[Chronique] KCIDY – « L’immensité et l’immédiat »

Je suis parfois tellement perdu dans le brouhaha de la vie que j’en oublie d’admirer l’infinie beauté de l’instant. Vous savez cette poésie de l’ordinaire, comme on le dit vulgairement. J’y tenais tant pourtant auparavant. Qu’elle me manque et m’affecte comme le silence d’une maison où couraient autrefois les baisers adolescents et les câlins d’enfants. Masquer dans une mémoire, froissée. Mais où est passée la perfection infiniment perceptible des petites choses, minuscules, majuscules, ridicules. Retrouver son goût, humide, son ardeur, délicate, son rythme, enivrant, son odeur, familière, même par procuration, aurait sûrement l’effet d’une cure de jouvence, éphémère certes, mais salvatrice…


Justement, l’autre jour, un peu trop à l’aise dans mon spleen quotidien, en appuyant sur le bouton play de ma hifi, pour écouter le nouvel opus de KCIDY, il y a eu comme un déclic, un petit séisme émotionnel, quelque chose d’à la fois minuscule et infiniment grand. Déjà très touché par son précédent disque « Quelque chose de bien » je ne pensais pas être à nouveau piqué au vif, dans mes sentiments, endormis. Il faut avouer qu’elle a une manière singulière d’attraper la couleur du réel, d’évoquer dans une mélodie le souvenir d’un frisson de lumière sur une peau d’automne.


Avec « L’immensité et l’immédiat« , son nouvel opus, donc, Pauline de Caignec aka KCIDY, nous offre un disque à fleur d’émotion, traversé par le vent des collines, l’amour de la délicatesse, le groove lancinant des ruisseaux et cette douceur obstinée qui semble être devenue son langage attachant, bouleversant.
Utilisant une narration simple mais terriblement efficace, portée par l’urgence de dire le présent, de capter ce qui palpite autour de l’immobilité des horizons, il n’est pas surprenant qu’elle évoque William Sheller. Voilà un recueil de belles conversations, ou plutôt de confessions intimes avec le monde qu’elle observe et expérimente chanson après chanson, dans une posologie gourmande, faite d’instantanés, de fragments de vie où la tendresse et la lucidité cohabitent avec un naturel désarmant.

Maisons Vides” ouvre le bal sur un ton à la fois doux et malicieux. Les souvenirs d’enfance, entre deux déménagements, se posent sur une batterie vive et des guitares claires, rappelant la pop rêveuse de Broadcast. KCIDY y apprivoise le passé sans nostalgie, comme on caresse une vieille photo avant de la ranger dans un tiroir.

On glisse ensuite vers “La Mer En Hiver”, superbe confession d’amour où les doutes du couple deviennent une matière poétique. Tout y est retenu, pudique, traversé de brises salées et de mots choisis avec soin. Puis “Danser Sous La Pluie” apporte son sourire, sa légèreté ; une chanson comme un clin d’œil à ces petits chaos de la vie qui, finalement, font du bien.

Mais c’est peut-être “Joanna” qui condense le mieux le cœur de l’album. Mélodie entêtante, élan pop 80s, douceur désarmante : KCIDY y chante à hauteur d’enfant, avec une attention évidente et la sincérité des émotions. On y entend cette délicatesse, presque maternelle, qui habite tout son travail, celle d’une artiste qui préfère la nuance, le frémissement.

La seconde moitié de l’album creuse une autre profondeur. “Fais ton truc devant la caméra” explore la tension du regard social, portée par un patchwork sonore nerveux (piano, batterie jungle, synthés électriques). Le rythme s’emballe, le corps suit. “Théorie” et “Leitmotiv” nous entraînent ensuite dans des zones plus nocturnes, presque introspectives, où le rythme devient respiration et l’espoir un battement discret sous la surface.

Puis, tout doucement, “L’Autre Rive” referme l’album comme une brume qui se dissipe. KCIDY y effleure la mélancolie sans s’y perdre, sa voix s’étire au loin, comme une main qu’on tend vers un horizon invisible.

L’immensité et l’immédiat est un album d’équilibres fragiles : lumineux sans être naïf, mélancolique sans se laisser abattre. KCIDY y atteint une forme de clarté rare — celle d’une artiste qui regarde le monde avec les yeux d’une poétesse pop.
Chaque mélodie, même la plus simple, semble venir d’un lieu secret, entre l’intime et le cosmos. Il n’y a pas de grand geste ici, juste la sincérité d’une voix qui dit : je vois, j’écoute, je ressens.

KCIDY continue de chanter à hauteur de cœur, et c’est peut-être cela, aujourd’hui, sa véritable immensité.