DER “SUPERSOUND”

Véritable touche-à-tout, Olivier Lambin, dit RED, est un mec pas vraiment comme les autres, un amoureux fou de la complexité, un autodidacte jusqu’au-boutiste (musicien auteur-compositeur, dessinateur) qui va là où personne ne l’attend pour mieux nous surprendre. Avec DER, son nouveau groupe, Olivier ne déroge pas aux règles qu’il s’impose et accouche d’un disque de cassure, de colère et d’affirmation, d’une fulgurance vive. Cet album est nommé “supersound”, comme pour mieux nous signifier son besoin de mettre un super additif dans sa musique.
Tout démarre avec un besoin de mettre du bordel dans le subtil, une sorte d’antithèse du rock conventionnel où le désordre est soigneusement organisé. Rythmique lourde, guitares torturées, à la limite d’une magnifique cacophonie jazz ou d’un Krautrock entêtant, dans cet opus RED hurle et chante dans un style sans pitié, mêlant les racines d’un Rock’n Roll typique et d’un post-punk dissonant. Assurément le plus inattendu de ses œuvres où les riffs ultras puissants, les lignes de basse totalement hypnotiques et les batteries irrémédiablement agressives s’enchaînent tandis que le chant semble vous prendre à bras le corps dans des échos prégnants. Tout ça nous prend aux tripes ! Malgré une volonté de cassure évidente, DER reste fortement imprégné des stigmates sonores de RED. Témoignage de sa forte créativité et véritable affirmation d’une liberté retrouvée, cet opus-là ne pouvait être qu’une belle baffe !

 

Ton passage du nom RED à DER est-ce une façon de marquer ton changement d’esthétique musicale ?
Effectivement. C’était dès le départ un projet que je voulais faire en formation groupe avec Jérôme à la guitare, DDDxie et Neman à la batterie et moi au chant et à la basse. Mais comme l’album ne correspondait pas trop à l’univers de mes derniers albums, nous avons décidé d’inverser les lettres de RED pour devenir DER. C’est venue de là, aussi simplement que ça…

Et donc pourquoi cette volonté de changer de registre musical ?
L’idée de cet album m’est venue en période de confinement avec une espèce de colère, et puis comme ça faisait déjà quelques mois que j’écoutais pas mal de groupes musicalement assez musclés. j’ai eu envie de revenir à mes premiers amours rock, je viens de là à la base. Donc je me suis mis à composer des morceaux avec des grosses batteries et des distorsions balaises. Avec Jérôme Jex Excoffier (ex-La Cuve), Olivier Durteste (DDDXIE)  et Cosmic Neman (Zombie Zombie), nous formons un combo basse batterie guitare, truc de base qui fonctionne toujours et est très jouissif à faire…

DER en concert Salle de la Cité à Rennes - Photo © Marie Le Mauff
DER en concert Salle de la Cité à Rennes – Photo © Marie Le Mauff

Et justement pour en revenir à ta musique. C’est quoi votre méthodologie de groupe pour construire tes albums ?
Au départ, j’ai demandé aux deux batteurs DDDxie et Neman, d’enregistrer les rythmes dont ils avaient envie. Puis j’ai composé les morceaux à partir de ce qu’ils m’avaient donné mais nous avons ensuite tout réenregistré en live pour obtenir une sonorité plus pêchue. Pour ça nous sommes partie tous les quatre, Jérôme, DDDxie, Neman et moi, dans le studio de Rodolphe Burger, dans les Vosges, avec le plus jeune des fils de Rodolphe, Simon Burger aux manettes. Le lieu est vraiment extraordinaire, style tu enregistres et il y a un cerf qui passe devant toi dans le jardin. C’est une sorte de ferme où tout est ouvert, ça ne ressemble pas réellement à un studio moderne avec des cabines et tout ça, mais l’ambiance était parfaite. Nous sommes restés 5 jours et Simon était exactement la personne qu’il nous fallait pour ce projet. Avec très très peu de re re et juste quelques voix et des guitares acoustiques que j’ai rajouté à la fin, nous avons obtenu le disque que nous voulions.

Tu parlais tout à l’heure de cette colère que tu ressentais. Tu penses que tu l’as utilisé comme une sorte de moteur pour exorciser tes peurs ?
De toute façon c’est toujours un peu ça la chanson. Et puis en ce moment particulièrement nous n’avons pas beaucoup de choses qui donnent envie de nous réjouir (socialement, politiquement, écologiquement, etc…). Alors forcément majoritairement mes chansons parlent de mes ressentiments sur le monde qui nous entoure.  

