[Interview] Coilguns – « Odd Love »

Entrer dans l’univers de Coilguns, c’est entrer dans une bulle d’énergie, de force et de bienveillance. Depuis plus de treize ans, ce groupe suisse trace sa route dans une scène indépendante qu’il redéfinit à sa manière : à la fois viscérale, bruyante, mais étonnamment inclusive et généreuse. À l’occasion de la sortie de leur nouvel album « Odd Love » et d’une tournée particulièrement dense, Jona Nido, guitariste, compositeur et cofondateur de Coilguns, a pris le temps de se livrer sur leur parcours, leurs doutes, leurs ambitions, et surtout sur ce lien indéfectible qui les unit dans une aventure musicale construite sur l’effort, l’engagement et la joie de faire les choses ensemble, et surtout d’une passion, celle qui donne envie de tout donner, même après des années de route, simplement pour continuer à vibrer ensemble, sur scène comme en dehors.

 

Est-ce que tu peux nous raconter comment Coilguns est né ?

Oui, bien sûr. C’était en 2010. À l’époque, je jouais avec le chanteur et le batteur dans un groupe de métal allemand qui s’appelle The Ocean — un groupe qui tourne encore aujourd’hui. On était jeunes, on avait dans les 20 ans, et à un moment donné, on a quitté ce groupe de manière assez rocambolesque.

On tournait déjà à l’international et, en fait, on s’est dit qu’on aimerait faire la même chose… mais avec notre propre musique. J’avais passé un séjour aux États-Unis, j’y avais une guitare avec moi et j’ai composé trois morceaux là-bas. Quand je suis rentré, je les ai montrés aux gars, et c’est devenu notre premier EP, sorti en 2011.

Très vite, on nous a programmés pour des concerts en Suisse, dont une première partie d’un groupe qu’on admirait : The Dillinger Escape Plan. Et depuis ce moment-là, on ne s’est plus jamais arrêtés. C’était un accident, au départ, qui s’est transformé en vraie aventure… en travail, même.

 

Donc vous vous connaissiez tous déjà, avant Coilguns ?

Oui, absolument. Luc (le batteur) et moi, on jouait ensemble depuis qu’on avait 13-14 ans. Luc et Louis (le chanteur) se connaissaient aussi depuis longtemps. Moi, j’ai rencontré Louis un peu plus tard, dans le cadre de The Ocean.

Aujourd’hui, on a aussi un quatrième membre, Kevin Galland. À l’époque, il n’était ni ingénieur du son ni bassiste. Il conduisait simplement notre van sur les tournées. Et aujourd’hui, c’est notre bassiste et notre ingé son. Ça montre bien à quel point tout ça s’est construit naturellement.

 

Comment vous composez aujourd’hui ? Comment fonctionne la dynamique du groupe ?

La base, c’est toujours moi, oui. Je commence avec la guitare. C’est moi qui donne la couleur du morceau. Mais le processus a beaucoup évolué. Au début, on écrivait beaucoup en répète, le batteur et moi, avec des riffs assez typiques de rock.

Sur le dernier album, j’ai voulu revenir à quelque chose de plus introspectif. Je fais énormément de choses à côté, du management d’artistes, un label, etc… donc j’ai peu de temps pour la musique. Et paradoxalement, tout ce que j’ai construit, je l’ai fait pour pouvoir jouer de la musique. Donc, quand j’ai le temps, j’ai besoin d’être seul pour créer.

Je compose donc seul, guitare et ordi, pendant un ou deux mois. Ensuite, j’envoie les démos au batteur, qui les transforme, puis le bassiste ajoute ses couches. Ensuite, Louis (le chanteur) récupère tout ça. Il joue un rôle un peu de directeur artistique : il écrit les textes, pose les voix, recompose les structures. Il peut transformer un refrain en intro, changer la durée des parties… C’est un processus vraiment collectif, même si on bosse tous d’abord de notre côté.

 

Louis écrit les textes, donc ? Est-ce qu’ils sont très personnels, introspectifs ?

Louis écrit tous les textes, oui. Et non, ce n’est jamais personnel au sens individuel. Il écrit toujours au nom du groupe, en “nous”. Il ne s’agit jamais de lui, mais de nous et de notre rapport collectif à un sujet. On fait ensuite des séances où il nous explique les textes : ce qui est littéral, ce qui est libre d’interprétation… On valide tout ensemble.

C’est une écriture très collective dans l’intention, même si chacun reste maître de sa part.

 

Votre musique a beaucoup évolué depuis vos débuts très noise, très punk. C’est volontaire ?

