« Flammes » de Niagara. Muriel ou le temps d’un retour.

28 ans d’absence et de manque. 28 ans de béance au sein de la pop-rock française et fédératrice. Hyphen Hyphen?  Minuit? Thérapie Taxi?  Alors que la plupart des magazines musicaux s’enthousiasment pour des jeunes pousses biberonnés aux années 80, retour sur un groupe culte qui conjugua-durant cette décennie- efficacité, singles populaires et luxuriance musicale : NIAGARA.
Issu de la fameuse « scène rennaise », ce terrible duo mené par Muriel Moreno et Daniel Chenevez s’entendait pour créer un univers personnel tout en piochant dans les riffs de guitare les plus durs, la sensualité d’une bluette Motown ou la bande-son d’un polar exotique. Chez Niagara (patronyme inspiré du film d’Henry Hathaway de 1953), le « tube » n’était pas forcément synonyme de ritournelle d’un été mais gage de qualité et d’immédiateté. Faire danser le « camping des flots bleus » de Saint-Malo, certes, mais avec consistance du fond et allégresse de la forme.
Paroles, paroles, …
Les thèmes sont bien connus : passions impossibles, désirs nocturnes, refus et rébellion. On pourrait, d’ailleurs, reprocher à notre binôme l’utilisation un brin récurrente de rimes faciles ou d’associations d’idées allant de soi. Mais ce serait omettre ce qui fit la sève du groupe : son érudition. Car sous le vernis d’une pop française alors flamboyante (Etienne Daho, les Rita Mitsouko, Les Negresses Vertes, etc…) se cache, dès l’aube des eighties, une dose de noirceur et de perversité . Ainsi, nos Bonnie & Clyde convoquent régulièrement la mort en filigrane dans bon nombre de morceaux (« Quand la Ville dort« , « Assez !« , « J’ai vu« , « Soleil d’Hiver » ou « Pendant que les champs brûlent« ) – quitte à ce que ces deux derniers titres soient censurés et interdits d’antenne radiophonique. A grands renforts de paroles à caractère mystique, notre couple s’arcboute sous la théorie des quatre éléments comme autant de boucliers. Le feu, l’air, l’eau et la terre pour seuls remparts face à l’érosion des sentiments. « Si le ciel ne me tombe pas sur la tête… », « Les yeux cernés, des poussières dans les cheveux, au long de mes jambes la caresse du feu », « Elle voulait toucher le soleil, rien ne sera pareil, perdue dans son sommeil »… Chez nos duettistes, la Nuit est la plus évidente des antres et le Soleil une étoile du Berger. Liens cosmiques avec le Très-Haut. Amour frontal et verticale. Soif de Vérité et corps irradiés.

(Muriel Moreno – Photo jo Pinto Maïa)

A l’écoute, ces fondations philosophiques pourraient paraitre opaques. Les « scopitones » de NIAGARA les universalisent.
Daniel Chenevez, auteur-compositeur-interprète et réalisateur – joue la carte du visuel et magnifie à l’écran les interrogations d’une Wonder Woman ensorceleuse. Rousse flamboyante ou baronne (un peu) perchée, meneuse de revue ou rockeuse tendance bondage.
Des métamorphoses subies au gré d’albums diamétralement différents mais toujours de très haute tenue (de gala).
Au gré de clips subrepticement érotiques, Muriel Moreno s’impose-alors- comme une Amazone immortelle et défie le temps ou le sort, c’est selon.
Et après ?
Quatre trente-trois tours et puis s’en vont.

Rétrospectivement et musicalement, le tour de force est à saluer.
Pour nos deux partenaires particuliers, cette entreprise aurait pu sombrer constamment dans la new-wave . Sujets graves, instrumentations pesantes. Il n’en fut rien. Le « Dynamic Duo » misa sur la pop exotique digne des « pulps » puis embraya sur du hard-rock burné pour finir en beauté dans une « Soul pleureuse ». Ou comment dire des choses graves à grands renforts de cuivres, de chœurs, de guitares wah-wah et d’orgues Hammond.
Il est, d’ailleurs, étonnant de voir à quel point Lenny Kravitz emprunta les accords de « J’ai vu » pour son « Always on The Run« . A moins que ce ne soit purement le fruit du hasard ? Essayez un « mash-up » de ces deux singles, c’est assez étonnant !
Mais, me direz-vous, pourquoi cet engouement subit pour ce tandem trop tôt disparu des radars ?
Entendons-nous bien. A l’époque, je considérais nos deux trublions comme des « faiseurs » de ballade. Des airs bons à passer au TOP 50 ou dans le rayon « Surgelés » d’un quelconque supermarché. Jugement sommaire !
En musique ou dans tout écosystème, tout se nourrit de tout.
Pour mémoire, ces prestations tétanisées de Noir Désir ou dégingandées de The Cure…chez Drucker! Ou cet inoubliable live de « MotorHead » sur le plateau du 13 Heures de Mourousi (je rêve d’un biopic sur ce journaliste !)…
Nous avions dans notre beau Pays la réponse francophone à Ike et Tina Turner et je ne le voyais même pas.
Mea Culpa.


C’est en piochant, donc, dans les bacs d’une bibliothèque que mon choix s’arrêta sur ce « Flammes » réjouissant. Non pas pour l’accumulation de titres inhérent à tout « Best-Of » mais pour la collection de versions longues inscrites sur la deuxième galette.
Introductions pétaradantes, voix isolée et mise en avant (et quelle voix !), déferlement de solos à la slide-guitar ou option rythm’ and blues, les choix et les surprises sont, ici, multiples.
Bien mieux que des « versions longues » mornes et désincarnées, ces relectures fantastiques de standards -pourtant connus dans notre inconscient collectif- mettent à jour le travail d’orfèvre d’un Pygmalion et de sa lionne.
Et les placent instantanément à la première place sur le podium de la variété (à savoir discographie éclectique et diversifiée) dans notre French Culture.
Il est, donc, grand temps de réhabiliter « NIAGARA » en tant que groupe majeur et intemporel: leur célébrité est encore tangible tout comme leurs illustres pochettes de vinyles. Et leur travail de compositions alliant complaintes accrocheuses, hits entêtants et héritage américain remarquable.
Résonnance.
28 ans d’absence.
« Mes larmes s’évaporent
Et le silence, le silence est d’or… »

John Book

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