’envie de jouer ensemble est arrivée. Pendant un an on s’est vu toutes les semaines dans un studio au Ventre de la Baleine (un complexe de studios autogérés situé à Pantin en Seine-Saint-Denis), d’abord sans véritable objectif autre que confronter nos univers et voir ce qui ressortirait de cette confrontation. Les frères Valero ont des groupes ensemble depuis le début des années 2000, Adrien est un stakhanoviste des projets et un moteur pour créer une dynamique entre plusieurs musiciens, Grégoire a un univers esthétique très travaillé et une recherche constante de la matière sonore la plus spécifique, et avec mon background de chanteur de groupes punk à Mexico ça pouvait ne pas prendre, mais ça a créé Dééfait !
Votre musique semble relever autant de l’invocation émotionnelle que de la transe. Quand vous jouez, qu’est-ce qui vous met donc dans cette transe ?
Dééfait: Chacun d’entre nous, même avec ses différences, vient d’une culture du rock, et de la musique en général, peuplée de groupes assez extrêmes et tournés vers la transe. À titre d’exemple, la première fois que nous sommes allés voir un concert tous ensemble, il s’agissait de Sister Iodine et Lightning Bolt à la Station. Par ailleurs, avant de nous décider à jouer ensemble nous nous sommes beaucoup côtoyés dans un environnement festif et nous savions dès le début avoir en commun un goût pour les états altérés.
Vous dites ne pas chercher forcément les mélodies mais plutôt un état de tension : Comment articulez-vous la composition de vos morceaux pour obtenir ce résultat ?
DF: Nous composons tous nos morceaux ensemble et généralement la première étape consiste à improviser. Souvent nous poussons naturellement ces phases improvisées vers quelque chose de très intense, et quand nous travaillons sur une structure pour la canaliser, nous essayons de garder le côté transe que nous avons atteint dans l’improvisation.
Les textes de vos chansons alternent entre anglais, espagnol et français. Comment choisissez-vous la langue d’un morceau ?
Ricardo: La plupart du temps, les voix des morceaux naissent de jams qu’on fait tous ensemble. Pendant ces sessions, je chantonne, je balbutie et je me colle à la musique qui se crée au fur et à mesure. Ensuite, en fonction de ce que j’ai fait, je vois laquelle des trois langues est la plus adaptée aux sonorités que j’ai développées pendant le jam, car chaque langue a ses spécificités, et parfois l’une fonctionne mieux que l’autre.
Dans tous les cas, dans les trois langues, la grammaire, la syntaxe et la phonétique sont tordues : je m’attelle plutôt à suivre une couleur, une intuition, et beaucoup moins un discours narratif clair ou raisonné. Les paroles sont un peu shootées.
Est-ce qu’il y a un sens symbolique universel ?
R: Je ne prétends pas à l’universalité, et je me méfie de ce terme. Les paroles de cet EP expriment simplement différents états dans lesquels je pense qu’on peut trouver du plaisir. En procédant ainsi, on revient plutôt à la subjectivité, à la contradiction, au non-sens — à l’esthétique plutôt qu’à l’éthique.
Ce premier EP est décrit comme un “monologue habité”. Qu’est-ce qui vous insuffle ces monologues ?
R: Toutes les paroles de cet EP ont pour fond, ou pour cause, des états altérés de conscience, qui permettent d’atteindre une forme de résignation presque béatique, face à l’existence en général.
On a l’impression que chez Dééfait, le désir, le mystique, la folie et la violence sont des flux créatifs parallèles. Comment naviguez-vous entre ces frontières pour le moins obscures mais fascinantes ?
DF: Nous avons créé le groupe dans un studio tout au fond du labyrinthe du Ventre de la Baleine, dans un local très sombre et très usé, avec des voisins de studio extrêmement bruyants que l’on entendait comme s’ils étaient dans la même pièce que nous. Cette atmosphère particulière a posé les conditions d’une musique bruyante et obstinée, en plus de nos prédispositions naturelles et chimiques pour les sonorités et rythmiques tendant vers la transe.
Quel artiste ou groupe vous influence le plus actuellement ?
DF: Difficile d’en choisir qu’un.e… Alors en vrac on pourrait évoquer les projets de Romain Simon (Headwar, Carte Noire, Baton XXL), Moin (et globalement tout ce à quoi touche Valentina Magaletti), Swans qui continue, France et Tanz Mein Herz, et une certaine fascination pour le dernier disque de Still House Plants.
Sans en dire trop, d’ici la sortie de votre EP, le 12/12/ 2025 et garder l’effet de surprises : quel adjectif devrions-nous utiliser pour mieux vous cerner collectivement et individuellement ?
Défait.



