“Des” de Luke Neal, Kelly Jones et Lewis Arnold. ” Psycho-Killer. Qu’est ce que c’est?”

Un cauchemar. Nous sommes à Londres en 1983. Le Thatchérisme bat son plein, le taux de chômage explose et les rues regorgent de SDF. Difficultés économiques, troubles sociaux, trafics de drogue et insécurité grandissante. C’est dans ce contexte critique que l’un des plus effroyables serial-killer est découvert puis arrêté par la police.
A son actif ?Une quinzaine de meurtres.
Son nom ? Dennis Nilsen.Elles sont nombreuses, ces séries abordant avec emphase le cas de tueurs machiavéliques. “Aquarius”, “Jekyll” ou même “Dexter”.Elles sont tout aussi nombreuses à broder le même canevas scénaristique et les mêmes recettes éprouvantes : hémoglobine qui se débine, sursauts et folie. “Des”, lui, opte pour la reconstitution méticuleuse d’un puzzle mental.
Certes, cette étrange affaire n’est pas sans rappeler les débordements de Jack l’éventreur en 1888 et la couverture médiatique qui s’en suivit fut, aussi, du pain béni pour les tabloïds avides de chair fraiche. Mais les similitudes s’arrêtent là. “Des” ( ou “Death”?) est un nécrophile écossais, homosexuel et ancien flic, se démarquant sensiblement de l’imaginaire fantasmagorique souvent associé à ce type d’assassin. Froid, implacable et totalement docile lors de son arrestation, il ne niera jamais les faits. Pire, il ira jusqu’à aider Scotland Yard à se désembourber dans la reconstitution méthodique de ses crimes !”Cet homme ? Oui, j’ai passé la nuit avec lui. Non, je ne me souviens pas de son prénom. Mais le suivant, je m’en souviens.”Un ultime pied de nez à ses anciens collègues et la preuve d’une intelligence hors-norme au service de sévices.

Luke Neal et Kelly Jones- créateurs de cette adaptation “rigide”- ont la décence de ne pas en rajouter dans le détail racoleur. Nous connaissons, toutes et tous, les archétypes du thriller putassier ou de la chasse à l’homme névrotique. Point de complaisance, à l’horizon, pour le voisin assassin ni d’une déification digne d’un “Silence des Anneaux”.
Ici, l’horreur est humaine et vue de manière quasi-anecdotique.
Le réalisateur Lewis Arnold s’attarde sur les visages, compose ses plans avec parcimonie, évite les travelling “tape à l’oeil” et mise sur une ambiance pesante inerrante au propos.
Le choix des acteurs, dans ce parti-pris clinique-y est, aussi, pour beaucoup.
David Tennant (immense acteur écossais, vu dans ” Harry Potter et la Coupe de Feu”,”Doctor Who”, “BroadChurch”, “Jessica Jones” ou “Good Omens”) brille par sa décontraction faussement maitrisée et sa violence sous-jacente.
Regard perçant, voix haut perchée, et cette manière de tenir une cigarette du bout des doigts…

Son incarnation mesurée d’un psychopathe insensible fout les jetons autant qu’elle fascine.
Daniel Mays, dans la peau d’un inspecteur brillant mais père sur la touche, lui donne la réplique avec aplomb et naturel, sans jamais forcer le trait. Leur duel sur fond de nicotine possède des valeurs hypnotiques et l’on devine aisément le passé théâtral qui unit ces deux interprètes de talent. Enfin, Jason Watkins endosse avec subtilité un romancier précieux et avide de se confronter aux racines du Mal. Ses entrevues avec “l’étrangleur au lacet” ont des relents de “Truman Capote”, tant physiquement que moralement. Le biographe nanti descendra dans l’antre du Malin afin de se repaitre de ses souvenirs. Lutte des classes sur fond de confession. Joute verbale. Des aveux à vomir ? Un prêté pour un rendu.  A aucun moment, Brian Masters (le bien nommé) ne prendra parti pour son interlocuteur ou ne sera séduit. A aucun moment Denis Nilsen n’essayera de sous-entendre que cette connivence est due à une préférence sexuelle commune. Ce duel en cellule n’est possible que dans le partage des faits au sens strict. Et l’esquisse d’une articulation psychologique. Ainsi Mister Masters défriche. Quelles sont les motivations du personnage ? Son passé ? Quel fut l’élément déclencheur ? D’où provient la haine de ce psycho-killer ?
Ou tout simplement :Qui est réellement Des?
C’est dans cette recherche rétroactive que cette mini-série prend de la hauteur et se détache de ses consœurs.
Nous restons totalement hébétés face à la Bête. Hagards. Ces meurtres sont dénués de sens. Absurdes. Les témoins s’enlisent. Le bourreau observe. Mutique. Le tribunal prend, alors, des allures de tourbillon émotionnel et nos valeurs morales se voient malmenées. Bafouées.
Qui est à blâmer ?
La Justice et ses béances ?La société ? Ses dirigeants ? Ou les monstres qu’elles engendrent ?
“Des”, vecteur du mal-être social de l’époque ?Je vous laisse seul juge.
Mais, bon sang !Hannibal, on est mal.
John Book.