Oui, complètement. On a commencé dans la scène des squats, avec une musique très frontale, très chaotique. Puis, au fil du temps, chacun a eu ses expériences personnelles. Louis, par exemple, a un projet folk tout doux. À un moment, il nous a même engagés pour l’accompagner sur une tournée en mode folk. Ça a eu un gros impact : depuis, on chante tous dans le groupe, ce qu’on ne faisait pas du tout avant.

Et on a ressenti aussi le besoin de faire des disques plus “écoutables”, produits autrement. Pour la première fois, on a travaillé avec quelqu’un d’externe pour le mix. On voulait aller plus loin. Après notre album de 2019, on a senti qu’on avait atteint une limite : on savait très bien faire les choses nous-mêmes, mais pas forcément mieux. On voulait évoluer.

 

Et donc, c’est là que vous avez pris une autre direction avec Odd Love ?

Exactement. Jusque-là, nos albums étaient écrits, enregistrés et mixés sur place, en quatre semaines. Avec Odd Love, on s’est demandé : et si on prenait le temps ? Si on laissait les morceaux mûrir, s’arranger, se transformer ? Si on arrêtait de tout faire nous-mêmes pour se concentrer sur l’interprétation ?

Et puis, on a aussi voulu toucher plus de gens. Pas pour être commerciaux, on s’en fout de ça, mais pour partager autre chose. Jouer devant 40 personnes le lundi soir, on l’a fait des années, mais on avait envie de clubs avec du bon son, plus de monde, d’autres énergies.

 

Tu parlais de production plus ambitieuse. C’est une vraie volonté d’ouvrir votre musique ?

Oui. Quand j’ai commencé à écrire ce disque, j’ai dit aux gars : « J’aimerais jouer dans des clubs où il y a du monde, du bon son, pas dans des caves pour puristes noise. »

Je me suis mis à réécouter du métal du début des années 2000, du rock avec de grosses prods. Je voulais écrire des chansons, pas juste des riffs. Et c’est vraiment différent de composer pour une cave versus un club avec des subs, un bon système son. On a même été tester des morceaux dans les clubs pendant l’écriture !

Mais c’est pas un virage soudain : c’est une évolution naturelle. Ce qu’on veut, c’est faire du Coilguns, sombre, intense, mais dans des conditions qui nous permettent de partager plus largement.

 

Il y a une maturité dans tout ça, non ? Une exigence aussi.

Exactement. Et c’est pour ça que je ne juge jamais les artistes qui changent de cap. Tout le monde a tapé sur Muse à un moment donné. Mais personne n’est dans leur tête. Ils ont juste voulu explorer autre chose.

Nous, avec Odd Love, on s’est posés cette question : que se passe-t-il si on prend le temps ? Si on confie l’enregistrement à quelqu’un d’autre ? Si on se concentre sur notre jeu ? Si un bon ingé son mixe nos pistes ?

Moi, j’aime voir grand. Parce que même si tu vises la lune, tu finiras peut-être juste sur une colline… mais au moins t’auras avancé, t’auras décollé.

 

Il y a aussi un acteur important dans tout ça, c’est le public. Comment cette relation a évolué et votre regard sur le live ?

La relation avec le public, elle nous a vachement aidés à nous accepter. Parce qu’en fait, on est un groupe un peu bizarre. On a plein d’influences. Et souvent, on ne sait pas trop où nous ranger.

On a été un peu catalogués “groupe métal”, mais la communauté métal ne nous accueillait pas vraiment : trop noise. Dans l’indie ou le rock plus classique, c’était trop chaotique, trop brutal.

On a dû convaincre les gens, vraiment. Mais on a voulu le faire à notre manière. Avec une musique sombre, frontale… mais aussi avec un message d’amour. De sueur. De collectif. D’inclusivité. On ne voulait pas être ce groupe élitiste qui joue dans une cave pour des initiés.

On voulait que même les familles, les curieux, se sentent bien à nos concerts. Qu’ils se disent : Tiens, ces gens ont l’air fâchés, mais ils sont gentils. Parce qu’on est comme ça. Gentils. On ne vient pas d’un contexte social difficile. On n’a rien à revendiquer de violent. On veut juste partager quelque chose de fort.

Et en Suisse, ça a bien pris. On a vu notre public évoluer. Plus de femmes. Plus de jeunes. Plus de gens qui ne sont pas du tout “scène noise ou métal”, mais qui kiffent Coilguns. Et ça… ça nous a validés. On en avait besoin.

On a même des gens qui nous suivent depuis des années. Et ça, c’est hyper précieux.

 

Un mot pour conclure ?

On fait toujours de la musique comme des grands ados. Mais ce qui est fou, c’est qu’on est toujours tous d’accord. Sur tout. C’est sans doute ça, notre vraie force.

 

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