« Il était une fois, une vie » de Bernard Martin-Dostal. Life’s what you make it.

Bernard Martin-Dostal est un personnage de roman. Ex-professeur d’allemand puis de théâtre, metteur en scène, comédien, critique, auteur, compositeur, interprète, artisan, écrivain, son parcours atypique se nourrit de passions, de rencontres et d’éclats de voix. Son dernier ouvrage : « Il était une fois, une vie » -paru aux éditions Edilivre- croque avec acuité, humour et ironie mordante l’itinéraire d’un homme de sa naissance au crépuscule de son existence.

Retrouvailles au téléphone, à la faveur d’un dimanche après-midi, avec un touche-à-tout de talent.

 
Bonjour, Bernard, c’est, donc, ton quatrième roman ?
Oui, on peut dire ça, étant donné que le troisième fut publié à compte d’auteur.


« Confidences d’un gardien de musée » (éditions du Net, 2015), « Coups de théâtre », qui est plus un recueil de chroniques, (éditions La feuille de thé, 2017), « Vingt scènes » et « Il était une fois une vie ».  Je ne me trompe pas ?
Non. Mais « Vingt scènes » est à part car il relate tout ce que j’ai traversé et enduré à l’université Paris 8 de Saint Denis. 

C’était aussi un peu le cas dans « Coups de Théâtre » ?
Un peu mais cela portait surtout sur le public, ses us et coutumes, et certains metteurs en scène ou comédiens dans la partie scène. Je crois que j’y égratignais aussi certains collègues ! 


J’ai dévoré, en quelques nuits, ton dernier opus et c’est à ton image : à la fois très drôle mais alarmant sur la société qui nous entoure. 
C’est certain (rires)… 


Et on y apprend que tu tenais un journal intime de longue date… 
Il faut que je précise certaines choses : ce roman n’est pas strictement autobiographique. J’ai fait appel à des souvenirs de la petite école, du collège, du lycée, du supérieur, de ma vie maritale, etc.…mais en essayant d’ouvrir au maximum. De telle façon qu’une telle ou un tel puisse y retrouver des traces, des bribes, des morceaux de sa propre existence. Mon but était d’universaliser mon propos. Universaliser, dans le cadre de l’Europe. En Afrique, en Asie, ce roman ne fonctionnerait peut-être pas. 


Mais ce journal intime existe réellement ? 
Non, il n’existe pas. 


C’est un subterfuge ! 
Attention, dans ce journal intime fictionnel, il y a des éléments qui ont existé. Quand je parle d’un type qui se la pète sur le Boulevard de la République, c’est celui de Chalon sur Saône, ce sont des souvenirs propres… 


Il n’ y a pas de noms cités… 
C’est toujours dans une volonté d’ouverture. 


Pourquoi ce besoin de te livrer, même si une part de mystère demeure ? Ton livre relèverait d’une auto-analyse ? 
Tu n’as pas tout à fait tort. Je considère l’écriture comme une forme de thérapie. Tu dis, par l’écriture, ce que tu as, parfois, du mal à exprimer oralement. Mais cette auto-analyse est romancée, divagante. 


Dans toute thérapie, la finalité est que tu te portes mieux. Était-ce le cas à la fin de l’élaboration d’« Il était une fois, une vie » ? Fermais-tu un « chapitre » pour en ouvrir un autre ? 
Non seulement, je me sens bien à la clôture d’un roman mais je me sens très bien à la fin d’un paragraphe ou d’une page. Cela soulage. Je parviens à « lâcher » mais, et c’est un bien grand terme, je parviens surtout à « créer ». Il y a une production de l’imaginaire ou du réel dont j’ai besoin. Concernant un futur chapitre, j’ai l’idée d’un prochain roman sur le milieu hospitalier mais je n’en dis pas plus. 


« Il était une fois, une vie », œuvre en somme ? 
Je considère ce bouquin comme « testamentaire ». Ce n’est pas mon testament, il y a beaucoup d’emprunts à la fiction, mais il était important pour moi, avant de partir je ne sais où, d’écrire cela. C’était vital. Organique.


Cela ne verse jamais dans l’atermoiement mais effectivement, c’est prégnant. C’est une vraie tranche de vie du début jusqu’à la presque fin. C’est d’autant plus touchant que cela nous rassemble toutes et tous. La famille. Les premiers amours. Les premiers jobs. Les amitiés très fortes. Les doutes. Les petits malheurs. Les convictions. Les conflits de génération. Une drôle de vie. D’ailleurs, le choix porté sur l’une de tes créations pour la couverture de ton bouquin n’est pas anodin. 
Quelqu’un m’a fait remarquer : « Pourquoi n’as-tu pas parlé du SIDA ? ». C’est vrai que je suis passé à côté.  Étrange mais pertinent. C’est passé à l’as. »


Tu parles, vers la fin, de la COVID qui toucha toute la société de plein fouet. Le SIDA était, sans doute, « éloigné » de toi ? 
C’est ça. Le SIDA est terrifiant, bien entendu, mais je n’ai connu personne touché de près ou de loin, d’où cette absence. Idem pour mon divorce. Je n’en parle pas. Mais ce n’est pas mon autobiographie. Ce n’est pas spécifiquement ou exclusivement moi…


C’est un moi fantasmé.
C’est difficile, pour les gens, de comprendre ça. Certains me disent : « Bernard, on te reconnaît, là-dedans ! » Bien entendu…mais ce n’est pas moi. 