 

Dans cette écriture, il y a malgré tout un jeu subtil entre ombre et lumière. Le résultat n’est-il pas finalement la victoire de ton côté optimiste ? 
Malgré les difficultés il faut quand même vivre et heureusement. Donc comme je suis plutôt un garçon jovial, le positif ressort forcément à la fin (rire).
Mais dans toute cette tension que nous vivons depuis un bon moment, le plus triste pour moi c’est le manque de réaction des gens. Lorsque je regarde mes enfants, qui sont pour les plus grands des jeunes adultes, je n’ai pas le sentiment qu’ils se marrent beaucoup. A 25 ans, moi je me suis énormément amusé, même peut-être trop (rire). 
L’insouciance a disparu pour cette génération et il y a de quoi être inquiet pour l’avenir.
Cet album en est donc, pour une bonne partie, une sorte de constat de la société où nous vivons.

Sans pour autant vouloir user d’un terme largement galvauder, il y a chez toi un militant qui sommeille ?
Oui carrément je suis une personne de gauche qui fait de la musique. Et je ne vois pas intellectuellement en 2022 comment être autre chose que de gauche… D’ailleurs dans le groupe nous sommes payés à part égale et dans tous mes projets c’est pareil. Il faudrait que ça soit comme ça partout. ça éviterait pas mal de problèmes. Et puis c’est plus égalitaire de penser ainsi. 

 

Tu réitères cette fantaisie, de créer pour chaque exemplaire un dessin unique à la main. Je me suis toujours demandé la raison de ce trip créatif ultime ?
L’idée est surtout de pour proposer autre chose qu’un objet commercial. C’est-à-dire que pour moi un disque est, entre guillemets, une œuvre d’art. Déjà par l’information qui est gravé dessus et par la pochette, le livret etc… Et à plus forte raison avec le vinyle qui est extrêmement tactile par son format alors faire un dessin à la main pour chaque exemplaire donne une autre dimension et en prolonge l’expression. Après je suis un peu fou, de vouloir faire mille dessins mais j’aime ça aussi, être fou (rire).
Je suis un acharné du travail, j’aime le labeur dans le sens noble du terme. Il faut que je bosse énormément pour obtenir quelque chose de satisfaisant en musique comme en dessin et ça m’amène vers un état et une matière que j’aime bien.
C’est plus sympa de pouvoir proposer aux gens un objet qu’ils peuvent choisir en fonction du dessin sur la pochette. Là les dessins sont sur le rond du disque vinyle, c’est encore différent comme exercice…

 

Tu as déjà présenté sur scène tes nouvelles chansons. Comment as-tu ressenti ton public ?
Pour l’instant les retours sont très positifs. Après, il est difficile de prévoir la réaction de ton public lorsque tu leur proposes quelque chose de différent. A l’époque de mon album funk “Body Beat” (2014) c’était la même chose, mais ceux qui me connaissent vraiment savent que j’ai besoin de passer par des phases d’expérimentation, de butiner à droite ou à gauche, pour avancer. Le Rock’n Roll c’est quand même le fondement de ma musique, je viens de là, mes influences sont là. Et tu sais lorsque je vois des groupes qui rebranchent les guitares volumes à fond, ça fait du bien. Dernièrement j’écoute beaucoup Dry Cleaning, King Krule et Idles et pendant mes longues séances où je dessinai sur les vinyles je me suis refait l’ensemble des Peel Sessions de The Fall, ça motive. Ca efface un peu toute cette musique jetable qui inonde les ondes.

Justement au Binic Folks Blues Festival où tu vas jouer samedi et dimanche il y aura pleins de jeunes groupes. Binic c’est un peu ton spot idéal ?
Ça me fait toujours énormément plaisir d’y jouer. Je crois que la première fois c’était encore un bébé Binic en 2008 ou 2009 je crois. Nous y étions déjà cette année pour la cathédrale de pâques et c’était génial. J’ai hâte… 

 

 
DER “SUPERSOUND” – BISOU Records/BEAST Records – Mars 2022
 
 
Photo de couv. (c) Anne Marzeliere
 
Entretien : Stef’Arzak