“Fenêtre sur Cour”. A View to a Kill.

"Fenêtre sur Cour"

Une jeune femme blonde, très apprêtée, entre par effraction dans un appartement afin d’y trouver des indices. Une autre jeune femme converse, dans un salon, avec un compositeur. Un homme est allongé dans une chaise roulante, la jambe plâtrée, une paire de jumelles à la main. Des fenêtres. Des vis-à-vis.Des lèvres qui se frôlent. Un corps qui tombe…Souvenirs d’enfance.
A l’occasion d’une rétrospective “Alfred Hitchcock ” à la Cinémathèque Paris Bercy, je replonge avec délice dans “Fenêtre sur Cour” et me rafraîchi la mémoire. Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Un cinéma de quartier à la télé le mardi soir. Un chanteur-cinéphile en maître de cérémonie. La dernière Séance. Une époque révolue où les chaines se limitaient au nombre de trois et où les programmes rimaient avec Paramount ou RKO.
Fenêtre sur Cour“, donc, avec l’immense James-Mister Cool-Stewart en voy(age)eur immobile et la délicieuse Grace Kelly en sidekick amoureuse et sur le point de craquer pour une boisson désaltérante (un Monaco?). Des partenaires de choix complètent ce duo chic: Thelma Ritter dans le rôle d’une infirmière dégourdie, Wendell Corey en détective dubitatif et Raymond Burr, coupable idéal et- à l’instar du protagoniste- futur Homme de Fer.
Que la Fémis point ne frémisse! Je ne vous ferai pas l’affront de tomber dans la décortication scolaire d’une œuvre majeure dans la carrière du Maître du Suspense. Tout a , déjà, été dit et bien dit: fétichisme, subversion, angoisse,symboles freudiens et étude psychologique soignée, science mathématique de la réalisation et humour à froid. Nous connaissons tous les ficelles et la patte d’un des plus grands réalisateurs de l’Histoire du Cinéma. Je me contenterai, seulement, de vous servir une chronique “à chaud” et…bon sang que ce thriller l’est!
Premier constat: la modernité de ce long-métrage laisse pantois. Nous sommes en 1954 et Sir Alfred nous parle, subtilement, du pouvoir des images, de leur aspect addictif et de l’usage que l’on en fait via une réalisation virtuose (le champ-contrechamp est de rigueur puis s’ouvrira sur d’autres latitudes dans un final renversant) où le mateur (action!) est simultanément “maté”.
Selfie, Snapchat, boite de Pandore?
Bien des décennies auparavant, Hitch pose les bases d’une dérive en terrain domestique et s’en moque. Fake news. Prépondérance du faux, de la réinterprétation jusqu’à la saturation d’un fait divers morbide: une femme qui disparaît.
Autre constat: un érotisme torride qui transpire à chaque plan. Point de “Joy en Afrique”. C’est par petites touches que le film nous émoustille: ici, une goute qui perle sur un front, là une jeune femme qui agrafe son sous vêtement en nous tournant le dos, ailleurs une empoignade musclée sur le point de sombrer dans le viol sordide. Le Maître s’emploie à nous titiller et fera de la Kelly une Reine de Saba cintrée dans une robe proche du tutu. Danse et décadence. Sir Alfred détourne la censure mais pas nos regards. Et, par cette entremise, annonce un “Frenzy” frontal et terrifiant.
Enfin, “Rear Window” ne serait rien sans ses dialogues inspirés et John Michael Hayes au scénario. Véritable jeu de miroirs et ping-pong verbal, ces joutes humoristiques s’emploient à évoquer -de manière lisible- la plus grivoise des pensées. Quand les langues se délient, les lits s’offrent sur les balcons, saturés de monde. Bondés. Bondage. Dévergondage à tous les étages.Aurions nous, face à nous, un adepte de Sade ou de Pasolini? Rassurez-vous, “Fenêtre sur Cour” joue plus sur l’évocation que sur les bas instincts d’un public en demande d’émotions fortes. Grand public, populaire et à se tordre de rire, ce chef-d’œuvre du 7ème Art se rapproche plus du ” Club des 5″ à Greenwich Village que de “La philosophie dans le boudoir”. Et lorsque j’utilise le terme de boudoir, je ne peux que saluer le travail titanesque de reconstitution d’un quartier new-yorkais dans un studio hollywoodien! Il est, d’ailleurs, amusant de voir à quel point ce petit théâtre filmé a influencé des réalisateurs majeurs comme Wes Anderson et sa “Vie Aquatique” (cette superbe scène en plan de coupe où les personnages évoluent dans un sous-marin/ maison de poupée), Michael Powell et son “Voyeur” ( dominant ou dominé, je est un autre) ou Woody Allen et ses “Meurtres Mystérieux à Manhattan” ( ce couple improbable de détectives en herbe!). Des inclinaisons. Une inclination.

Après la forme, le fond.Le Nabab de l’Angoisse appuie là ou cela fait mâle et pointe du doigt une société castratrice, vertueuse et machiste. Une société qui a pour prérogative l’interdiction d’héberger une femme dans son appartement le temps d’une nuit, où la gente féminine se doit de rester à sa place (la cuisine? ) et où les Hommes se doivent d’agir en tant que primate number one. Qu’à cela ne tienne! Big Hitch pervertira son récit en intervertissant les rôles! L.B. Jeff Jefferies demeurera cloîtré dans sa chambre de vieux garçon, diminué et victime de son handicap, tandis que les Ladys de cette épopée de poche remueront Ciel et Terre pour démasquer un meurtrier présumé jusqu’au climax.
Véritable pamphlet féministe et grand film de séduction, “Fenêtre sur Cour” résume en 109 minutes l’essence même du plaisir au cinéma.
Qu’attendre, effectivement, de plus lorsque l’on pénètre dans une salle obscure éclairée faiblement par un écran géant, ce Peep-Show démesuré où nul ne pipe mot face à l’incarnation de nos désirs et de nos fantasmes?
Des sueurs froides, certainement…

John Book.