“Dune” de Denis Villeneuve. Shifting Sands.

Et d’une! Et de deux! Après avoir empoigné, avec panache, l’un des plus grands films de science-fiction pour lui donner une suite digne de ce nom, Denis Villeneuve s’empare du livre culte de Frank Herbert et nous offre un long-métrage puissant et personnel. Il fallait avoir les épaules solides pour reprendre le flambeau là où David Lynch (ou John Harrison) l’avait laissé. Il fallait, surtout, avoir la confiance inaltérable des producteurs afin que cette adaptation d’une œuvre monstrueuse soit lisible et “bankable”. Le réalisateur canadien réussit le tour de force de réunir un casting intergénérationnel tout en contournant les clichés attendus du film d’action. Chez ce cinéaste malin et intransigeant, tout est question d’imagination et de suggestion. Ainsi, là où certains se seraient vautrés dans la débauche sanglante ou des combats inter-minables, Villeneuve brouille les pistes puis élude le problème en filmant les meurtres hors-champ. Idem pour les attaques aériennes gorgées d’explosions ou les courses-poursuites dans le désert. A nous, spectatrices et spectateurs, de nous faire notre propre interprétation. La lame a bien pénétré la chair, nous la sentons, nous la vivons mais ne la voyons pas. A quoi bon insister ou souligner ce que nous savons pertinemment ? Cinéaste de “l’à côté”, Villeneuve se substitue à Paul, envisage “Dune” comme une chimère et mise sur un rêve éveillé de 2h30.  Car “Dune” est bien cela. Une expérience sensitive et insaisis-sable. Le tout premier blockbuster poétique.
Dès le pré-générique et le logo revisité de la Warner, l’ami québécois fait appel à nos sens. La matière sonore qui jaillit des enceintes pénètrent nos corps à coups d’infrabasse et Hans Zimmer semble éprouver un malin plaisir à nous perforer le thorax. Sa partition est enlevée, fiévreuse et néanmoins éprouvante. Car éprouvée dans nos entrailles. Elle souligne les enjeux de chaque protagoniste et campe un personnage à part entière. Vous l’aurez compris. Le réalisateur de “Premier contact” picore chez Sergio Leone et s’offre un western-spaghetti “out of space”. Le regard perdu et azuré de Thimothée Chalamet se cale, donc, sur celui de Charles Bronson. Ses hommes de confiance sont des desperados. Ses ennemis des outlaws.

Duel au soleil.
Chaque face-à-face est, ici, marqué par un thème vibrant. Un motif musical. Et dans ce déluge d’incantations sub-sahariennes, les images ne sont pas en reste. Les teintes chromatiques défilent à chaque plan, à chaque planète dévoilée, chaque peuple concerné…La réalisation est ample et alterne contemplation hypnotique et cliffhanger toutes les vingt minutes. Surprise ! Le montage s’inspire, donc, de l’efficacité d’une série tout en privilégiant les pauses et les dialogues nourris. L’utilisation des cadres est digne de la composition d’un tableau-voir ce clin d’œil fort appuyé quant à la fin christique d’une des figures shakespeariennes dont je tairai le nom.
Et le spectacle est absolu : les costumes et décors finement étudiés vous laissent bouche bée et les effets spéciaux paraissent s’inscrire dans une évidente véracité.
Enfin, le casting vous emporte, tant l’interprétation et la qualité de jeu étonnent dans ce qui aurait pu être un défilé d’égo mal digérés.

Chaque caractère est dessiné avec soin. Chaque interprétation habitée. Souvent, l’on pense à Kurosawa et son “Chateau de l’araignée” (un arachnide, d’ailleurs, à nouveau convoqué par le directeur d'”Enemy”) tant la fureur est enfouie mais palpable chez les Atréides. Samouraïs modernes floués par un empereur manipulateur. A n’en pas douter, Rebecca Ferguson est la pièce maitresse de cet échiquier mouvant. Tour à tour vulnérable ou guerrière. Complice ou distante. Sa composition est vertigineuse et son intensité d’acting remarquable. Ses partenaires sont au diapason et dévoués, corps et âmes, à cette épopée foncièrement humaine et voir ce panel de gueules (belles ou meurtries) dans une production de cette envergure est un présent pour tout cinéphile.
“Dune” n’est, toutefois, pas le chef-d’œuvre annoncé dans moult médias. Je lui préfère le deuxième volet de “Blade Runner” moins ampoulé et n’utilisant pas des artifices redondants (ces ralentis à la Sam Peckinpah !). Mais quel bonheur de voir, sur écran géant et les gamelles à bloc, un divertissement de qualité flattant notre intelligence ! “Dune” est, incontestablement, l’un des grands évènements cinématographiques de la Rentrée et de l’année 2021. Denis Villeneuve a su garder son intégrité de moviemaker tout en se frayant un chemin balisé dans l’univers aride décrit par son auteur.
Je n’ai pas lu le bouquin. Je ne le ferai qu’après avoir bouclé la trilogie au cinéma.
D’ici là, patientons et saluons le songe d’un équilibriste de talent.
Sur le fil.
Entre espace-temps et sables émouvants.

John Book.