FEU ! CHATTERTON, LE BON GRAIN DE L’IVRESSE

Après une triomphale tournée 2016, le Feu! Chatterton incandescent s’était envolé par-delà l’Atlantique pour embraser l’Amérique du Sud. Il se dit qu’Arthur Teboul est là-bas l’équivalent du dieu aztèque Quetzalcoatl, les plumes en moins. Il se raconte aussi que Xiuhtecuhtli, le dieu du feu, n’a manqué aucun des six concerts de la mini-tournée au printemps 2017 et qu’Ix Chel, la déesse maya des inondations et des orages, a renoncé à ses desseins d’éteindre les feux, subjuguée par les mélodies de nos cinq parisiens.

Pour les Songazous qui séjourneraient habituellement sur la Galaxie du Sombrero dans la constellation de la Vierge, petit rattrapage façon ‘’Feu ! Chatterton pour les Nuls’’ en 300 caractères espaces compris : climat, voyage, charnel, maniement des mots, perfectionnisme, envolées poétiques et lyriques, dandysme, intelligence, musicalité, romantisme, onirisme, paroles en français, puissance rock, sonorités disco, rythmiques jazz, références littéraires nombreuses (Artaud, Apollinaire, Aragon, Baudelaire,…).

Après six mois de sevrage forcé, les Feu ! Chatterton nous font un joli cadeau en cette fin d’année, avec la sortie de deux singles, ‘’Souvenir’’ et ‘’L’ivresse’’, annonciateurs de ce à quoi pourrait ressembler la toujours périlleuse entreprise du deuxième album, après ‘’Ici le jour (a tout enseveli)’’ sorti en novembre 2015.

Dès la première écoute de ‘’Souvenir’’, nul doute que les aficionados seront enthousiastes. On retrouve le timbre de voix unique d’Arthur Teboul, les paroles sont une invitation à voyager dans nos souvenirs, ceux de nos proches, de notre enfance, de nos paysages, de nos sens (‘’J’aimais ta peau dorée’’).

‘’Le passé qui nous hante est un jardin vivant’’ dit le sous-titre… on évoque ici des souvenirs passés, les endroits, la perte d’un être cher (‘’A genoux j’implore ciel et mer’’(mère ?)), une séparation définitive (‘’Nous ne nous reverrons plus / Que de l’autre côté de la mer /A jamais’’…  »Il ne me reste plus rien de toi / Tu sais ton absence m’appartient /On s’est laissés à l’orée de ces bois / C’est un joli jardin je crois / On s’est laissés là’’… ‘’Mais maintenant je pleure ton nom’’) …

Comme à l’accoutumée, on serpente dans l’énigmatique, entre le noir, la mélancolie, peut-être le regret ou la tristesse et le côté joyeux malgré tout, entre l’automne et les belles saisons du printemps et de l’été, les démons et les anges.

La poésie n’est jamais loin. Ici le poème ‘’L’Adieu’’ de Guillaume Apollinaire * (‘’ Nous ne nous (re)verrons plus sur terre’’, ‘’(Odeur du temps) brin de bruyère’’). Cette force poétique seule capable de nous embringuer dans la folie (‘’Fou à lier’’), dans la pinède ( »La Mort dans la Pinède »), dans le chaos (‘’Côte Concorde’’) …

L’essence même de l’œuvre poétique et musicale de Feu ! Chatterton est contenue dans ‘’Souvenir’’. Le balisage est là, pour ne pas nous perdre. La magie incandescente est bel et bien de retour !

Le deuxième single ‘’L’ivresse’’ commence là où finit ‘’Souvenir’’

Force est de constater que la première écoute m’a désarçonné, désorienté, dérouté et rendu circonspect sur l’orientation prise. Plus de balisage du Feu ! D’aucuns évoquent le trap, Nekfeu et Vald, véritables terra incognita pour votre serviteur chroniqueur.

Seule la force poétique des mots est toujours omniprésente, presque rassurante (‘’Et votre moue boudeuse / Fût comme un baiser / Sur mes lèvres frileuses / De mon cœur épuisé’’).

Ici c’est une nuit où l’on s’enivre de tout, de plaisirs érotiques où les corps et les bouches s’abandonnent à la sensualité des baisers, et du vin, ce poison infernal qui console et catalyse l’énergie. Une nuit de dérives et de turpitudes dans un rade crasseux.

Oui, on est désarçonnés tout autant que le fan de Noir Désir peut l’être à l’écoute du dernier album de Bertrand Cantat‘’Amor Fati’’.

Faudra-t-il dès lors trier le bon grain de l’ivresse ?

Mais qui dit que Feu ! Chatterton livrera l’ivraie ? Et si c’était le vrai, le vrai pouvoir des mots, ce qu’ils savent le mieux faire.

N’est-ce pas le propre de l’artiste que de se réinventer, de s’éloigner de la terre ferme devenue trop paisible, prévisible et ennuyeuse, pour s’aventurer et remettre en danger le talent établi ?

Alors il faut creuser, aller chercher et c’est vrai qu’après plusieurs écoutes successives, ‘’L’ivresse’’ devient rapidement addictive et envoûtante. On y découvre des rimes et des sonorités qui claquent. Cet ivresse-là risque bien de nous rendre accro à notre tour.

Ils sont légion les poètes qui ont écrit sur l’ivresse et ils ne sont jamais très loin chez Feu ! Chatterton

On pense bien sûr à Baudelaire, qui nous enjoint de nous enivrer, comme une échappatoire à s’évader ‘’pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve : mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous’’ (2).

Ou encore : ‘’Nous fuirons sans repos ni trêves / Vers le paradis de mes rêves’’. (3)

A Apollinaire qui nous invite à nous abandonner avec frénésie : ‘’Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire’’ (4).

Tout avec Feu ! Chatterton est une mélancolie joyeuse, des saisons qui alternent, des paradoxes qui s’enchevêtrent (l’amour, la mort, la tristesse, la joie, le sombre, le lumineux…).

‘’Souvenir’’ et ‘’L’ivresse’’, si éloignés en surface, ne le sont peut-être pas autant.

Ne serait-ce pas Baudelaire (encore lui !) qui pourrait le mieux relier les deux : ‘’N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde où je hume à longs traits le vin du souvenir ?’’ (5).

Alechinsky.

Tournée (23 dates) à partir du 16 mars 2018. Nouvel album à venir.

(1)’’L’Adieu’’ – ‘’J’ai cueilli ce brin de bruyère / L’automne est morte souviens-t’en / Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyère / Et souviens-toi que je t’attends’’ – Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913. (2)’’Enivrez-vous’’ – Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, Petits poèmes en prose.(3) ‘’Nuit rhénane’’ – Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913. (4) ‘’Le vin des Amants’’ – Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857. (5) ‘’La Chevelure’’ – Charles Baudelaire