[Chronique] Flora Fishbach – « Val Synth »

Avec « Val Synth », Flora Fishbach franchit une étape charnière dans une carrière pourtant déjà brillante. Après l’explosion solaire d’ »À ta merci » (2017) et l’ampleur dramatique de « Avec les yeux » (2022), la musicienne choisit de rétrécir le cadre et de se glisser dans un costume plus pop. Huit titres, qui concentrent avec audace une liberté et agissent tels un polaroïd sonore : qui se dévoile de titre en titre : lumineux, mystérieux, brumeux, mais surtout chargé d’une intensité nouvelle.

Ce disque est d’abord un terrain de synthèse, au sens propre comme figuré. Synthèse d’influences, où l’on retrouve une alliant la pop solaire d’Etienne Daho, la New Wave synthétique de Depeche Mode, et l’élégance vénéneuse de Rita Mitsouko, l’hypnose de Broadcast. Synthèse aussi de ses élans personnels : Flora ne chante plus masquée par l’ironie ou la distance, elle avance à découvert. Le prénom devient manifeste, presque un autoportrait musical.

« Rends-moi ma vie » ouvre la danse, entre nappes vaporeuses et beats électriques, une ballade qui se tient au bord du gouffre mais refuse le vertigo. Puis surgit « Comme Jean Reno », audace surréaliste qui convoque l’imaginaire cinématographique autant qu’une mythologie pop intime. Flora Fishbach y joue avec la porosité entre rêve et réalité, comme si sa voix dialoguait avec l’écran. Cette dimension cinématographique traverse tout le disque : l’ombre de Lynch, la mélancolie de Carax, l’héroïsme décalé de Besson planent dans ces morceaux, jamais cités frontalement mais toujours présents en filigrane.

Le diptyque « Des bêtises » (pt. I & II) assume, lui, une fantaisie pop plus immédiate, presque bubblegum. Derrière l’insouciance apparente, on perçoit une volonté : briser le sérieux, introduire de l’humour et du jeu dans un univers souvent perçu comme sombre. Ces morceaux révèlent combien Flora se joue des codes de la synthpop, injectant de la légèreté là où l’on attendait du drame.

« Mon copain » déploie quant à lui une douceur enfantine désarmante, entre tendresse adolescente et fragilité adulte. C’est sans doute la chanson la plus dépouillée de l’album, un souffle qui confirme cette volonté d’aller vers l’essentiel. Enfin, « Dulcimers » conclut l’odyssée dans un écrin de claviers cristallins, presque ambient, comme un générique de fin étiré à l’infini.

Sur le plan sonore, « Val Synth » est moins varié que ses prédécesseurs. La production, plus sobre, laisse respirer les arrangements. On pense parfois aux expérimentations d’un John Maus ou aux textures vaporeuses de Chromatics, mais Flora ne copie pas : elle condense, module, joue avec l’héritage. Les synthés ne sont plus seulement des décors, ils deviennent des personnages, compagnons de route qui dialoguent avec sa voix.

Flora Fishbach y affirme son talent et son audace. Elle ose le minimalisme, l’épure, la fantaisie avec cette élégance captivante. Toute la fièvre de « Val Synth » s’impose par touches successives, en un opus mystérieux et terriblement électrisant.

Étrange vallée que ce « Val Synth » : on y entre comme dans un rêve pop, on en ressort avec la sensation d’avoir traversé un paysage mouvant, traversé d’ombres et de reflets. Un voyage bref, mais séduisant.

Photo de couv yann Morrison