La manière dont tu joues avec les mots, c’est tout toi ! »
Chaque fois, je ne m’en prive pas ! (rires) 


Ton vocabulaire est vraiment riche, impressionnant, vertigineux même, mais la lecture reste fluide, accessible… Comment travailles-tu l’élaboration de tes romans ? Au coup-par-coup ou avec un squelette prédéfini ? 
J’écris exclusivement le matin, j’ai les idées fraîches. Il y a une première version, avec des têtes de chapitres, puis je relis, corrige. Mon souhait est que mon livre soit digeste. Compréhensible. Pas de verbiage. A partir du début jusqu’à l’édition, je compte deux ans. Ce sujet décantait…c’est parti après une période de latence où je n’écrivais plus. 


On sent quelque chose de moins « fou » par rapport à « Coups de théâtre ». C’est plus cadré ? »
Je me suis posé certaines balises. 


Avec une profondeur, liée au sujet. 
En arrière-plan, il y a une amertume. 


Tu oscilles entre plusieurs genres et j’ai toujours pensé que ton style pourrait bien se marier au polar.
J’avais commencé l’écriture d’une dizaine de pages, mais, n’étant pas satisfait, j’ai viré. C’est un genre très difficile. Il ne faut pas tomber dans des topiques, clichés, images d’Épinal… 


La manière dont tu décris les personnages et les situations s’y prêtent bien, pourtant ? 
J’adore esquisser des portraits. D’ailleurs, j’ai un autre livre en préparation : « Portraits et Tableaux ». Ce sont des petits portraits quotidiens…liés au théâtre aussi. Cela peut traiter de la tourneuse de pages, lors d’un concert de piano, ou un truc sur les travers Michel Onfray. 


Tu es un grand amateur de la Culture. Est-ce que cette dernière te nourrit dans la construction de tes romans ? 
Je réponds d’emblée : « Oui ! ». Dans le Jazz, il y a un côté « improvisation libre » qui me séduit, comme dans l’écriture. Même si je me trace des barrières. 


Cela infuse ? 
Cela infuse ! J’écoute énormément de musique, Jazz, Pop, France Musique, Radio Classique, cela m’inspire.
 

Tu notes ? 
Oui, en remontant dans mon bureau, je note l’impression qui s’est dégagée. Schubert me fait une très forte impression, c’est d’une mélancolie et d’une tristesse extrême. C’est prenant. Brahms aussi. 


Tu es très sceptique par rapport au Monde qui t’entoure. Tu sais, je me suis senti moins seul à la lecture d’ « Il était une fois, une vie !»  (rires)
Cela me fait plaisir ! Vu le merdier dans lequel on vit, il n’y a pas de quoi sauter de joie ! (rires)


C’est un état des lieux constant, selon toi, ou une déclinaison d’année en année ?
Elle est exponentielle. J’appelle cela les 3D : Déliquescence. Décadence. Dégénérescence. S’il y a un mur pas loin, on y va ! 


Te considères-tu comme quelqu’un de nostalgique ? 
Non. J’aspire à un Monde plus serein. Moins débile, moins crétin. Quand on voit le comportement de Trump, de Poutine, je suis pessimiste. Certains hommes politiques, même des fumiers, avaient tout de même une certaine ligne de conduite. Même dans l’horreur ! Trump est un animateur de show télévisé. C’est consternant. L’Iran, l’Irak, la Palestine, Israël, certains royaumes d’Afrique…c’est le foutoir partout.»


Ton projet le plus imminent ?
Me faire un petit repas, ce soir, sympathique. (Rires) Mon traiteur a des pâtés extraordinaires ! (Rires) Il y a « Portraits et Tableaux » et une poignée de concerts que je donnerai en trio, autour de Léo Ferré, pour Septembre. 


Tu écris tous les matins. Jamais peur de la page blanche ? 
Non. Je me mets devant mon ordinateur, et, si j’ai passé une bonne nuit, c’est parti. 


Des coups de cœur, en matière de livres, musiques, de cinéma ? 
J’ai un bouquin à conseiller. Il m’a été envoyé par un ami de longue date. C’est « Martin Eden » de Jack London. C’est remarquable. J’ai un cinéaste culte, c’est Clint Eastwood. A part quelques films, il est « CUT ! ». Clint, c’est Tac, Tac, Tac, cela ne plaisante pas ! C’est le roi de la construction. Il est toujours dans mes favoris. En disque ? Le Trio Sud. Et toute la discographie de Biréli Lagrène. Toute ! 


Merci, Bernard !
 
En ces temps agités, je ne saurai que trop vous conseiller la lecture de cet ouvrage acide, vachard et proprement libérateur. Amateurs de Pierre Desproges et d’humour noir, laissez-vous séduire par cet « Il était une fois, une vie ». Dans un effet miroir des plus jouissifs, ce récit allie-avec équilibre- radioscopie du genre humain et vocabulaire foisonnant. Le remède idéal face à la sinistrose ambiante. Un régal.
 
John Book.
 
PS : Grand merci (bis) à Bernard Martin-Dostal pour sa gentillesse, sa disponibilité, son enseignement et son amitié sans failles.
 
 

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