Thriller sorti en 2024
Réalisé par Zoé Kravitz scénario Zoé Kravitz et E.T. Feigenbaum
Avec Naomi Ackie, Alia Shawkat, Channing Tatum, Adria Aronja,Simon Rex, Christian Slater, Haley Joel Osment, Geena Davis et Kyle MacLachlan (entre autres)
Le pitch : Frida et sa copine Jess sont serveuses. Un soir de boulot, elles décident de s’enjailler et de se faire passer pour des invités à la fête de Slater King, magna de la teck énigmatique et en plein mea culpa médiatique. Frida semble obsédée par Slater qui a tout pour plaire et alors qu’elle lui tombe littéralement dessus, il tombe sous le charme et les invitent à une fête sur son île privée avec quelques amis. Le petit groupe débarque dans un cadre paradisiaque où l’alcool et la drogue coule à flot. Mais tout va évidement déraper !
Mon avis: ATTENTION, JE SPOIL DE OUF!
Par avance, mes excuses, mais il me semblait difficile de vous exposer pourquoi ce film est magnifique sans trahir quelques ficelles de l’histoire.
« Plus c’est horrible, plus elles oublient. » Cette citation à elle seule vous donne déjà la teneur de ce que vous allez vivre. Car dans cette histoire, « l’oubli est un cadeau », en tout cas c’est ce que la fange de la gente masculine voudra vous mettre dans le crâne. Évidemment, car l’oubli annihile toutes velléités de vengeance ou de rébellion.
Si on attaque par la réalisation, c’est très beau et dérangeant. De très gros plans sur les acteurs pour les rendre tour à tour beaux ou effrayants, un montage au cordeau et parfaitement fait (merci Kathryn J. Schubert), des couleurs très vives (beau boulot du directeur de la photo Adam Newport-Berra) , un sens de la répétition qui vous plonge dans la même léthargie que les protagonistes, vous l’aurez compris, j’ai été très séduite par le boulot de Zoé Kravitz.

On se rapproche de l’excellence de Jordan Peele, Melina Matsoukas ou de Nia DaCosta qui prouvent que le film de « genre » s’il est empreint d’un cadre social, prend une dimension plus qu’intéressante.
Si on parle de l’histoire en elle-même, elle est intelligemment faite. Usant de personnages archétypaux et en les anonymisant, on est plongé dans l’instant avec les personnages. Le propos paraitra simpliste à ceux qui resteront sur le premier degré de lecture mais je vous invite à prendre ça comme une expérience sensorielle.
On passe en revue les différents aspects qu’aborde ce brûlot féministe :
Les femmes sont présentées au départ comme des « Youhou » (femmes qui ont l’air écervelées et ne pensent qu’à faire la fête) et les hommes sont de gentils gentlemen, mais peu à peu, les failles se révèlent. Le personnage de Haley Joël Osmen craque rapidement en s’épanchant sur son manque de succès auprès des femmes dû à son physique peu avantageux, Christian Slater est très mystérieux et flippant comme il sait l’être. Kyle MacLachlan en psy qui passe par-ci par-là est savoureux en nous faisant profiter de cette dualité qui est la sienne. Jamais Channing Tatum n’aura été aussi bien filmé, moi qui le trouve au mieux dispensable, il donne ici tout ce qu’il a.
Mention spéciale à Naomie Ackie qui révèle un jeu incroyable, un visage aux mille expressions, une merveille à suivre.

Comme les persos féminins se le disent elles-mêmes : « Pourquoi elles sont montées dans cet avion avec des inconnus? » Parce que tout simplement, chacune d’elles est persuadée d’être la seule « inconnue » du groupe, espérant que la présence d’autres femmes soit un gage de sécurité et pense passer un « bon moment » comme le leur demande leur hôte toutes les cinq minutes.
L’individualisme vs la sororité, car les femmes ont aussi des torts. Geena Davis devient la représentation de ces femmes d’âges mûrs qui ont abandonné le combat, brisées qu’elles sont par des années de lutte stérile et qui prennent le pli d’aller dans le sens des hommes. Maternante, disponible, assumant toute la charge mentale pour juste survivre. Car, comme elle le dit, l’oubli est un cadeau. Mais c’est sans compter sur la pugnacité de Sarah et Frida !
Frida et Sarah sont les deux personnages féminins forts et se sont présentées au départ comme rivales auprès de notre bellâtre de milliardaire. Elles vont pourtant tout mettre en œuvre pour sauver les autres femmes et libérer leur rage. Et qu’on se le dise, les femmes en groupe sont très très dangereuses et ça fait du bien ! Marre de s’entendre dire que nous devons être plus intelligentes que les hommes, ne pas tomber dans leurs travers (argument qui aide bien les oppresseurs de tous bords). Seulement, à un moment, la seule réponse à la violence, c’est la violence (je sais, je ne vais pas me faire que des copains sur ce coup).
Le venin et la fleur utilisés pour manipuler les femmes restent des éléments métaphoriques joliment mis en place, représentant la douceur du mensonge et l’écœurement de la vérité.

La séquence du « Je suis désolée » de Channing Tatum exprime à elle seule toute l’inutilité des excuses des hommes pour leurs exactions et montre que cela ne suffit pas!
Pretty Woman horrifique, on comprendra plus tard que la fascination qu’exerce Slater sur Frida n’a rien de romantique. La fin est jouissive et met en valeur l’intelligence des femmes quand il s’agit de vengeance.
Alors oui, c’est un brûlot féministe (un énième, comme le diront certains, déjà fatigués des mouvements de libération des femmes) mais n’oublions pas que nous bouffons du cinéma « burné » depuis des lustres et que cela n’a jamais semblé gêner personne.
Il est sûr que hommes et femmes ne verront pas le même film, mais il me semble important que ce genre de thématique continue d’être exploré. Si des figures comme Gisèle Pélicot nous montrent que la honte a changé de camp, il est temps que la peur la suive.
Pour finir sur note plus sympa, la Bo est vraiment très groovy, elle est à écouter ici !